7eme Lettre: Marafa Hamidou Yaya, de la prison, s’adresse aux Camerounais
Il n’en reste pas moins que les cinq prochaines années seront décisives pour notre pays et je voudrais réfléchir avec vous, électeurs et candidats, aux enjeux du quinquennat à venir.
Certains voudraient que je me taise. Mais au nom de quoi ?
Ma responsabilité, c’est de mettre le pays en face des réalités qui l’attendent au cours des cinq prochaines années et qui vont former le cadre de son avenir.
Ces réalités, quelles sont-elles ?
J’en vois surtout trois:
– Entre 2013 et 2018, le Cameroun verra sa population s’accroître de 2,7 millions d’habitants, hors flux migratoires.
– Dans le même temps, l’instabilité va s’accentuer à ses frontières, avec un risque important de déstabilisation intérieure.
– Enfin, la préparation de l’après-Paul Biya va occuper le cœur de la vie politique.
Or, l’état actuel de notre démocratie, les orientations de la politique gouvernementale, le mode de fonctionnement de l’exécutif, et la faiblesse du pacte social font de ces trois réalités de réelles menaces pour notre pays. Cependant, les menaces peuvent devenir de réelles opportunités pour notre pays, à condition de travailler sans attendre aux changements nécessaires et de bien réaliser que notre avenir se joue aujourd’hui.
Quels sont-ils, ces changements nécessaires ? Laissez-moi les esquisser.
Le Cameroun doit changer son modèle économique:
D’ici 2018, le Cameroun aura 2,7 millions de personnes, soit la population du Gabon et de la Guinée Équatoriale réunie, de plus à loger, nourrir, transporter, soigner, éduquer, protéger.
2,7 millions de personnes qui voudront téléphoner, naviguer sur internet, s’équiper en électroménager, acheter des cosmétiques, aller au restaurant ou au supermarché.
Comment faire face à ces besoins quand, malgré la croissance économique constatée ces dernières années, la pauvreté et le chômage augmentent implacablement?
Depuis les années 80, le modèle économique de notre pays est orienté vers l’accroissement de la rente pétrolière. Mais, aujourd’hui, la situation n’est plus tenable, les réserves s’épuisent.
C’est pourquoi le Cameroun doit en priorité diversifier son économie, et trouver des chemins de croissance dans des secteurs créateurs à la fois de richesses et d’emplois. Ces sources sont clairement identifiées: gains de productivité dans l’agriculture (cacao, café, coton, banane), développement des services (banques et transports), qui sont déjà le premier contributeur à la croissance, rattrapage du retard dans les industries manufacturières et investissement massif dans les infrastructures.
La mutation envisagée est considérable, car elle implique que le secteur privé, c’est-à- dire les entrepreneurs camerounais, et non plus l’État, devienne désormais le principal créateur de la richesse nationale.
Le pouvoir exécutif doit faire le pari de la confiance aux Camerounais, et accepter que l’État perde sa place dominante et les prérogatives lui venant de la priorité donnée jusqu’ici aux industries extractives dans le processus de formation de la richesse nationale.
En termes concrets, développer le secteur privé, cela veut dire: des règles du jeu claires, moins de fraudes, plus de sécurité juridique, et l’accès des nationaux à tous les secteurs d’activité.
En suivant cette voie, le Cameroun fera que le risque se transformera en manne pour les entreprises qui sauront se positionner pour répondre aux nouveaux besoins. Il fera aussi que cette manne ne profitera pas qu’aux sociétés étrangères: occidentales, asiatiques ou africaines.
Les grands groupes marocains, nigérians, et même ghanéens s’installent chez nous. Il faut faire émerger de grands groupes camerounais pour les concurrencer sur notre sol aujourd’hui, et sur le leur demain.
Est-ce possible? Bien sûr. Dans ce domaine, il n’y a pas de fatalité.
Pendant la période 1980-1983, le niveau de corruption au Cameroun était, selon une étude publiée en 1995 par Paolo Mauro, économiste central du F.M.I., plus faible que celui de certains pays européens tels que l’Italie ou le Portugal.
Nous avions le même niveau de perception de la corruption que l’Espagne. En Afrique, nous occupions le peloton de tête!
De même, il n’y a pas aujourd’hui un seul Camerounais parmi les cent hommes les plus riches d’Afrique sub-saharienne, signe de la faiblesse de nos groupes industriels. Mais il y a trente ans, il y en avait deux!
Le Cameroun doit être gouverné et la nation doit retrouver son unité: Le redressement économique du Cameroun ne peut pas s’effectuer dans un contexte d’immobilisme.
