EMMANUEL MACRON CHEZ FELA

Fela Anikulapo Kuti est mort il y a plusieurs années.

De son vivant tout comme après sa mort, il fut le symbole culturel et politique de la protestation africaine postcoloniale. Apôtre de l’afro-centrisme, il créa l’une des musiques les plus redoutables du vingtième siècle africain, une foret de sons tires des mythologies Yoruba, de la condition nègre dans le monde, et d’une Afrique en genèse, coincée entre la prédation autochtone et le poids des puissances etrangères.

Fela était surtout convaincu que l’Afrique devait redevenir son centre propre, sa force propre. Qu’elle était capable de se mettre debout d’elle-même, et de se hisser a hauteur du monde, sur la base de sa matière indocile.

Fela créa aussi une institution, le “Shrine”, sorte de contre-lieu et “territoire libéré” ou il pratiqua sa musique et fit l’expérience d’une vie alternative, hors des normes qui régissaient alors la société nigériane dominée par une caste de militaires.

Le Shrine est toujours la, expression de la rage qui l’habita, et du courage dont il fit preuve chaque fois qu’il fallut dénoncer l’injustifiable.

De passage a Lagos, le Président Emmanuel Macron a eu la très bonne idée de s’y rendre.

Comme il se devait, il a été très bien accueilli. Les images produites a l’occasion montrent un homme manifestement ravi et détendu, tout a fait a l’aise dans la moiteur de cette nuit tropicale, au milieu de Lagosiens bien moins obséquieux que leurs congénères francophones.

A Ouagadougou, Emmanuel Macron avait annoncé, entre autres, la tenue en 2020 d’une Saison des cultures africaines en France. Exposition coloniale bis repetita, avec ses zoos humains version vingt-et-unième siècle et ses nègres-y-a-bon-banania-coiffes-de-chechia et se tordant au rythme du tam-tam?

Comme toujours, avec Macron, il est difficile de faire la part de ce qui ressort de la “communication” et de ce qui releve de l'”essentiel”. La visite au Shrine est, dans tous les cas, un coup dont la portée symbolique n’est pas négligeable.

Deux choses sont claires, de toutes les façons.

D’une part, la bataille autour du “signe africain” en ce début de millénaire ne fait que commencer.

Elle se déroule en Afrique même, ou les forces rétrogrades du nativisme, du tribalisme et de la servitude volontaire reprennent du poil de la bête.

Mais elle a surtout, comme on l’a vu avec “Black Panther”, une portée planétaire. Cette dimension planétaire du “signe africain”, on la voit bien dans la sorte de confluence critique en cours entre l’afrocentrisme, l’afropolitanisme et l’afrofuturisme, telle qu’elle apparait dans maintes créations (arts contemporains, musique, design, mode, athlétisme, cinéma et ainsi de suite)… A quoi il faut ajouter la convergence des vieilles et nouvelles diasporas.

Manifestement, la France de Macron veut y prendre part. Avec quels atouts autres que le paternalisme et la condescendance, peu importent les générations? La question reste posée.

D’autre part, en matière de politique africaine de la France, l’aggiornamento symbolique se poursuit, qu’il s’agisse de la Francophonie, de la restitution des objets, de la “récuperation” de certaines figures de l’émancipation africaine, voire de thématiques qui jusqu’à présent faisaient l’objet d’une relative répression (dans le sens psychanalytique du terme).

Il reste a voir si cet aggiornamiento est purement cosmétique, si sa fonction est tout simplement de nous embrasser afin de mieux nous faire taire, ou s’il est véritablement intellectuel, philosophique et culturel.

Il reste aussi a voir si ce relatif repositionnement entrainera ou non des conséquences de poids en relation aux noyaux durs de la politique de la France en Afrique que sont le mercantilisme, le militarisme et la sélection/déportation a teneur racialiste des migrants.

Bref, s’agit-il d’un grand marche de dupes? Avec de nouveaux acteurs? Et le même vieux refrain remis au gout du jour?

A chacun de juger !

Par Achille Mbembe