Le 03 septembre 2015 était un grand jour pour l’ancien directeur général de la Sodecoton et ex-président de la Fécafoot. Ce jour, Iya Mohammed arrive au Tribunal criminel spécial à 9h39, dans un car Hiace de la prison centrale de Kondengui. Vêtu d’un ensemble boubou de couleur bleu-ciel, il est accompagné de Lucien Fotso, l’ancien directeur comptable de la Sodecoton, son coaccusé avec qui il est en détention provisoire depuis 2013. La sérénité est de mise. L’attente de près de deux heures de l’accusé Iya dans la salle attenante à la salle d’audience ne l’empêche pas d’échanger avec ses avocats, ses amis et sa famille.
Pieds ou bras croisés. 11h11, le collège des juges fait son entrée. L’audience débute aussitôt. La salle est archicomble. Yap Abdou, président du TCS et président de la collégialité, fait le bilan du procès, indiquant les différentes plaidoiries et réquisitions des parties. Une phase que l’ancien dirigeant de la Sodecoton suit avec intérêt. Jusqu’à la sentence de 15 ans d’emprisonnement ferme, qu’il a accueillie avec flegme. Accordant même de grands sourires à des proches et lançant des piques à Me Francis Sama, avocat de la partie civile. «Vous attendez vos milliards», lui a-t-il lancé, sarcastique, au moment où le car qui le transportait quittait la cour du TCS de Yaoundé, à 15h30.
GAROUA
A plus de 1500 km de Yaoundé, dans son fief de Garoua, l’atmosphère n’a rien de spécial. La légère pluie qui s’est abattue sur la capitale régionale du Nord ce jeudi 3 septembre 2015, n’a pas perturbé le train quotidien. Aux environs de 14h, la nouvelle de la condamnation d’Iya Mohammed se propage progressivement dans la ville. «Iya Mohammed n’a pas la popularité d’un Marafa, mais ça ne réduit pas du tout toute la contribution efficace qu’il a apportée au rayonnement de cette grande ville», nous lance d’emblée, Abdoulaye Farikou, cadre dans une microfinance dont le siège à pignon sur rue à l’avenue des banques. Non loin de là, au bout de cette superbe avenue, le siège du Rdpc à Garoua ne grouille pas de monde ce jour. Avant son arrestation, Iya Mohammed faisait office de cadre de ce parti. Dans les couloirs, tous ceux qui s’y trouvent avouent ne pas être au courant de la nouvelle.
En fait, l’astuce est tout trouvée pour éviter d’aborder la question. A Marouaré, quartier résidentiel de la ville où est situé le domicile de l’ancien directeur général, c’est également un calme plat. Ici, les domiciles ont la particularité de posséder presque tous des barrières. Difficile de trouver des individus qui vadrouillent dans les rues. Au domicile d’Iya Mohammed, pas un signe de vie. De l’autre côté du quartier, nous aboutissons au siège de la direction générale de la Sodecoton. C’est pratiquement l’heure de clôture du travail. Un cadre commercial que nous abordons à la sortie, est prompt à nous répondre. Mais lorsque nous dévoilons notre identité, il change d’avis immédiatement. «Monsieur, je suis désolé, s’il vous plaît je ne souhaite même pas qu’on sache que je vous ai parlé, revenez me voir pour autre chose, je préfère être prudent», conclut-il.
Son collègue, responsable au service administratif et financier, même s’il choisit l’anonymat se montre cependant plus disert. «C’est une injustice grave. Je suis à plus de 20 ans de service dans cette entreprise. J’ai fait toute ma carrière sous la direction de Iya Mohammed. Je ne sais pas de quel détournement on parle. Jusqu’à son limogeage, l’entreprise se portait très bien sur le plan financier. Sous sa direction, la Sodecoton a été d’un très grand apport dans l’épanouissement social des populations du Grand- Nord. Depuis son départ, j’aimerais qu’on vous fasse le point de la situation. Ce monsieur (Iya Mohammed, Ndlr) est un grand homme, justice sera faite un jour», tranche-t-il. A la différence du reste de la ville, Roumdé-Adja, n’est pas resté indifférent à la condamnation de l’ancien Dg de la Sodecoton. Le soir du 3 septembre 2015, il n’y avait que pour Iya Mohammed dans les conversations.