Or, dans ma dernière lettre ouverte au Président de la République, j’ai expliqué que c’est là le grand mal de notre pays.
En termes techniques, l’immobilisme résulte principalement de deux choses:
– l’agencement semi-présidentiel de nos institutions, qui conduit à la dilution de la responsabilité entre le Chef de l’État et le Premier ministre; et le rôle accessoire auquel est réduit le parlement qui tient lieu bien souvent de simple chambre d’enregistrement.
En termes plus simples, que cela signifie-t-il? Que le Cameroun n’est tout bonnement pas gouverné.
Pour qu’il le soit, il faut comme je l’ai recommandé auparavant, supprimer le poste de premier ministre pour que le Chef de l’État ait une action directe et un contrôle entier sur le gouvernement et l’application des grandes orientations.
Il faut aussi donner plus de pouvoir au Parlement – c’est-à-dire aux députés que vous élirez la semaine prochaine – en le laissant peser réellement dans la définition des grandes orientations ainsi que dans le contrôle de l’exécutif.
Le rétablissement de la confiance, qui comme vous le savez est mon maître mot, passe par ces réformes. Sans elles, pas de fin à l’immobilisme.
Or, demander ces réformes au président Biya, c’est demander des mangues à un bananier!
Elles se feront donc après lui. Ce sera à nous, à vous, à moi, de les mettre en œuvre.
Mais pouvons-nous pour autant nous dispenser d’agir dès aujourd’hui pour préparer sereinement l’après-Biya?
Certes, le Cameroun s’est doté de procédures organisant la succession de l’actuel Président. Mais tout laisse craindre toutefois que la passation sera un moment extrêmement périlleux.
La mise en place récente du Sénat règle le mécanisme institutionnel de succession du chef de l’État en cas de vacance du pouvoir. Du moins, faut-il l’espérer! 120 jours pour organiser des élections qui tourneraient la page à une présidence de plus de 30 ans, c’est un peu court.
Mais, écartant l’hypothèse de la vacance subite de l’exécutif, le scénario n’est guère plus réaliste. En effet, les manipulations du calendrier électoral font qu’en 2018 devraient se tenir à la fois, l’élection présidentielle, les élections sénatoriales, les élections législatives et les élections municipales!
Quand cessera-t-on de considérer que les délais inscrits dans la loi sont indicatifs? Il n’y avait pas de « crise grave » pour justifier le report des élections législatives. Pendant que certains pays organisent des élections pour sortir d’une crise, notre pays manipule le calendrier électoral au risque de nous entraîner dans une crise ou dans une vacance institutionnelle préjudiciable au bon fonctionnement de l’État.
Les conditions dans lesquelles le successeur de Paul Biya accédera à la magistrature suprême détermineront largement sa capacité à gouverner le Cameroun.
Le temps est révolu où l’on pouvait penser avec Marx que la violence soit la «sage-femme de l’histoire». Que le Cameroun pourrait arracher sa liberté, sa prospérité et se construire politiquement en un soir, en une nuit, voire en un « printemps » de tous les dangers.
Donc, si nous ne pouvons pas immédiatement mettre fin à l’immobilisme dans lequel le pays est englué, nous devons sans attendre tout faire pour neutraliser le potentiel de violence et d’instabilité que portent l’échéance de 2018 et l’éventualité de la vacance subite.
Que pouvons-nous faire dans ce sens? Mon appel va vous sembler abstrait, mais il est en réalité d’une portée très concrète: la nation doit recouvrer son unité.
Le pouvoir a favorisé les divisions de toutes sortes.
Sur le plan de la justice sociale, malgré l’apparition incontestable d’une classe moyenne, la distribution de la richesse reste trop inégale et rien n’a été fait pour adapter le modèle économique afin de soutenir les plus vulnérables: les femmes, les jeunes, le monde rural, qui sont les plus exposés aux fléaux de la pauvreté, du chômage, de l’illettrisme, mais aussi aux conséquences des bouleversements climatiques telles que les inondations et la sécheresse.
Sur celui de la justice tout court, tous les jours les lois sont bafouées, nos droits fondamentaux violés, la confiance rendue impossible et la méfiance réciproque entre l’État et les citoyens endurcie. C’est ce qui fait que le Cameroun est un pays pauvre et qui le restera encore longtemps si nous ne mettons pas en place une société inclusive dans laquelle le pouvoir est partagé et contrôlé. C’est ce que j’ai appelé une SOCIÉTÉ DE CONFIANCE.
