Extrait de l’allocution de Madame Janet E. GARVEY, Ambassadeur des USA au Cameroun en 2009:
«À qui incombe la responsabilité de mener le combat contre la corruption et pour une meilleure gouvernance au Cameroun? Il ne suffit pas de dire Le Ministre de la Justice, la Police ou le Chef de l’État. Il ne suffit pas non plus de dire la société civile, les médias ou la communauté internationale. La vérité est que nous avons tous un rôle à jouer, nous avons tous une responsabilité. Lorsque les entreprises deviennent complices des actes de corruption, lorsque les particuliers versent des pots-de-vin, lorsque les journalistes cherchent à obtenir des enveloppes pour leur «motivation», tout le monde devient impliquer dans ce que j’appellerai le problème. Et lorsque les regroupements d’entreprises osent parler et organisent des forums comme celui-ci, lorsque des particuliers disent non et dénoncent la corruption, lorsque les journalistes font des investigations et révèlent des histoires de pots-de-vin, en ce moment-là tout le monde participe à la recherche de la solution. Tout le monde doit dire NON, je ne donnerai rien. C’est notre responsabilité à tous de dire NON je ne donnerai rien. »
La corruption est comme l’adultère, l’une et l’autre se pratiquent souvent de nuit, à l’abri des regards indiscrets, aux dépens du peuple cocufié et du mari ou de la femme trompée. Les deux acteurs de l’une comme de l’autre prennent leur plaisir et manifestent leur satisfaction. Elle a donc du mérite à leurs yeux, une vertu.
La corruption a pour vertu particulière en dictature de permettre l’accès à certains postes à ceux des pauvres qui en ont les moyens. Ici au marché noir de nos libertés, tout s’achète et tout se vend. De l’accès à un concours administratif à l’avancement professionnel, la corruption aide à s’affranchir des postes subalternes pour des postes plus lucratifs. Les femmes offrent ce qu’elles ont, le désir et le plaisir, les hommes paient le prix du poste de leur désir pour leur plaisir.
Dans un pays où ceux qui détiennent le pouvoir peuvent mettre leurs enfants dans les meilleures écoles de formation, la corruption reste le dernier recours pour les damnés de la terre pour faire accéder leur progéniture aux mêmes privilèges. La corruption a ainsi des avantages en dictature car les enfants des pauvres peuvent aussi rêver d’accéder à des postes importants en payant le prix qu’il faut en monnaie sonnantes et trébuchantes.
Mais j’ai souvent entendu certains pauvres dire qu’ils ont de l’argent mais qu’ils ne savent pas à qui le donner pour acheter la place convoitée. C’est qu’en réalité il s’est développé autour du marché corruptif une escroquerie qui nourrit bien son homme surtout quand on lance un concours ou un recrutement dans l’administration. Ainsi y a-t-il des démarcheurs qui vous disent qu’ils ont un carnet d’adresse bien fourni et qu’ils peuvent donner votre argent directement au patron qui tient la clé de votre succès au concours administratif. Beaucoup de ces pauvres, qui ne connaissent pas la bonne porte ou qui n’ont pas le bon tuyau, perdent leur argent extorqué par des aventuriers dont certains se réclament de la famille du chef de l’État en personne. Si vous leur remettez de l’argent dans l’espoir d’une nomination ou d’un poste à la fonction publique, vous allez vous faire avoir.
Le problème à résoudre dans une République corrompue est celui de trouver la bonne porte et la bonne personne à corrompre. Tel est le dilemme de ce peuple sous le renouveau. Toutefois il arrive que la demande dépasse l’offre et plusieurs personnes paient pour le même poste. Alors le fonctionnaire prend l’argent et donne le poste au mieux disant. Tant pis pour les autres car ils ne peuvent même pas protester ni se plaindre. Comme l’adultère, en matière de corruption c’est trompe qui peut. Du moins c’est ainsi dans le cadre de ce qu’il convient de nommer le droit commun de la corruption.