Au lieu-dit «Cercle sportif», un bar très couru du coin et où se retrouvent tous les fans de Coton Sport de Garoua, la pilule était vraiment difficile à avaler. «Vous voyez comment on récompense un homme qui a contribué au progrès de la jeunesse camerounaise. En l’envoyant faire 15 ans en prison. Pour vous, les gens de Yaoundé, ça vous amuse. Nous ici, on perçoit ça comme une injustice criarde», affirme Farridah André. Autour de lui, une quinzaine de fans de l’ancien président de la Fecafoot suivent attentivement des nouvelles en provenance de Yaoundé, qu’un des leurs est en train de les procurer par téléphone. Il certifie avoir discuté avec Iya Mohammed et confirme aux siens sa sérénité et son calme. Au passage, il rassure : «l’affaire n’est pas terminée. Le président va faire appel. Avec plus de chance, on peut voir sa peine réduite ou carrément annulée. Donc, restons calmes.
Soutenons-le sans relâche, surtout dans nos prières». Un discours qui a le don de temporiser l’ambiance.
CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES
Contrairement aux réquisitions du ministère public et de la partie civile qui demandaient la condamnation à vie et le paiement d’un montant de 13 437 847 549 Fcfa représentant le préjudice global subi par la Sodecoton, le collège des trois juges conduit par Yap Abdou a donc condamné Iya Mohammed à 15 ans d’emprisonnement ferme. Il est ainsi coupable de l’octroi d’un avantage salarial à son collaborateur à hauteur de 7 millions Fcfa. De fait, l’ancien directeur général avait estimé qu’au vu de sa charge de travail, son indemnité devrait passer de 50 à 75 000 Fcfa. Le TCS a ainsi précisé que c’est une violation de l’arrêté du Premier ministre qui fixe ladite indemnité et Iya Mohammed ne devait manifester cette charité qu’avec ses fonds propres. S’agissant des avantages salariaux, Iya Mohammed est contraint de rembourser les 51 651 307 Fcfa indûment perçus. Et même le témoignage au cours d’une audience de Louis Eyeya Zanga, l’ex président du conseil d’administration de la Sodecoton, n’influencera pas le verdict des juges, tant ils le qualifieront de «vaines tentatives de sauvetage d’un ami en détresse». Dans la même lancée, le TCS met en exergue la mainmise de Iya Mohammed sur le club Coton Sport de Garoua dont il est loin d’être le simple président d’honneur. En plus de la nomination de tous les responsables, il va allouer plus de 4 milliards 310 millions Fcfa au club en termes de subventions et attribuer d’autorité 6 marchés d’une valeur de 977 753 040 Fcfa. Les juges parleront ainsi de «détournement massif à l’honneur de Iya Mohammed, au détriment de la Sodecoton».
Il est donc jugé coupable du détournement de plus de 4 milliards 790 millions Fcfa. En somme, Iya Mohammed, Mahamat Karagama et Christophe Mbaigoum sont condamnés à payer de manière solidaire plus 12 milliards Fcfa représentant un préjudice matériel de 10 936 447 772 Fcfa, financier d’un milliard Fcfa et des frais de procédure de 150 millions Fcfa. Iya Mohammed est ainsi acquis à la déchéance pendant 10 ans à toute fonction et verra les biens mis en cause saisis. Il ne subira tout de même pas une contrainte par corps comme Mahamat Karagama et Christophe Mbaigoum, en raison de son âge. Des circonstances atténuantes qui se justifient, selon les juges du TCS, par le fait que l’ancien directeur général de la Sodecoton n’ait auparavant jamais eu des démêlés avec la justice camerounaise. Si la partie civile, par la voix de Me Francis Sama, s’est réjouie de la sentence prononcée par Yap Abdou, Me Balla, l’un des avocats de Iya Mohammed, a évoqué un éventuel recours, car dira-t-il : «Un aîné dans cette profession nous avait dit : ne soyez jamais déçus par les décisions de justice».
Son confrère dans la défense de l’ex directeur général de la Sodecoton, lui, clamera : «Il y a des moments où le silence vaut de l’or. Trop parler ne sert à rien. Nous avons perdu la bataille, pas la guerre. Mr Iya Mohammed, vous avez perdu la bataille, la justice continue». L’illustre accusé ne trouvera pas mieux que de dire : «Je suis condamné, pas pour des faits qui ont été cités, mais pour des faits que j’ignore». Lui qui a accepté, «pas avec gaieté de coeur», la sentence du TCS. Iya Mohammed a pourtant regagné la prison centrale de Kondengui, toujours en compagnie de Lucien Fotso, avec la même sérénité qu’à son arrivée.
