C’est à l’unanimité que l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi modifiant partiellement le code électoral, les députés de l’opposition n’ayant pas pris part aux travaux du samedi 30 mars. Un tournant majeur dans la bataille politique qui oppose le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC -au pouvoir) aux principaux partis d’opposition depuis le 20 mars dernier, date de l’introduction au Parlement de ce texte vivement contesté.
Trois points du code électoral ont ainsi été modifiés par les députés : les articles 249, 250 et 257. L’article portant sur le nombre de conseillers que comptera chacune des 10 régions prochainement mises en place dans le pays a particulièrement retenu l’attention de l’opinion publique et alimenté les débats.
Répartition à problème
« Le gouvernement a choisi d’attribuer 90 conseillers par région. Les zones ayant des grandes différences démographiques se retrouvent avec le même nombre de conseillers, c’est inéquitable. C’est évident, le régime veut rafler tous ces postes avec les près de 95% de conseillers municipaux dont ils disposent », explique Emmanuel Ntonga, cadre du Social Democratic Front (SDF – premier parti d’opposition au Cameroun).
Le 25 mars dernier, le ministre de la Décentralisation George Elanga Obam avait du défendre cette répartition devant la Commission des lois constitutionnelles pendant un peu plus de 5 heures. Les députés d’opposition membres de ladite Commission étaient alors déterminés à comprendre le choix de cette répartition, ainsi que les raisons d’une modification partielle du code électoral, alors que des acteurs politiques réclament sa révision complète. Les débats étaient particulièrement houleux, manquant de peu, de pousser le ministre dans ses retranchements.
« Nous avons dit aux députés qui pensaient que l’option égalitaire n’était pas la bonne que toutes les régions ont la même importance, et exercent les mêmes compétences. La Constitution, ainsi que la loi le prévoyant, il était normal que toutes nos régions aient le même nombre de représentants dans les conseils régionaux », a déclaré le ministre de la Décentralisation George Elanga Obam, après l’adoption du texte. « Les choses vont pourvoir s’accélérer à présent », a-t-il ajouté.
Des élections régionales avant les législatives et municipales ?
Mais la vitesse de croisière annoncée par le ministre Elanga Obam n’est pas appréciée par les partis d’opposition. Ceux-ci redoutent, en effet, que les élections régionales se tiennent avant les législatives et les municipales. « Elire les conseillers régionaux par un corps électoral sans aucune légitimité est inacceptable », a dénoncé le député SDF Joseph Mbah Ndam, à l’issue d’une réunion du comité exécutif national de son parti. Il souligne que le mandat des députés et des conseillers municipaux ayant été prorogé d’un an en 2018 en raison de l’organisation de la présidentielle, l’on devrait logiquement se consacrer aux législatives et municipales avant les régionales.
Même credo au sein du Mouvement pour renaissance du Cameroun (MRC – opposition), où l’on promet des actions pour empêcher cette « infamie ». « Le MRC dénonce la modification partielle et partiale de la Constitution du Cameroun et de la loi portant code électoral. Le régime ayant insidieusement opté d’organiser les élections régionales avec un collège électoral illégitime et complètement acquis à sa fraude organisée », avait martelé pour sa part le vice-président du MRC Emmanuel Simh, au cours d’une conférence de presse donnée le 28 mars dernier.
Interrogé sur le sujet, le ministre de la Décentralisation n’a pas souhaité s’exprimer sur l’ordre des différentes élections à venir. Selon des dispositions du code électoral, le processus de chaque élection commence avec la convocation du corps électoral par le président de la République, 90 jours au plus tard avant le jour du vote. Ce qui fait du président Paul Biya, le seul maître du calendrier électoral.
Crise anglophone
Dans son discours de fin d’année, Paul Biya promettait la tenue d’élections régionales au cours de cette année, tout en la présentant comme l’une des réponses aux revendications des populations des régions anglophones du pays. Depuis lors, les violences n’ont pas connues d’accalmie sur le terrain, ce qui suscite des interrogations sur les conditions d’organisation d’une élection dans ces zones en crise.
« Dans un régime normal, on aurait d’abord résolue cette crise qui dure depuis trois ans avant de parler d’élections. On nous propose les régionales comme solution, on prétend que la décentralisation viendrait résoudre le problème anglophone. Or, c’est faux », a affirmé à Jeune Afrique le sénateur SDF Paul Tchatouang après l’introduction du texte à l’assemblée. « Nous ferons tout pour que le régime revienne sur sa décision avant les élections », a-t-il ajouté.
Passée l’adoption à l’Assemblée nationale, le projet de loi portant modification du code électoral sera sur la table des sénateurs dès ce lundi. Sauf retournement de situation, ce texte devrait également être adopté par les sénateurs dont la grande majorité appartient au RDPC. La voie sera ainsi ouverte, pour l’organisation des élections régionales, tremplin pour une implémentation effective des régions.
Jeune Afrique