Sans elle, le Cameroun continuera de rétrograder. Comment accepter que le Cameroun, au début de ce 21ème siècle, soit classé par les U.S.A., la plus ancienne démocratie ininterrompue du monde, parmi les pays détenant des prisonniers politiques! Ces pratiques d’un autre siècle rajeuniront certains, mais à la jeunesse camerounaise, à ceux qui vivent dans le temps présent, c’est le signe d’un régime usé, qui jette ses dernières cartes, d’un pays qui rétrograde.
Ce n’est pas tout: des crispations tribalistes pénètrent toute la société et chaque acte de l’exécutif semble être pour les favoriser. Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, en passant par le littoral, les populations ont le sentiment d’être méprisées, ignorées. Notre pays est de plus en plus une juxtaposition de régions ou d’ethnies, régression qui nous ramène des dizaines d’années en arrière. C’est un des plus grands échecs à mettre au passif de Paul Biya.
Ce vecteur de division entre les Camerounais est le plus sûr moyen à la fois de décevoir les espoirs de ceux qui espèrent l’après-Biya, et de conforter les craintes de ceux qui redoutent son départ du pouvoir.
Nous nous devons au quotidien, malgré l’action contraire de l’État, de dépasser ces clivages, d’oublier ces fausses distinctions, de faire taire la méfiance pour bien nous pénétrer de cette vérité: nous n’avons d’avenir que commun.
Cet appel à l’unité que je lance ici répond aussi à une situation historique qui va s’aggraver au cours des cinq prochaines années: il s’agit de l’instabilité à nos frontières.
Désormais, des réseaux terroristes et mafieux infiltrent notre pays, des troupes armées y font même des incursions. Peut-on écarter le risque qu’à la faveur d’on ne sait quelle combinaison, notre pays finisse par être déstabilisé? Ferons-nous encore longtemps semblant de ne pas voir que c’est une menace à l’intégrité territoriale de notre pays? Saurons-nous nous unir pour y faire face?
Mais, le choix de l’unité ne doit pas être seulement un choix négatif. L’unité est la condition du rayonnement du Cameroun.
Je reviens pour finir aux élections du 30 septembre prochain.
J’espère avant tout que l’éclairage que je vous ai apporté vous aidera à faire votre choix.
Ne vous laissez pas tromper par les apparences. Les plus ardents réformateurs, ceux qui seront les plus à même de transformer notre pays, ne sont pas tous dans l’opposition. Pas plus que ne s’y trouvent ceux qui tentent de promouvoir le sectarisme, la haine et la violence au rang de méthode légitime de l’action politique. À l’inverse, les plus conservateurs, les prébendiers du système, ne sont pas tous au RDPC.
Surtout, prenez conscience des enjeux du quinquennat, des risques et des moyens d’en faire des opportunités; voyez votre destin dans celui de la collectivité.
À vous, candidats dont l’engagement au service du pays est sincère, je voudrais adresser un message d’encouragement. Certes, tant que nous serons dans une société de méfiance, une société exclusive, vos pouvoirs seront limités; mais la nation compte sur vous pour relever les défis auxquels le pays sera confronté durant votre prochaine mandature. Les Camerounais sont prêts à tout endurer: souffrance, privation et pauvreté, dans l’espoir d’un avenir plus souriant pour leurs enfants.
Aux nouveaux partis qui se lancent dans la campagne, dont je connais parfois la qualité des dirigeants pour avoir servi avec eux au gouvernement, ou pour les avoir côtoyé dans mes fonctions antérieures, je souhaite bonne route. Qu’ils sachent que je suis attentivement leurs activités, et que j’espère qu’ils contribueront à animer le débat politique dont notre pays a cruellement besoin.
En guise de conclusion, je voudrais encore vous parler de notre pays, le Cameroun:
– Quand il est uni, mobilisé, rassemblé, c’est un pays courageux, capable de relever tous les défis et de faire face à toutes les menaces.
– Quand il est désabusé, sans objectif clair, c’est un pays qui glisse vers la facilité, le désordre, l’égoïsme, qui se montre incapable de tirer avantage de tous ses atouts.
Dans les cinq ans qui viennent, il faudra qu’il tourne décidément le dos à la médiocrité et qu’il prenne le chemin de la grandeur, qui est, j’en suis profondément convaincu, sa destinée.
Pour cela, le seul moyen est que le Cameroun devienne une SOCIETE DE CONFIANCE: confiance en nous-mêmes, confiance en l’autre.
C’est cette mission que je continuerai à mener comme un combat.
Marafa Hamidou Yaya, prisonnier politique de Paul Biya