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Condamnation inique de M. Iya Mohammed : Cavaye Yeguié Djibril boit du petit-lait
Par Yves Marc Kamdoum, La Météo
Le président de l’Assemblée nationale (Pan) avait réclamé l’immolation judiciaire de l’ancien directeur général de la Société de développement du Coton du Cameroun (Sodecoton). Il l’a finalement obtenue.
À voir l’enchaînement des faits autour d’Iya Mohammed, il est fondé à penser que l’idée de faire partir l’ancien patron de la Sodecoton ne date pas d’aujourd’hui. À en croire de terribles chuchotements, les malheurs de M. Iya ont commencé le jour où il a stoppé net le passage en force du Pan dans l’actionnariat de l’un des fleurons agro-industriel du Cameroun. Pour Iya Mohammed, à en croire nos sources, pour être actionnaire de la Sodecoton, le « très honorable » devait se référer, en pareille circonstance, non seulement au gouvernement, mais également au conseil d’administration.
Malgré ce raté, le président de la Chambre basse de l’Assemblée nationale ne décolère pas. Au contraire, soutenu par le milliardaire Baba Ahmadou Danpullo (déjà actionnaire), ils ne feront pas de mystère sur leurs intentions à s’accaparer de la Sodecoton, via le schéma de privatisation qui prévoyait, selon des confidences entrecroisées, le rachat de 48% du capital de l’entreprise par certains dignitaires du grand Nord tels que Sadou Hayatou, Ahmadou Abdoulaye, alors lamido de Rey Bouba et un certain… Cavaye Yéguié Djibril. Iya Mohammed s’y oppose encore fermement, ce d’autant plus que l’entreprise ne connaît pas de lendemains incertains.
Gestion saine. C’est apparemment, fait-on savoir, le début de la fin de M. Iya. Il ne fallait donc pas être devin pour comprendre pourquoi, lors de la séance plénière d’ouverture de la deuxième session ordinaire de l’année législative 2011, le président de l’Assemblée nationale va clairement contester la gestion de la Sodecoton. En effet, le Pan n’est pas passé par quatre chemins pour s’insurger contre « l’impuissance de la cotonnière industrielle du Cameroun à faire face au terrible phénomène de la désaffection des produits et de l’invasion massive du peu de produit qui reste.» Le diagnostic posé, le Pan va émettre quelques solutions.
La tête de Iya Mohammed est alors réclamée en des termes plus clairs : «nous voulons l’arrivée à la tête de l’entreprise des hommes disponibles qui ne seraient pas partagés par de multiples passions», car pour l’ancien maitre d’éducation physique, «la Sodecoton ne saurait être gérée en dilettante, ou à distance à partir de lointaines arènes».
En revanche, lors du lancement de la campagne agricole 2011 à Maroua, Jean Nkueté, l’alors ministre de l’Agriculture et du Développement rural (Minader) avait apprécié à sa juste valeur les performances de la société que dirigeait Iya Mohammed. Selon l’ex- Minader, les dirigeants de cette société font un travail remarquable. «Je ne suis pas d’accord avec les déclarations faites par le très honorable président de l’Assemblée nationale. En 2010, la Sodecoton a fait des bénéfices de l’ordre de 2,8 milliards de nos francs.
C’est la preuve d’une gestion rigoureuse et saine. Les dirigeants de la Sodecoton font un travail remarquable. Je ne peux que conseillers aux fils du grand Nord de considérer la Sodecoton comme leur bien commun», avait déclaré Jean Nkueté. Avant d’ajouter que le président de l’Assemblée nationale Cavaye Yeguié Djibril n’avait pas la bonne information sur la gestion de la Sodecoton et de la filière coton.
Malheureusement, quoique dédouané par Jean Nkueté et d’autres intervenants de la filière, le bouquet ne semblait plus être loin. Et aujourd’hui que la guillotine de la justice est finalement tombée sur la tête d’Iya Mohammed (15 ans d’emprisonnement ferme), évidemment, Cavaye Yeguié Djibril devrait éprouver une satisfaction.
Qu’on se souvienne au moins que l’ancien président de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot) entame un long séjour carcéral, au moment où, ironie du sort, son dossier se vidait petit à petit, avec notamment avec l’élargissement, le 07 mars dernier, de deux de ses coaccusés (Abdoulahi ex-caissier et Jean Fouagou ex-chef service des stocks). Une cure d’amaigrissement du dossier qui démontrait à suffire que l’homme qui a dirigé l’une des entreprises les plus prospères du Cameroun (pendant que d’autres entraient en liquidation quand elles ne fermaient pas boutique), était tout simplement victime d’un complot.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques au Cameroun (CL2P)