[spacer style="1"]
C’est le début d’une revanche sur l’histoire à laquelle il a préféré ne pas assister. « Je n’en ai pas le courage », concédait Michel Thierry Atangana à la veille de l’atelier de réflexion qui s’est tenu à l’Assemblée nationale mardi 2 avril. La réunion s’était fixé pour mission de rappeler le calvaire de cet homme ayant croupi « dix-sept interminables années » dans une geôle au Cameroun, mais aussi de trouver, à partir de ce cas si emblématique, les moyens d’offrir une meilleure protection aux Français détenus à l’étranger. Une proposition de loi, aujourd’hui en construction, doit être prochainement déposée.
De protection, pendant plus de douze ans, M. Atangana n’en a reçu aucune de la part du pays dont il avait choisi la nationalité en 1988 après son mariage avec une Française – le Cameroun ne reconnaît pas la double nationalité. Son histoire est autant celle de la justice camerounaise, qui, au nom de la lutte contre la corruption, embastille ceux qui affichent trop ouvertement une ambition présidentielle, que celle de la diplomatie française, qui, pour ne pas froisser un régime ami, laissa l’un de ses citoyens mourir à petit feu dans un cachot.
Cellule souterraine
Le cauchemar de Michel Thierry Atangana débute le 12 mai 1997, lorsque cet expert financier, nommé par le président Paul Biya à la tête d’un consortium chargé de piloter la construction de routes au Cameroun, est interpellé puis accusé de « détournement de deniers publics » et « trafic d’influence », « en coaction » avec Titus Edzoa, un ancien secrétaire général de la présidence qui eut le malheur de se porter candidat à l’élection prévue cette année-là. Jugés en une nuit, le 3 octobre 1997, sans avocat, les deux hommes seront condamnés à quinze ans de détention.
L’ordonnance de non-lieu rendue en 2008 par un nouveau juge d’instruction camerounais, puis l’arrivée en 2009 d’un nouvel ambassadeur de France à Yaoundé, Bruno Gain, qui permet à M. Atangana de bénéficier enfin de la protection consulaire quand ses prédécesseurs détournaient les yeux en prétextant de la non-ingérence dans les affaires judiciaires du pays, seront quelques minces et éphémères lueurs d’espoir entrevues depuis les 7 m2 de sa cellule souterraine du secrétariat d’Etat à la défense, à Yaoundé.
En 2012, lors d’un second procès, les deux prisonniers, bientôt arrivés au bout de leur peine, sont condamnés pour les mêmes faits à vingt ans de prison. Ce sera la sentence de trop, celle qui permettra de sortir cette affaire de l’ombre. Les ONG Amnesty International et Freedom House s’emparent du dossier. Fin 2013, le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire émet un avis recommandant la « libération immédiate » de M. Atangana et « une indemnisation pour les préjudices causés par sa privation de liberté ».
Oublié des présidences Chirac et Sarkozy, il rentre enfin dans les radars de François Hollande, qui estime cette détention « inadmissible ». « Il a fallu que le département d’Etat américain le considère comme un prisonnier politique, qu’Amnesty International le considère comme prisonnier d’opinion, que les Nations unies reconnaissent sa détention comme arbitraire, pour que la France se saisisse de son cas », relate avec amertume Olivier Falorni, l’un des premiers députés français à s’être saisis du dossier.
Les discrètes pressions politiques venues de l’Elysée ne seront pas vaines. Le 24 février 2014, au même moment que Titus Edzoa, Michel Thierry Atangana recouvre enfin la liberté par le biais d’un décret présidentiel de remise de peine signé de la main de Paul Biya. Puis il s’envole pour la France.
Comptes bancaires gelés
Seulement, cinq ans plus tard, l’homme, aujourd’hui âgé de 54 ans, n’a pas refait sa vie et demeure prisonnier d’une situation ubuesque. N’ayant pas été innocenté, il reste « un criminel » aux yeux de la justice et ses comptes bancaires en France sont toujours gelés sur la base d’une commission rogatoire camerounaise.
« Ma situation est pathétique. J’ai été gracié mais je reste sous le joug de l’administration du Cameroun, je ne suis donc libre qu’à moitié. Je ne peux pas retravailler dans la finance avec une telle tache sur mon parcours. Même mes anciens avocats au Cameroun me poursuivent pour des impayés », explique celui qui n’attend désormais que deux choses : « une réhabilitation en tant que victime, qui me permettra de revenir à une vie normale », et, pour ses années de détention, le versement d’indemnités – 1,512 milliard de francs CFA (2,3 millions d’euros) pour ses salaires bloqués depuis vingt-deux ans et 17 milliards de francs CFA pour ses biens immobiliers saisis et laissés à l’abandon.
« Il peut marcher librement, mais dans sa tête il y a encore des barreaux. J’avais dénoncé par le passé un scandale d’Etats. La France et le Cameroun se grandiraient s’ils venaient à libérer Michel Thierry Atangana de vingt-deux années d’enfermement », juge Olivier Falorni (Mouvement radical).
Lire aussi Emprisonné dix-sept ans sans motif valable, Michel Thierry Atangana attend réparation du Cameroun
Venu spécialement en France pour cet atelier de l’Assemblée nationale, Clément Nakong, l’un des avocats au Cameroun de M. Atangana, relate qu’après avoir été saisies, « les plus hautes autorités à Yaoundé se sont montrées ouvertes et réceptives, prêtes à discuter pour que dossier soit clôturé ». Et de poursuivre avec un message très clair : « Nous sommes venus demander une intervention politique. Au Cameroun, le président est doté de tous les pouvoirs et, dans ce dossier, il n’y a que lui qui peut faire en sorte que notre client soit réhabilité. Nous attendons donc un message des autorités françaises. Paul Biya comprend très bien ce genre de messages. »
« Environ 40 % de l’aide attribuée au Cameroun vient de financements français. On ne peut pas se cacher derrière la non-ingérence dès que cela nous arrange », renchérit la députée Aude Amadou (LREM). Au sein du comité de soutien à M. Atangana, on envisage déjà des solutions financières comme la création par le Cameroun d’une ligne budgétaire dédiée à cette indemnisation, dont les fonds seraient garantis par la France.
« Trait d’union législatif »
Parmi les législateurs sensibilisés à cette affaire est née l’idée de créer « un trait d’union législatif », selon l’expression du député Pierre-Alain Raphan (LREM), qui permettrait de protéger, en cas de détention, les 2,5 à 3 millions de ressortissants français installés à l’étranger. « Nous pouvons tirer de ce cas une vraie protection pour les expatriés, les binationaux et plus largement les touristes », assure-t-il. La proposition de loi sur laquelle Aude Amadou a déjà commencé à travailler prévoirait notamment un alignement effectif et direct de la France sur les décisions et avis des instances des Nations unies telles que le groupe de travail sur la détention arbitraire. La volonté des députés est de l’inscrire au calendrier de l’Assemblée pour 2020.
Michel Thierry Atangana, qui entend utiliser sa « souffrance pour qu’elle serve de manière concrète », voit déjà plus grand et estime que si la France donne l’exemple en la matière, l’Union européenne pourrait s’en inspirer afin de mettre en place une législation destinée à protéger l’ensemble des ressortissants européens.