L’ancien président et leader historique du Parti des travailleurs a une nouvelle fois été condamné pour corruption, cette fois à douze ans et onze mois de réclusion. L’extrême droite au pouvoir exulte, la gauche y voit un cruel acharnement.
«Ils veulent que Lula meure en prison.» L’ex-sénateur du Parti des travailleurs (PT), Lindbergh Farias, résumait ainsi le sentiment général, à gauche, après une nouvelle sentence contre l’ancien président du Brésil (2003-2010). Mercredi, le chef historique du PT, incarcéré pour corruption, a été une nouvelle fois condamné pour des faits similaires, dans le cadre de la tentaculaire opération Lava Jato («lavage express») sur les détournements de fonds chez le géant pétrolier semi-public Petrobras. Une affaire qui recoupe sa présidence mais n’épargne aucun grand parti.
La juge de première instance Gabriela Hardt l’a condamné à douze ans et onze mois de prison, le reconnaissant coupable d’avoir reçu des «avantages indus» des groupes du bâtiment Odebrecht, OAS et Schahin, en échange de juteux contrats avec Petrobras. Ces entreprises auraient déboursé environ 240 000 euros – pris sur des contrats surfacturés – pour mener des travaux d’amélioration dans une maison de campagne située dans la province de São Paulo, propriété d’un ami de Lula mais où le leader de gauche et sa famille séjournaient fréquemment.
«Corruption systémique»
Pour la jeune magistrate, qui remplace provisoirement Sérgio Moro, l’ancien juge en charge de Lava Jato, devenu ministre de la Justice du gouvernement Jair Bolsonaro (extrême droite), ce supposé renvoi d’ascenseur «s’inscrit dans un système plus ample de corruption systémique», et il serait «prouvé» que l’ancien chef de l’Etat «a activement pris part à ce système, tant pour financer son parti et le maintenir au pouvoir que pour en tirer un profit personnel».
Gabriela Hardt se montre ainsi plus sévère encore que Sérgio Moro, qui avait condamné Lula, en juillet 2017, à neuf ans et demi de prison pour avoir supposément accepté, cette fois, un triplex en bord de mer, un «cadeau» d’OAS. Malgré l’absence de preuves matérielles, la peine avait été alourdie en appel à douze ans et un mois de réclusion – une sévérité exceptionnelle selon l’hebdomadaire Epoca, qui a analysé 154 cas similaires.
Lula a commencé à la purger le 7 avril 2018. C’est dans sa cellule – sans barreaux – de la surintendance de la police fédérale à Curitiba (à 400 kilomètres au sud de São Paulo) qu’il a fêté ses 73 ans, le 27 octobre, jour du second tour de la présidentielle dont il était le grand favori.
«Père des pauvres»
Il avait été déclaré inéligible en vertu d’une loi locale mais contre l’avis du comité des droits de l’homme de l’ONU. Son incarcération a ouvert un boulevard au vainqueur, le nouveau président Jair Bolsonaro. «On a vite fait de mettre Lula en taule, au terme d’un procès outrageusement accéléré pour empêcher de nouveaux recours et le maintenir en détention pendant la campagne», dénonçait, lors d’une rencontre sur le Brésil le mois dernier à Paris, l’historien Luiz Felipe de Alencastro, pour qui le fait que Moro soit devenu ministre de Bolsonaro n’est pas «anodin».
Une façon de le remercier d’avoir mis hors-jeu le principal leader populaire du Brésil, accuse la gauche. La nomination de l’ex-juge fait plus que jamais planer le doute sur l’impartialité des magistrats qui jugeront Lula, mis en cause dans six autres affaires. Dans un Brésil radicalisé, le «père des pauvres» est devenu l’ennemi public numéro un, la prise idéale, un tremplin politique. De plus, la justice se montre sensible à l’opinion, échaudée par les scandales à répétition, tandis que Jair Bolsonaro alimente un climat de haine contre la gauche.
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Volontairement ou non, Gabriela Hardt est aussitôt devenue une idole de la droite radicale, après avoir tancé l’ancien président qui s’était permis une saillie ironique lors de son interrogatoire filmé, le 15 novembre. «Si vous commencez sur ce ton avec moi, on va avoir un problème», l’avait-elle mis en garde. Une répartie que la première dame, Michelle Bolsonaro, avait fait floquer sur son tee-shirt…
Pire que sous la dictature
Dans ce contexte, cette seconde condamnation était attendue, d’autant que l’affaire de la maison de campagne présentait davantage d’indices que celle du triplex. La magistrate a notamment invoqué des courriels accablants selon elle. Il n’empêche, l’avocat de Lula, Cristiano Zanin Martins, qui va faire appel, l’accuse d’avoir «fait fi des preuves d’innocence» de son client. Il dénonce une «violation de ses garanties fondamentales», un «usage pervers des lois à des fins politiques». «Une seconde condamnation express a été prononcée, alors même que Lula voit augmenter ses chances de devenir Prix Nobel de la paix», a renchéri Gleisi Hoffmann, la présidente du PT. La campagne internationale pour sa nomination (la pétition a recueilli plus de 540 000 signatures) est portée par un ancien lauréat, l’artiste et activiste argentin Adolfo Ezequiel, qui invoque son combat contre la faim : plus de 30 millions de Brésiliens ont quitté la pauvreté grâce à ses politiques redistributives.
Récemment, la décision de la justice d’interdire à Lula, invoquant des motivations grotesques (risque d’évasion et de manifestations), de sortir de prison le temps d’enterrer son frère, a suscité un vif émoi, même à droite. Quand le président de la Cour suprême a finalement donné son feu vert, l’enterrement avait déjà eu lieu… Même la dictature (1964-1985) n’avait pas été aussi loin. Alors incarcéré pour avoir défié l’interdiction de grève, celui qui était encore leader syndical avait pu inhumer sa mère.
La nouvelle sentence tend à dissiper cet élan de sympathie. Elle a été en tout cas bruyamment saluée par le clan Bolsonaro. Le Président lui-même a relayé la nouvelle sur son compte Twitter, oubliant que son propre fils, le sénateur Flávio Bolsonaro, est visé par une enquête pour blanchiment d’argent. «Lula peut encore être remis en liberté», veut croire l’avocat pénaliste et professeur à la Fondation Getúlio-Vargas, Celso Vilardi, rappelant que les voies de recours contre les deux sentences prononcées contre lui ne sont toujours pas épuisées. «Il ne le sera pas tant que Bolsonaro est au pouvoir», soupire de son côté un observateur, qui craint que le leader de gauche «ne finisse par se donner la mort» en prison.