L’avocate, militante des droits de l’homme, a, en quelques jours d’incarcération à la prison centrale de Kondengui, gagné l’estime des autres détenues de cette maison d’arrêt, selon un avocat du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc). Par son courage enviable, la « dame de fer » a ajouté une touche féminine à un combat où n’avaient émergé, jusqu’ici, que des figures masculines.
Au cabinet de maître Michelle Ndoki à Douala, le travail se poursuit normalement. Le visiteur ne remarque pas à première vue l’absence du maître des céans. Toutefois, ce climat de sérénité cache mal l’angoisse liée aux lendemains, à l’issue incertaine de ce qu’il convient désormais d’appeler l’affaire Michelle Ndoki, ou plutôt l’affaire Maurice Kamto, Alain Fogue Tedom, Michelle Ndoki, Albert Dzongang, Paul Eric Kingue, Gaston Abe Abe alias « général » Valséro et compagnie. Car les causes des uns et des autres sont liées, autant que leurs destins, dans ce procès que Tibor Nagy, Dupont Moretti, entre autres, ont qualifié de politique.
« Je ne suis ni sereine, ni dans l’anxiété, parce que c’est une situation difficile à définir. Donc je regarde, je suis prévenante et pragmatique. Je suis consciente que cette situation peut s’enliser et peut s’éterniser. Tout comme les choses peuvent aussi changer brusquement et qu’elle [Me Ndoki] se retrouve dehors », a confié une collaboratrice de l’avocate. Au téléphone avec le reporter du Jour dans l’après-midi du jeudi, 21 mars 2019, cette proche collaboratrice de la vice-présidente du directoire des femmes du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc) ne laisse pas à son interlocuteur l’occasion de deviner la moindre émotion, ni le moindre sentiment de défection dans sa voix. Le portail de la diaspora camerounaise de Belgique. Les affaires courantes sont gérées par maître Leticia Rose Mbondo Kanga, une autre collaboratrice de l’avocate privée de liberté voici bientôt un mois. « Le cabinet depuis l’arrestation de maître Ndoki est géré. Il y a particulièrement un avocat avec qui elle travaillait, qui suit les dossiers en cours. Les dossiers les plus compliqués et les nouveaux dossiers, on les a laissé couler, le cabinet s’est déconstitué. Mais les procédures pendantes, le cabinet les suit jusqu’à la fin par une autre avocate qui travaille au cabinet », nous a-t-on confié au secrétariat de cette « prisonnière du président ».
L’avocate au barreau du Cameroun est tombée dans les mailles des filets des forces de sécurité camerounaises le mardi 26 février 2019 dans des circonstances qui, jusqu’ici, n’ont pas cessé de nourrir la polémique et les controverses. Il demeure cependant constant que la femme de loi était en compagnon de son époux canadien, lors de son interpellation dans le Sud-Ouest par des hommes encagoulés et armés jusqu’aux dents. Le couple a aussitôt été conduit à Yaoundé. Après quelques auditions, maître Ndoki a été placée sous mandat de dépôt à la prison centrale de Yaoundé, au quartier Kondengui, où elle a rejoint ses autres concitoyens arrêtés pour leurs liens présumés avec les manifestations du 26 janvier 2019 dans certaines villes du Cameroun dont Douala, Yaoundé, Bafang, Dschang et Bafoussam.
Leader au quartier des détenues
Depuis lors, Michelle Ndoki est en attente de son procès avec une centaine d’autres militants et sympathisants du Mouvement pour la renaissance du Cameroun, parmi lesquels des dirigeants du parti politique porté sur les fonts baptismaux en 2011, candidat aux élections législatives/ municipales de 2013 et aux présidentielles de 2018. Camer.be. Au Mrc, cette arrestation a été taxée de « bêtise ». « Nous avons pris cela comme de la provocation de la part du régime, qui n’a pas d’arguments objectifs à opposer aux revendications Mrc », s’est offusqué Okalla Ebode, le trésorier national adjoint du parti de Maurice Kamto, contacté hier par Le Jour.
