Au Sénégal, la procédure de dépôt des candidatures à la présidentielle est lancée depuis ce mardi 11 décembre. Parmi les éléments requis par le Conseil constitutionnel sénégalais, le fichier des parrainages constitue une des pièces les plus importantes. Sauf que des signatures d’électeurs sont parfois présentes en double, dans deux fichiers différents.
Devant le Conseil constitutionnel, à Dakar, les mandataires des candidats attendent leur tour sur des chaises en plastique. Le calme est revenu après une nuit agitée, du lundi 10 au mardi 11 décembre. Dans cette rue de la capitale, plusieurs mandataires ont essayé de déposer en premier leur dossier de candidature aux Sages du conseil, dès minuit.
La coalition Benno Bokk Yakaar, qui porte le président sortant Macky Sall, est celle qui est parvenue à obtenir cette place, particulièrement convoitée. Dans une atmosphère électrique : un des candidats de l’opposition, Malick Gakou, venu lui aussi déposer son dossier a par exemple été blessé à l’œil. Tous auront jusqu’au 26 décembre pour se présenter devant l’institution.
En déposant en premier son fichier de parrainages, l’équipe de Macky Sall est en position de force par rapport aux autres candidats. La loi électorale, promulguée en juillet 2018 par le président est formelle : « Dans le cas d’une présence sur plus d’une liste, le parrainage sur la première liste contrôlée, selon l’ordre de dépôt, est validé et est invalidé sur les autres ». En clair, si une signature d’un même électeur est présente sur deux fichiers différents, sa signature n’est pas intégralement invalidée. Le parrainage revient à celui qui a présenté son fichier le premier. Ce sera donc Macky Sall si un de ses parrains a par exemple donné sa signature à un autre candidat.
« Premier arrivé, premier servi »
Les candidats de l’opposition craignent tous cette multiplication des « double parrainages » : le mot est répété devant le bâtiment du Conseil constitutionnel. « C’est premier arrivé, premier servi, c’est pour ça que la date et l’heure de dépôt sont très importants, résume le mandataire du candidat Idrissa Seck, Asma Bacar Gueye. Il y a eu un forcing de la part du pouvoir ». L’homme est venu avec ses douze cartons, renfermant les parrainages en version papier. Le Conseil constitutionnel va passer au crible le fichier numérisé fourni par le mandataire. « Nous pourrions ainsi perdre un nombre significatif de parrains en cas de doublons, souligne-t-il. Et si nous passions en dessous du seuil, nous serons éliminés ».
Le « seuil » correspond à un pourcentage : chaque candidat doit collecter les signatures d’un nombre d’électeurs donné, qui correspond à une fourchette entre 0,8% et 1% du corps électoral. Autrement dit, chaque fichier de parrainages doit rassembler les signatures de 53 000 à 66 000 électeurs. Les électeurs qui ont signé doivent enfin provenir des sept régions du Sénégal. Pas question de localiser la collecte, fastidieuse, qui s’est déroulée durant de nombreuses semaines.
Pape Médoune Sow, coordinateur de la campagne de parrainages pour le candidat Malick Gakou, a rapporté 14 cartons. « On a visé le maximum. Nous préférons mettre les chances de notre côté en ayant la quantité maximale admise. C’est inévitable, il y aura des doublons. Si on compte l’ensemble des parrainages déclarés, cela dépasse le chiffre même du corps électoral [6 682 000], donc il y a un problème ». A elle seule, la coalition emmenée par le président Macky Sall a par exemple annoncé avoir collecté près de 2 millions de signatures.
Des soupçons d’achat de parrainages
La pratique du « double parrainage » est en tout cas interdite par la loi. « C’est interdit mais nous avons beaucoup d’analphabètes, qui ne comprennent pas forcément pourquoi on leur fait signer un document, précise Babacar Gueye, membre de la société civile venu observer le dépôt des candidatures au Conseil constitutionnel. De plus, certains ont fait des parrainages leur fond de commerce ».
S’agit-il de pratiques d’achat de parrainages ? « De tels exemples ont été relevés sur le terrain, nombre de candidats s’en sont plaint. Ce sont en fait toutes ces pratiques qui poussent les candidats à déposer leurs dossiers en premier ». D’après un mandataire d’un des candidats, un parrainage est parfois rétribué 1000 francs CFA (environ 2 euros), à raison de 10 000 francs CFA par fiche de dix parrainages.
Certaines équipes de campagne ont donc fait des réserve, en gardant des parrainages sous le coude afin de compléter leur dossier si besoin. Le Conseil constitutionnel vérifie chaque fichier pendant au maximum 30 jours, à compter de sa date de dépôt. Anomalies et doublons une fois relevés, les candidats n’auront que 48 heures pour les corriger. Faute de quoi ils ne pourront pas participer au scrutin du 24 février.