13 février 2015. Il est environ 14h. Un homme, la silhouette décharnée, la mise vestimentaire négligée, le visage barré par une paire de lunettes transparentes traverse la grande cour de la prison centrale de Yaoundé. Non loin de là, de jeunes gens, presque déguenillés, se livre à une partie de football. Difficile d’imaginer que l’homme en question a été ministre de la Santé au Cameroun pendant plus de 6 ans, d’avril 2001 à septembre 2007. C’est dire si Urbain Olanguena Awono, la soixantaine entamée, n’est plus que l’ombre de lui-même. Finie l’époque des véhicules administratifs escortés, des gardes du corps, des cérémonies, des missions à travers le pays et à l’étranger, des parapheurs, de la signature des arrêtés. Bonjour la vie carcérale à la tristement célèbre, bruyante et insalubre prison de Kondengui où il occupe le quartier 7 réservé au VIP.
Rien pourtant ne prédisposait cet ancien haut commis de l’Etat sans histoire de l’ethnie menguissa, au centre du Cameroun, à un aussi tragique destin. C’est le 31 mars 2008 au petit matin que sa vie bascule. Interpellé à son domicile au quartier Emana à Yaoundé par le Groupement spécial d’opération (Gso), une unité spéciale de la police camerounaise chargée de lutter contre le grand banditisme, il est conduit à la Direction de la police judiciaire et placé en garde-à-vue. Les enquêteurs s’appuient sur un rapport du Contrôle supérieur de l’État qui, quelques semaines plus tôt, l’a épinglé pour le détournement d’un montant de 14 milliards de F Cfa mis à la disposition du Cameroun par le Fonds mondial de lutte contre le Sida, le paludisme et la tuberculose. Une semaine plus tard, Urbain Olanguena Awono est mis sous mandat de détention provisoire à la prison de Kondengui.
Le Fonds mondial dément
En avril 2009, coup de tonnerre ! Le Directeur Exécutif du Fonds mondial de lutte contre le Sida, le paludisme et la tuberculose, organisme proche de l’ONU basé à Genève en Suisse, réagit aux accusations contre l’ancien ministre de la Santé : « l’axe des enquêtes menées par les autorités camerounaises n’engage pas le Fonds Mondial. En tout point de vue, tous les rapports financiers et la revue des programmes financés par notre institution montrent à suffisance qu’ils ont été gérés de façon satisfaisante à cette date », souligne le Pr Michel Kazatchkine qui conclut de façon péremptoire que « Le Fonds Mondial n’a aucune preuve montrant une mauvaise utilisation des crédits alloués au Cameroun». Le patron du Fonds Mondial s’appuie ainsi sur les rapports des cabinets d’audit Price Waterhouse et Mazars International dont la réputation n’est plus à démontrer. En juin 2009, un collège d’experts judiciaires, commis par le juge d’instruction aux fins d’une contre-expertise du rapport du Contrôle d’Etat, conclut à une absence de malversations financières.Malgré ces rebondissements qui auraient conduit à sa mise en liberté, Urbain Olanguena Awono est maintenu en prison. La machine judiciaire « made in Cameroon » n’a-t-elle pas le jusqu’auboutisme jusqu’au bout des ongles ?
Croc-en-jambe judiciaire
En octobre 2010, son procès s’ouvre au Tribunal de grande instance du Mfoundi à Yaoundé. De 14 milliards au départ, le montant dont le détournement est imputé à l’ancien ministre de la Santé n’est plus que de 300 millions de F CFA et plus. D’une audience à l’autre, les témoins de l’accusation ont toute la peine du monde à l’accabler. Sous le coup de 5 chefs d’accusation, Olanguena Awono se rend compte que 3 d’entre eux ont été modifiés par le juge d’instruction. A savoir le détournement de 200 millions F Cfa et la tentative de détournement de 60 millions F Cfa dans le cadre d’une subvention accordée à une association de lutte contre le Sida ainsi que le détournement de 122 millions F Cfa pour la livraison de dépliants et autres gadgets par des Ong de lutte contre cette pandémie. De « dépenses fictives » au départ, l’accusation va se muer en « violation des règles de passation des marchés ». Ses avocats saisissent la Cour d’appel qui annule ces 3 chefs d’accusation. Saisie par le parquet général de ladite Cour, la Cour suprême confirme l’annulation le 15 mars 2012.
G11
Il ne reste plus que 2 chefs d’accusation au TGI du Mfoundi à savoir le financement à hauteur de 11 millions de F CFA d’un livre sur le SIDA et le payement d’un marché fictif de livraison de moustiquaires d’un montant de 80 millions de F Cfa. Mais le 16 octobre 2012, le verdict est bloqué. Les représentants du ministère public, les avocats de la partie civile et les accusés sont absents. Le collège des juges ne peut délibérer. L’affaire est transférée au Tribunal criminel spécial (Tcs) dont le personnel est installé le lendemain. Le procès reprend à zéro au Tcs. Pis encore, les juges de cette juridiction reviennent sur les 3 chefs d’accusations annulés par la Cour suprême en mars 2012. Pour ces derniers, Urbain Olanguena Awono écope de 15 ans de prison le 14 juin 2013.
Concernant les 2 accusations restantes, si, le 12 août 2013, le Tcs le déclare non-coupable du détournement de 11 millions de F Cfa, il le condamne cependant à 20 ans de prison pour le chef d’accusation de détournements de 80 millions de F Cfa. Pourtant, le bénéficiaire du marché non livré de moustiquaires, incarcéré à la prison centrale de Kondengui pour avoir imité la signature de l’ancien ministre de la Santé afin de se faire payer, a réussi comme par enchantement à s’évader. Les fonctionnaires du ministère des Finances qui ont liquidé et payé la dépense sont libres de leur mouvement. Le ministre des Finances à l’époque des faits (2003) n’a jamais été inquiété pour celà.
Qu’est ce qui justifie un tel acharnement judiciaire sur Urbain Olanguena Awono ? L’on se souvient qu’avant son départ du gouvernement, des bulletins de services spéciaux le présentaient comme un membre influent de Génération 2011 (G11), un regroupement d’anciens proches collaborateurs de Paul Biya réputés pour leur relative jeunesse qui envisageaient de prendre le pouvoir après Paul Biya en 2011. Depuis avril dernier, le Comité de libération des prisonniers politiques au Cameroun (CL2P), une ONG lancée à Paris en France le 3 mai 2014, milite pour la libération de cet ancien ministre camerounais.
Michel Biem Tong – hurinews.com