Les mêmes infractions sont retenues contre la militante des droits de l’homme et ses coaccusés au rang desquels l’artiste Gaston Abe Abe dit Valséro, qui avait manifesté ouvertement son engagement aux côtés du parti politique de l’opposition depuis l’élection présidentielle du 7 octobre 2018. Une élection remportée officiellement par le président sortant, mais qui n’a pas fini de livrer ses rebondissements, puisque Maurice Kamto continue de réclamer sa « victoire », de contester le deuxième rang (avec 14,27% de suffrages exprimés, loin derrière le candidat Paul Biya, 71,28%) à lui attribué par le Conseil constitutionnel. L’info claire et nette. Au nombre de ces chefs d’accusation, il y a, entre autres, la rébellion en groupe, l’hostilité à la patrie, l’incitation à l’insurrection, le trouble à l’ordre public. En attendant un hypothétique élargissement de l’avocate avec les autres cadres du Mrc, les procédures pendantes du cabinet sont suivies jusqu’à leur aboutissement par une autre avocate. Maître Simh, l’un des conseils des militants inculpés du Mrc, dit de cette femme qu’elle est un roc : « sereine, sûre de son innocence et fière de son combat ». « Elle est au quartier des femmes de la prison principale et est devenue en quelques jours leur leader naturelle. Elle est entourée de Maurice Kamto et des autres leaders et apprécie les visites de son époux, de sa famille et de ses avocats. »
L’autre procès
Il y a quelques mois, maître Ndoki avait déjà eu des démêlés avec la justice camerounaise pour avoir participé à Douala, le 27 octobre 2018, à une marche visant à réclamer la « victoire » du Professeur Maurice Kamto à l’issue de l’élection présidentielle du 7 octobre. A la première audience du procès au tribunal de première instance (Tpi) de Douala-Bonanjo, le ministère public annonce l’abandon des charges contre l’activiste et les dizaines d’autres militants du Mrc interpellés au cours de la même marche. Mais contre toute attente, le même ministère public revient sur sa décision : au Tpi de Bonanjo, le rôle des audiences affichées il y a quelques semaines de cela, mentionne l’affaire Ndoki et 41 autres personnes interpellées dans le cadre des « marches blanches » du 27 octobre à Douala.
Pour son confrère maître Levi Deffo, avocat au barreau du Cameroun, Michelle Ndoki est dans son rôle. « Le combat de maître Ndoki fait partie des missions de l’avocat. On prête serment pour lutter pour la justice, pour être aux côtés des faibles. Quand bien même on serait également aux côtés des riches, mais le plus important c’est de faire prévaloir la justice. Dans une société qui est devenue tyrannique comme la nôtre, assez injustice et corrompue, je pense que la personne qui est la mieux placée pour dénoncer, c’est l’avocat », soutient cet observateur et homme de loi, qui se veut aguerri et avisé.
Née le 1er janvier 1972, Michelle Ndoki fréquente tour à tour l’école du Centre, à Yaoundé, et le collège d’enseignement général (CES) d’Elig-Essono, et elle obtient son baccalauréat en 1991 au lycée Joss de Douala. Alors qu’elle rêvait d’une carrière en psychologie ou en marketing, son père lui recommande des études en droit des affaires à Reims en France. Elle en sort juriste des entreprises. De retour au bercail en mai 1997, elle travaille pendant cinq ans comme juriste en conseil et droit des entreprises au cabinet de maître Marie Andrée Ngoué, aujourd’hui très influente au Groupement inter patronal du Cameroun (Gicam), notamment à la cour d’arbitrage de l’organisation patronale.
« Dame de fer »
De 2006 à 2012, Michelle Ndoki met ses compétences au service d’Orange Cameroun et de Guinness Cameroun. Redevenue indépendante, la juriste en profite pour compléter sa formation. Le 4 mai 2018, elle est inscrite au barreau du Cameroun comme avocate. Sur le plan politique, Michelle Ndoki milite au Cameroon People Party (CPP) dès 2014. Pendant les deux années qui suivent, elle est engagée auprès de l’organisation Freedom Generation avant de rejoindre le Mrc en décembre 2016. Elle y gravit rapidement les marches jusqu’à ce que les contestations relatives aux élections présidentielles d’octobre 2018 révèlent son hyper activisme.
Son camarade Okalla Ebode ne la connait pas particulièrement. Toutefois, il dit avoir côtoyé cette « dame de fer » avant sa migration pour le Mrc. « Avant son arrivée au Mrc, on avait déjà des relations d’estime, de sympathie. Ces relations ont grandi davantage quand elle a décidé de rejoindre le Mrc, qui est un assemblage des intelligences. J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour elle. Je ne peux pas dire que j’ai des relations particulières avec elle, mais la sympathie mutuelle que nous développons l’un vis-à-vis de l’autre fait que nous soyons unis », déclare le trésorier national adjoint du parti de l’opposition camerounaise le plus actif du moment.
Le Jour : Théodore Tchopa