71% pour le sortant Paul Biya et 14% pour l’opposant Maurice Kamto. Tels sont les résultats officiels de la présidentielle camerounaise du 7 octobre. Pour le Franco-Camerounais Fred Eboko, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), ces chiffres traduisent un verrouillage du système politique camerounais.
RFI : Paul Biya est largement vainqueur et Maurice Kamto deuxième. Quelle est votre première analyse sur ces résultats ?
Fred Eboko : Au-delà des résultats statistiques, ce qui s’est passé cette année c’est une véritable césure, à mon sens. Sous la victoire du président Paul Biya, sous le rituel de sa victoire, émerge un changement des Camerounais vis-à-vis de la démocratie, un changement de la vie politique camerounaise. Je dis bien au-delà de la victoire politique du président Biya.
Cette très large victoire de Paul Biya est-elle dû seulement à ses talents et à son bilan ou n’est-elle pas due aussi à une redoutable machine électorale du parti au pouvoir RDPC ?
C’est dû, à mon sens, à quelque chose qui est de l’ordre du verrouillage du système politique camerounais. Il y a d’abord une large couverture du parti au pouvoir sur le territoire camerounais. Mais il y a aussi – et on l’a vu au cours des récents débats du Conseil constitutionnel – le fait que le système est verrouillé de telle sorte que la légalité du système ne soit plus forcément en lien avec sa légitimité.
Selon Maurice Kamto, le candidat Biya se serait vu accorder de façon abusive quelque 1,3 million de voix sur la base de procès-verbaux non signés.
Oui, c’est ce que l’on a entendu au cours des débats au sein du Conseil constitutionnel. Je ne sais pas très bien quoi en penser. Mais ce qui me semble assez clair, c’est que les résultats tels qu’ils sont présentés aujourd’hui ne rendent pas forcément compte de la dynamique électorale qui s’est produite au Cameroun. Le fait que toutes les requêtes et toutes les réclamations aient été rejetées laisse quand même à penser que le Conseil constitutionnel, certes, a fait son travail, mais n’en sort pas forcément grandi. Non pas du point de vue de ce qui est légal, mais du point de vue de ce qui est crédible et du point de vue de ce qui est juste. Parce qu’il n’avait pas seulement la responsabilité de rendre les résultats. Comme l’a dit une brillante avocate au cours des débats, il avait aussi la responsabilité de rendre la vérité de l’élection présidentielle au Cameroun.
Vous parlez du Conseil constitutionnel, c’est le deuxième niveau. Mais avant il y avait un premier niveau, c’était Elecam, qui est l’instance camerounaise des élections. Est-elle crédible ? Est-elle indépendante ?
Le problème au niveau du Cameroun, qu’il s’agisse de premier niveau d’Elecam ou du niveau ultime du Conseil constitutionnel, la question qui se pose est celle de l’indépendance de toutes les institutions par rapport au pouvoir exécutif, qui a une espèce de prééminence.
Il y a un parti qui ressemble beaucoup à ce qu’on appelait sur le parti unique, le parti-Etat, qui écrase un peu l’ensemble des institutions, mais qui n’écrase pas forcément la parole des Camerounais qui s’est libérée notamment via les réseaux sociaux et via la dynamique incarnée par Maurice Kamto et sa coalition, qui ont pu quand même montrer qu’un autre Cameroun est possible.
Vous parlez de Maurice Kamto. Le 1er septembre dernier, dans votre précédente interview sur RFI, vous parliez plus volontiers d’Akéré Muna ou de Joshua Osih comme les challengers possibles de Paul Biya.
Oui. A ce moment-là je disais que Akéré Muna me semblait être un des candidats les moins clivants. Il s’est trouvé qu’Akéré Muna a rejoint la coalition autour de Maurice Kamto et que Maurice Kamto est monté en puissance juste après le scrutin. Il est monté en puissance avant, d’abord par rapport à cette coalition et juste après dans la manière avec laquelle il a fait front face au pouvoir et au système politique en place.
Oui, il a surpris tout le monde le 8 octobre dernier en se déclarant vainqueur et en prenant de vitesse Elecam.