Mais je voulais surtout parler de l’autre corruption pour souligner la vertu de la corruption institutionnalisée et entretenue par les pouvoirs publics du Cameroun. Il s’agit d’une politique délibérée qui prend sa source et son inspiration dans la rémunération du fonctionnaire. Son salaire. La politique du renouveau est de payer un salaire le plus bas au fonctionnaire. Du plus bas fonctionnaire au plus haut fonctionnaire l’État paie des salaires minables, misérables. Ce n’est pas faute d’argent pour payer les fonctionnaires. C’est délibérément pour s’assurer leur obéissance et leur soumission.
Si les dirigeants de l’État du Cameroun tiennent en esclavage les fonctionnaires dans un tel état de misérabilisme, c’est pour garantir leur pérennité au pouvoir par la servilité et la docilité des fonctionnaires. Sur les murs de leur bureau, ces malheurs qui n’ont point de bouche affichent discrètement leur déconfiture: «Dieu regarda mon travail, cela lui plut beaucoup. Il regarda mon salaire et se retourna en pleurant.»
Les dirigeants de cet Etat fonctionnent comme des terroristes.
Ce constat ne peut être point sérieusement démenti par aucun des fonctionnaires à tous les niveaux de la hiérarchie. Interrogez ceux d’entre eux qui sont déjà à la retraite, ils vous parleront en se cachant car l’Etat peut encore leur supprimer leur argent de retraite patiemment cotisé pendant qu’ils étaient en fonction. Les dirigeants de cet Etat fonctionnent comme des terroristes. Ils sortent l’arme alimentaire contre ceux qui manifestent des velléités d’insoumission ou de liberté et vous frappent dans votre porte monnaie, dans votre travail, dans vos honoraires, dans vos dossiers ou par une affectation disciplinaire en enfer.
En effet l’application de la politique du bas salaire a pour corollaire l’attribution des primes et des avantages aux fonctionnaires les plus serviles et les plus fidèles au maintien du pouvoir politique en place. Les postes gratifiants et juteux permettent aux fonctionnaires d’arrondir leur fin du mois en détroussant les usagers, en vendant leur signature aux usagers du service public réputé pourtant gratuit. La corruption s’entretient à coups de renvois d’ascenseur. Ainsi lorsque vous parvenez à obtenir grâce à elle un poste lucratif, vous avez l’obligation de faire remonter le fruit de vos rapines au sommet à celui qui vous a fait roitelet. Si un concurrent paie plus que vous, dans ce cas vous n’avez plus qu’à augmenter les enchères ainsi de suite ainsi de suite. Un cercle vicieux dans lequel se trouve ainsi piégé le fonctionnaire camerounais.
Ceux qui ne sont pas obéissants, soit parce qu’ils ont des postes sans croute ni mie, comme certains postes vides de « Directeur » ou grades de « Colonel », sont affectés à l’arrière-pays ou dans les zones rurales où les populations pauvres ne seront pas capables d’acheter le service public et où le fonctionnaire vivra mal de son petit salaire de misère. Du fond de son enfer ce fonctionnaire va réunir des cadeaux pour aller se racheter à Yaoundé et être ainsi rappelé à la mangeoire, c’est-à-dire à la table de la corruption institutionnalisée. Le régime encourage donc les fonctionnaires à la corruption, mieux il les contraint à la corruption pour mieux vivre. Ainsi il leur permet de prendre des perdiems qui dépassent de loin leurs maigres salaires, il se voile les yeux sur les frais de mission qu’ils perçoivent indûment ou sur les revenus occultes qu’ils perçoivent de leur poste de fonction ou encore des surfacturations qu’ils opèrent dans les frais d’entretien de leurs locaux ou dans les marchés publics.
C’est un régime qui se nourrit, vit et se reproduit de la corruption.
