L’économiste, tout au long de sa brillante carrière, a toujours eu le courage de ses idées qu’il a présentées au fil des ans sous diverses casquettes. En soutenant la candidature de Maurice Kamto à la présidentielle de 2018, il s’est résolument engagé pour le changement au Cameroun.
Il est courant de dire que l’on ne sait pas de qui l’avenir sera fait. C’est encore plus le cas pour ce qui est de Christian Penda Ekoka. Le cours des événements le concernant a pris pas mal de monde de court. Tout comme cet économiste bien connu, conseiller technique du président la République, a une fois de plus dérouté bien de gens. Il y a encore un an, et bien moins de temps encore, personne ne l’aurait imaginé dans la tenue du prisonnier politique qu’il revêt depuis le 28 janvier 2018. Ce jour-là, il a été interpellé à Douala, en même temps que Maurice Kamto et d’autres cadres du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (Mrc). Ils se trouvaient au domicile d’Albert Dzongang, qui a lui aussi été arrêté et conduit nuitamment à Yaoundé.
Le samedi précédent son arrestation, l’on avait vu Christian Penda Ekoka marcher aux côtés de Maurice Kamto. On les avait également vus au chevet de Me Michèle Ndoki, blessée ce jour-là. Christian Penda Ekoka poursuivait ainsi un engagement entrepris, contre toute attente, à la veille de l’élection présidentielle du 07 octobre 2018. C’est en effet le 20 septembre 2018 que le conseiller technique à la présidence de la République annonce qu’il soutiendra le candidat du Mrc. Il avait certes déjà fait savoir à travers quelques sorties qu’il ne soutiendrait pas le président Paul Biya dans la quête d’un nouveau bail à la tête du Cameroun.
« Je sélectionnerai de l’univers des soutiens possibles le candidat qui aura pour moi manifesté la volonté de défendre le peuple, de changer le Cameroun pour la population. C’est un candidat qui doit toujours avoir la population en tête. (…) Je connais ceux qui font dans la langue de bois, mais je connais également des candidats qui ont véritablement un engagement vis-à-vis des populations pour transformer le pays, pour améliorer les conditions de vie du peuple », avait-il notamment déclaré sur un plateau de télévision. Le lancement, au début du mois de septembre 2018, du mouvement Agir avait permis de comprendre que des années de collaboration avec Paul Biya n’avait pas affecté l’esprit critique de Christian Penda Ekoka. Le mouvement qu’il lançait se voulait une plateforme de réflexion visant à rassembler des jeunes aux idées novatrices. Il a été suivi par un certain nombre de personnes qui se sont immédiatement mises au travail et qui, malgré l’interpellation de leur leader, murissent divers projets au siège d’Agir au quartier Madagascar à Yaoundé. Ceux-ci continuent d’avancer dans la mise sur pied des chantiers de la jeune association, confortés par le message du président qui, depuis son lieu de détention les a fait savoir qu’il allait bien et restait attaché aux valeurs qui ont rapproché Agir du Mrc.
Propositions de réformes
Pour Christian Penda Ekoka, il était important de changer de cap. « Depuis une quarantaine d’années, j’ai été associé à de nombreuses réflexions qui ont abouti à des propositions de réformes majeures. Si elles avaient été appliquées, le sort de notre pays aurait été bien meilleur. J’en ai tiré une conclusion fondamentale : le Cameroun présente des manifestations économiques et sociales (atonie de la croissance, aggravation de la précarité, des inégalités, de la pauvreté et de l’insécurité) d’un mal dont l’origine est profondément politique » », déclarait-il.
S’appuyant sur son expérience de consultant au niveau international, il notait que les pays aux institutions politiques ouvertes et où les populations étaient fortement impliquées dans la gestion des affaires étaient plus prospères que ceux aux institutions politiques monolithiques. « Je suis donc porteur, avec des jeunes, d’un projet, d’une vision, d’un mouvement qui visera à changer les mentalités, renforcer les capacités et influencer le champ politique afin qu’émerge un Etat réformé où règne la démocratie, justice, le droit et la prospérité pour tous. Il est tant que l’on prenne notre destin en main », lançait-il dans le texte fondateur d’Agir.
Et pourquoi le choix du candidat Maurice Kamto ? «Nous avons utilisé plusieurs critères incluant notamment l’occupation du terrain par le candidat, le volume et la fréquence des meetings, l’expérience du candidat, le programme du candidat et par-dessus tout, la volonté et la détermination du candidat, de transformer et de moderniser le Cameroun. Nous l’avons fait au sein du Mouvement Agir, mais pour ne pas rester dans un choix de mouvement, après avoir épuisé ces critères, on s’est dit qu’il fallait aussi confier ce processus de sélection à une tierce partie. C’est à partir de cela qu’il y a eu convergence entre notre classement et le classement tiers. Et celui qui a obtenu le meilleur score c’est Maurice Kamto. Et sur cette base, nous avons décidé de lui apporter tout notre soutien.», avait-il dit. Pour le président du Mrc, il s’agissait d’un soutien de poids dans sa conquête du pouvoir, car Christian Penda Ekoka s’était depuis longtemps imposé comme une voix que l’on écoute, notamment sur les questions économiques.
Avant même de devenir conseiller technique à la présidence de la République, il n’a eu de cesse de faire des propositions sur divers aspects de l’économie camerounaise. Ses idées, Penda Ekoka les a exprimées à travers les médias, au sein du Rdpc, le parti au pouvoir dont il a été militant pendant 22 ans, mais aussi à travers les différentes publications qu’il a faites. Même comme militant du Rdpc, il a toujours critiqué ce qu’il considérait comme des manquements dans la gestion des affaires publiques. Alors qu’il est chargé de mission au Comité central du Rdpc, il fera partie au début des années 2000 du courant des « modernistes ». Ceux-ci vont dénoncer un certain nombre de problèmes dans le parti et dans la gouvernance du Cameroun, à travers notamment le livre blanc qu’ils publieront en mai 2003.