C’est pour cela que je dis qu’en mettant en avant la diversité géographique et générationnelle des personnes qui étaient autour de lui, cette diversité a été incarnée par le pool des avocats qui l’ont accompagné au sein du Conseil constitutionnel et qui ont fait une véritable démonstration politique et intellectuelle face aux membres du Conseil constitutionnel du Cameroun. Maurice Kamto a mis en avant la diversité géographique, politique et intellectuelle, des personnes qui sont autour de lui. Il l’a fait de manière absolument magistrale.
Est-ce qu’il y a, justement, au vu de cette présidentielle 2018, un repli des Camerounais sur certaines valeurs identitaires et ethniques ou pas ?
Il y a plutôt la mise en lumière de ces clivages qui minent la société camerounaise depuis plusieurs années et qui ont été mis en exergue à la faveur de cette consultation électorale et notamment des débats parfois très houleux qui ont eu lieu sur les réseaux sociaux. Ces clivages et cette tentation du repli identitaire existent au Cameroun depuis fort longtemps. Mais ils n’ont jamais été médiatisés de manière aussi forte que pendant cette campagne électorale.
En arrivant deuxième, loin devant Cabral Libii et Joshua Osih, est-ce que Maurice Kamto a gagné ou a perdu ?
Maurice Kamto a en même temps perdu officiellement les élections, mais il a gagné, à mon sens, bien plus que les élections. Il a gagné en matière de crédibilité de sa proposition politique. Crédibilité de sa personne, médiatisation aussi – alors là c’est le plus exceptionnel, parce que c’était inattendu – de sa capacité à rassembler une bonne part des Camerounais sous son nom et sous le nom de sa coalition surtout. Et il a pu le faire notamment grâce à l’occasion qu’il a eue de pouvoir s’exprimer, de pouvoir laisser s’exprimer ses confrères au sein du Conseil constitutionnel du Cameroun.
Et l’effondrement électoral du SDF de Joshua Osih, qu’en pensez-vous ? Êtes-vous surpris ?
Je suis moyennement surpris parce que je pense que la candidature de Joshua Osih a été un peu prise de court par les autres candidatures et pas seulement celle de Maurice Kamto, celle, aussi, de Cabral Libii, qui ont un peu damé le pion à la proposition du SDF qui semble marquer un peu le pas dans le paysage politique camerounais.
Et que peut faire à présent Maurice Kamto, lui, qui s’est déclaré vainqueur le 8 octobre dernier ?
C’était aussi une stratégie pour marquer le coup, puisqu’il avait déjà anticipé sur ce qu’il pensait être des irrégularités, voire des malversations du camp d’en-face. Maintenant, il a quand même une zone de confort. Pourquoi ? Parce que, si vous regardez ce qui s’est passé pour le candidat proclamé gagnant, Paul Biya a fait juste un meeting politique avec une intervention qui a duré moins de dix minutes. Maurice Kamto a fait des dizaines et des dizaines de meetings et aujourd’hui il peut prendre la parole, sa parole aura un poids tout à fait considérable et c’est peut-être un jour nouveau qui s’ouvre dans le débat politique camerounais avec cette présence de Maurice Kamto et de sa coalition.
C’est à dire qu’il y aura désormais un vrai chef de l’opposition et une vraie dualité dans la vie politique camerounaise ?
Je pense que si la sécurité de monsieur Maurice Kamto est garantie – et je pense que le pouvoir en place a tout intérêt à garantir la sécurité de Maurice Kamto –, nous sommes peut-être au début de la naissance d’au moins une dualité politique, comme vous avez dit, ou d’une pluralité des voix. Y compris des autres partis d’opposition. Il ne faut pas oublier la magnifique campagne électorale qu’a menée Cabral Libii. On peut aussi penser que d’autres figures de proue de l’opposition peuvent aussi reconstituer leur panel électoral.
Joshua Osih et Cabral Libii sont, l’un un quadra, l’autre un trentenaire, qui ont l’avenir devant eux.
Voilà, ils ont l’avenir devant eux. Au-delà du MRC qui est manifestement un des gagnants, même dans la défaite de cette élection présidentielle, il ne faut pas oublier que Cabral Libii et Joshua Osih sont relativement jeunes et qu’ils sont dans une dynamique tout à fait particulière.
Par Christophe Boisbouvier – RFI