Cette permissivité corruptrice soumet à elle seule les fonctionnaires qui se voient contraint de défendre bec et ongles le régime qui les nourrit. La corruption assure ainsi la soumission et l’assujettissement du fonctionnaire dont les récalcitrants sont rappelés à l’ordre par un petit contrôle supérieur de l’Etat, qui signifie que si le fonctionnaire ne reste pas dans les rangs, son dossier sera renvoyé devant le Tribunal Criminel Spécial.
Un Ministre de la justice a dit que si le salaire des magistrats n’est pas payé pendant un an, leur train de vie ne pourra pas baisser. Cela est également vrai pour la catégorie des fonctionnaires qui bénéficient des postes juteux à partir desquels ils peuvent avoir un salaire parallèle ou des avantages exorbitants. Certains magistrats affectés dans les zones « désertiques » non juteuses vivent de leur salaire comme les autres fonctionnaires de la même zone. Et c’est souvent ici le cimetière des génies tombés en disgrâce qui sombrent dans l’alcool et la débauche.
Il en est également ainsi de certains militaires. Ce ne sont pas tous les militaires qui sont aisés dans ce régime tribal. Certes le constat est que les hauts gradés appartiennent souvent au pays organisateur et les hommes de troupe, sans pouvoir, désarmés, chairs à canon, aux autres tribus. Mais tous les hauts gradés ne sont pas logés à la même enseigne. Beaucoup d’officiers supérieurs n’ont pas les avantages exorbitants de leurs camarades d’armes, qui eux peuvent profiter de leur poste pour s’enrichir et qui soutiennent ce régime en montrant leurs biceps.
La plus grande entrave au décollage économique de notre pays, c’est le pouvoir en place plus préoccupé par sa durée que par son utilité.
Au regard de ce constat amer, la lutte contre la corruption passe non pas par la moralisation des comportements mais plus par la revalorisation des salaires dans une redistribution des richesses de la nation. On ne peut pas moraliser un homme qui a faim et dont les enfants malades exigent des soins. Ventre affamé n’a point d’oreilles. Et ce régime qui parle de rigueur et moralisation le sait bien, sauf que sa pérennité lui tient plus à cœur que le bonheur du peuple ou le développement du Cameroun. Donnez un juste salaire au fonctionnaire, rendez lui sa liberté et sa dignité et il pourra contribuer comme les autres au développement de notre pays.
Les entraves au développement de ce pays sont le fait des hauts fonctionnaires qui sont par ailleurs parmi les plus riches sans que leur salaire justifie pareille opulence. En effet lorsque vous voulez investir dans le secteur privé, vous tombez toujours sur un fonctionnaire qui vous demande ce qu’il va gagner dans votre projet et dans le cas où vous ne lui donnez pas une enveloppe conséquente, votre projet est tué dans l’œuf, sans aucun égard pour le service qu’il allait rendre aux populations.
C’est pourquoi je constate que la plus grande entrave au décollage économique de notre pays, c’est le pouvoir en place plus préoccupé par sa durée que par son utilité. «Ne dure pas au pouvoir qui veut mais qui peut» résume parfaitement la philosophie du renouveau et son programme politique focalisé sur sa durée et non sur son rendement. Avec cette philosophie-là, nous ne pourrons pas changer le Cameroun ni le développer. C’est pourquoi nous devons balayer ce système pour notre propre survie et pour la survie du Cameroun qui s’enfonce chaque jour d’avantage. C’est notre unique chance et responsabilités à tous, fonctionnaires, militaires, policiers, gendarmes, agriculteurs, benskineurs, ouvriers, chefs traditionnels, peuple des marécages etc. Mais attention, ce n’est plus Paul Biya l’enjeu, mais les pions qu’il place pour lui succéder et assurer la pérennité du système qu’ils ont mis en place ensemble pour se reproduire indéfiniment, en nous excluant, nous et nos enfants.
Par Me Momo Jean de Dieu, Avocat, Président National du PADDEC
Fo’o Dzakeutonpoug (le roi libérateur des esclaves)
Source : camer.be