Penda Ekoka, en tant que porte-parole de ce courant, est souvent sous les feux des projecteurs et ses propos sont parfois durs. On a même l’impression, à l’écouter, d’entendre parler un leader de l’opposition. En avril 2004, invité par l’association Contact Média, il dresse un tableau sombre du Cameroun et du Rdpc : un Etat où il règne une certaine impunité, une économie nationale trop dépendante des institutions internationales, un pays géré selon une logique coloniale, un parti au pouvoir mal conduit… Mais le fondateur d’Agir est avant tout un économiste chevronné, qui a acquis ses diplômes à l’Ecole Polytechnique de Montréal (Ingénieur industriel), à McGill University (Management et économie) et à Concordia & McGill Universities (Master of Business Administration (MBA), option Production et Finance) entre 1972 et 1978. Titulaire d’un baccalauréat C obtenu en 1971 au collège Libermann à Douala, il a été sélectionné par l’Agence canadienne de développement international (ACDI) pour poursuivre des études d’ingénieur au Canada. Il passera par un cycle préparatoire en mathématiques et physique au collège Brébeuf à Montréal entre 1971 et 1972.
De retour au Cameroun, il est employé dès janvier 1979 à la Société nationale d’investissement (Sni). Il y sera analyste de projets, puis, de 1982 à 1992, directeur des études et projets. Il sera cumulativement, de 1990 à 1992, administrateur délégué de l’Hôtel Hilton Yaoundé. «Comme responsable d’une équipe de plus de douze (12) cadres (comprenant ingénieurs, économistes, juristes) ma tâche principale consistait à animer et coordonner les activités liées au développement et au financement des projets incluant : l’identification, l’évaluation d’opportunité, la préparation des études de pré-investissement, l’évaluation de la décision d’investissement, la recherche de financements, l’implantation et le contrôle d’exécution des projets dans des secteurs tels que l’agro-industries (raffinerie d’huile de palme, complexe sucrier), les mines (rutile, sidérurgie, bauxite/alumine), la métallurgie (laminoir à chaud), la chimie, les matériaux de construction (cimenteries, fer à béton), les industries alimentaires (eaux minérales, minoteries, conserveries de tomates), la pêche industrielle (flotte de chalutiers), les industries avicoles (élevage, abattoirs, conservation et conditionnement, production d’aliments de bétail), les hôtels (Hôtel Hilton Yaoundé), les banques, maintenance (chantier naval et industriel), transformation tertiaire du bois, etc. », précise-t-il.
Consultant pour la Banque Mondiale
A son départ de la Sni en 1992 (démission), il crée le cabinet Business Development Service (BDS ou InsightBDS) dont il est président directeur général. Il est spécialisé dans l’ingénierie et le financement de projets, le conseil en investissement, l’économie et les stratégies industrielles, le renforcement des capacités des institutions/ entreprises publiques et privées. Ses prestations se font au Cameroun et dans plus de 25 pays d’Afrique et des Caraïbes. BDS est agréé comme fournisseur de services de consultations au Groupe de la Banque Mondiale.
En marge des nombreuses sollicitations, il ne loupe pas une occasion de donner un avis sur la marche des affaires au Cameroun. Et toujours de façon très critique. D’où la surprise de certains observateurs lorsqu’il devient en 2010 conseiller technique au cabinet civil de la présidence de la République. Christian Penda Ekoka ne perdra cependant jamais sa liberté de ton. En novembre 2017, il déclare, par exemple, dans une interview : «Quand le FMI congratule les dirigeants de l’Economie et des Finances d’un pays, je deviens très inquiet pour le développement de ce pays. S’agissant du Cameroun, je suis inquiet pour la réalisation des objectifs de la politique poursuivie par le Chef de l’Etat, car ceux-ci visent la satisfaction des aspirations économiques et sociales de ses compatriotes, or sur ce plan nous sommes loin du compte. La boussole du Chef de l’Etat ce n’est pas le FMI, ce sont ses compatriotes. Et les ministres sont des collaborateurs du Chef de l’Etat, et non du FMI». Avant d’asséner à Jeune Afrique, en septembre 2018 alors qu’il est encore en poste au cabinet civil de la présidence de la République et membre du Rdpc : « Pourquoi me battrais-je pour un candidat que je ne soutiens pas ? »
A 67 ans, Christian Penda Ekoka est père de trois enfants. Il est membre d’un certain nombre d’associations professionnelles (association des Anciens Elèves de l’Ecole Polytechnique de Montréal, American Association of Industrial Engineers, The Competitiveness Institute). Il est également l’auteur de plusieurs articles sur l’économie, l’aviculture, le financement de l’économie, le partenariat public privé pour le développement des infrastructures: défis et opportunités pour les pays en développement; l’analyse des enjeux et risques respectifs des acteurs dans le partenariat public-privé; la rémunération des risques dans le partenariat public privé. En 1997, il a publié un essai intitulé « Cameroun : vers le troisième millénaire ». En 2013, son cabinet, Bds, publiait « Cameroun : Terre d’Hospitalité et d’Opportunités, votre meilleur compagnon d’affaire ». Le milieu dans lequel il se trouve aujourd’hui n’est pas des plus hospitaliers, mais l’économiste y poursuit le combat pour permettre aux Camerounais de bénéficier des opportunités que leur pays offre.
Le Jour : Jules Romuald Nkonlak