Le début de l’année 2019 s’annonçait pourtant calme sur les collines de Yaoundé. Certes, les clans s’affrontaient au sein d’un gouvernement remanié, et les échos de la guerre en zone anglophone se faisaient entendre. Mais l’ombre de Maurice Kamto semblait ne plus planer sur Etoudi, où Paul Biya avait renouvelé son bail de sept ans en octobre. Qu’en était-il de la stratégie du président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), qui se présentait toujours comme le « président élu » du pays ?
L’atmosphère paraissait plus proche de la résignation que de la révolution. On attendait les législatives et les municipales, qui doivent se tenir cette année, sans se faire trop d’illusions.
Puis vint ce 26 janvier.
Ce jour-là, alors que les gaz lacrymogènes se dissipent peu à peu à Douala, les forces de l’ordre chargent les manifestants de la « marche blanche », qui protestent contre le « hold-up électoral » d’octobre. L’un d’entre eux, Célestin Djamen, un cadre du MRC, est touché à la jambe gauche, vraisemblablement par une balle en caoutchouc. L’avocate Michèle Ndoki, elle, subit plusieurs impacts côté droit. Tous deux sont évacués vers l’hôpital.
Maurice Kamto se trouve alors à Yaoundé. Une centaine de manifestants y ont battu le pavé, vers le rondpoint de la Poste centrale, avant d’être dispersés. L’opposant décide de quitter Yaoundé pour venir soutenir ses troupes à Douala. S’il n’appelle pas à la violence, il sait néanmoins que le rapport de force lui sera médiatiquement favorable. Il prend ses quartiers au domicile de l’un de ses lieutenants, Albert Dzongang. C’est là qu’il sera interpellé deux jours plus tard en compagnie de Dzongang et de son conseiller, Christian Penda Ekoka.
Coïncidence troublante
Transféré à Yaoundé, il est mis en détention au Groupement spécial d’opération (GSO). Les yeux de chaque Camerounais sont tournés vers lui. Les médias internationaux relaient l’information – ce qui n’était plus arrivé depuis la présidentielle. Auditionné le 30 janvier, Maurice Kamto est accusé, entre autres, de « rébellion en groupe », d’« hostilité contre la patrie », de « trouble à l’ordre public » et d’« insurrection ».
Rien de très surprenant. Dès le 26 janvier, le ministre de l’administration territoriale, Paul Atanga Nji, l’avait accusé d’insurrection, tandis que René Emmanuel Sadi, le porte-parole du gouvernement, parlait le 29 janvier d’une « démarche insurrectionnelle ». Le ministre avait surtout fait le lien avec d’autres actions du 26 janvier, se déroulant loin de Yaoundé et de Douala, au sein des représentations diplomatiques camerounaises de paris, Berlin ou londres.
Dans la capitale française, une centaine de personnes ont pris d’assaut l’ambassade, y saccageant les bureaux avant d’en être délogés.
« Ces actions n’ont rien à voir avec le MRC, qui ne demande ni violence ni recours à la force », a protesté Olivier Bibou Nissack, le porte-parole du parti, dénonçant « une arrestation arbitraire » de Maurice Kamto. Mais, pour les plus virulents détracteurs de ce dernier, au gouvernement ou à la présidence, la coïncidence est troublante sinon bienvenue. « Le pouvoir veut le rendre responsable des saccages », s’indigne l’un de ses partisans.
Adoubement involontaire
Que risque le leader du MRC? Le code pénal punit de dix à vingt ans de prison celui qui « provoque ou facilite » un mouvement insurrectionnel. Mais, dans tous les cas, « la détermination de la résistance n’a pas changé », assure un cadre du MRC. Surtout, l’arrestation marque peut-être un tournant dans l’action de l’opposition, qui pourrait récolter les fruits de l’intransigeance du gouvernement. L’épisode ne risque-t-il pas de sonner comme un adoubement involontaire pour l’adversaire numéro un de Paul Biya?
Dès son arrestation, Maurice Kamto a reçu le renfort de nombre d’opposants de poids, d’akere Muna à Kah Walla, leader du Cameroon People’s Party (CPP), en passant par Jean Tsomelou, du Social Democratic Front (SDF). Une deuxième « marche blanche » était prévue le 2 février, ainsi qu’une troisième une semaine plus tard. Au sein même du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), la manière forte n’a pas que des adeptes : certains réfléchissent, comme d’autres l’ont fait ces derniers mois, à démissionner. « Ils ont fait une grave erreur en confortant Kamto dans la position de leader de l’opposition, voire en en faisant un martyr, alors qu’ils auraient pu jouer sur nos divisions », explique un proche d’Akere Muna. Un cadre du MRC conclut : « L’arrestation ne peut que servir notre cause. On dira peut-être bientôt que la révolution est partie du GSO! »
Par Mathieu Olivier (JEUNE AFRIQUE)