Pour Max Lobe, si elle n’a toujours pas été reconnue officiellement, la France a bien mené une guerre au Cameroun avant et après l’indépendance du pays dans les années 1950 et 1960.
À mes frères algériens !
Ça y est, le patriarche algérien a dit qu’il s’en va ! L’impensable semble se produire. Je vois déjà de grands yeux me flasher et des voix me demander de la fermer. Qu’est-ce que mon sale bec camerounais peut bien foutre dans le couscous algérien ? Voici, je lève mes mains, devant vous, chers frères algériens ! Regardez-les bien ! Elles sont nues ! Je vous assure, chers amis, je suis clean comme l’eau de roche. Vous n’avez qu’à me fouiller de fond en comble. Jamais vous ne trouverez une arme que j’aurais cachée ou secrètement forgée contre vous, mes chers frères ! Et si même vous devriez en trouver, je ne sais par quelle magie, considérez tout simplement ce petit drapeau blanc, celui-ci que j’agite devant vous maintenant, pour vous dire que vous êtes mes frères et que je vous aime.
Vous êtes du nord de l’Afrique. Mais bien de choses nous lient. Je pense notamment à votre guerre d’indépendance (1954-1962) qui se déroule au même moment que la guerre d’indépendance du Cameroun (1955-1962). Je pense aussi à votre Papa-président qui, à plusieurs égards, ressemble au nôtre à nous Camerounais.
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Frères algériens, je vous aime beaucoup, wallah ! Vous avez réussi – et je le glisse ici avec beaucoup de facilité, je dois l’admettre, car la réalité est, me semble-t-il, un peu plus compliquée – à faire entrer la mémoire de votre guerre d’indépendance dans le sens commun français. Votre guerre d’indépendance, celle où votre peuple s’est levé pour dire non à la présence coloniale, est désormais entendue en France. Combien de documentaires n’a-t-on pas réalisés sur le sujet ? Il me semble même, mes chers frères algériens, que c’est chez vous qu’Emmanuel Macron avait dit texto, certainement en pensant uniquement à votre guerre d’indépendance : « La colonisation est un crime contre l’humanité. » Certains avaient applaudi, quelque peu naïvement, disons-le ainsi. D’autres avaient crié au scandale en arguant qu’un candidat à la fonction suprême française ne devait pas ainsi se laisser aller, quand même ! Wallah ! D’autres enfin, avaient trouvé cela opportuniste ; je me souviens que ces derniers disaient alors que le candidat Macron n’avait qu’à aller chercher tranquillement ses financements électoraux sans jouer ainsi avec des questions aussi délicates comme un enfant qui joue avec les allumettes.
Combien sont-ils, en France, à avoir déjà entendu parler de la guerre du Cameroun ? Cette guerre d’indépendance ultra sanglante qui s’est passée au même moment que la guerre d’Algérie, avec une seule et unique revendication : l’indépendance. Nous l’attendons toujours.
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Vous, mes frères algériens, je salue votre courage, wallah ! Pourtant, il y a encore quelques années, pendant que la cinquième saison, celle-là qu’on avait jugé bon d’appeler printemps arabe, soufflait ses vents de dégagisme par-ci et par-là en Tunisie, en Libye et même en Syrie – nul besoin de présenter ici les fruits très peu comestibles que nous avons récoltés de ce printemps arabe –, des experts occidentaux, la cravate bien nouée et la veste bien taillée, nous expliquaient que non, non et non… Avec leur allure de prêcheurs omniscients, avec leurs yeux embués de certitude, la mine souvent très suffisante, ils nous avaient dit que le cas algérien, le vôtre donc, était différent. Très différent. Soit ! Ils nous avaient dit que ce vent de la cinquième saison ne pouvait pas souffler sur l’Algérie ! Aujourd’hui, je les cherche, ces experts, ces omniscients. Ils sont toujours là. Ils sont bel et bien présents. Ils nous expliquent que, oui, bien sûr, ils avaient vu ce gros nuage s’avancer par petits trots sur l’Algérie. J’attends toujours qu’ils me disent ce que leur météo leur annonce pour le Cameroun.
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Mais tout ça, à vrai dire, mes chers frères algériens, n’est pas le véritable objet de ma missive. Je vous écris, à vous frères algériens, pour vous supplier de nous donner votre solution. Je sais, on dit souvent que le jardin du voisin semble toujours plus vert. Mais là, mes frères algériens, ces derniers temps, votre jardin semble si luxuriant, si émeraude, si… si… si tout simplement beau que j’ai envie d’en savoir le secret. Quel est donc le secret de votre recette ? Pourquoi votre couscous algérien semble avoir un si bon goût aujourd’hui alors même que mon ndolè camerounais reste inexorablement amer. Pourtant, wallah !, nous avons tout fait pour laver notre ndolè, cette feuille d’amarante qui fait la renommée de notre cuisine dans le monde. Mais regardez, goûtez donc, faites le constat par vous-mêmes, notre ndolè est toujours de plus en plus amer.
Dites-nous donc, comment vous avez procédé pour faire retourner la veste de toute une clique, même des militaires, même des plus vibrants soutiens de votre Chef qui vient de déposer sa toque. Il a démissionné ! Le nôtre de Chef, nous avons l’impression que sa toque à lui est cousue au fil de fer sur son crâne. Il a décidé qu’il va continuer de nous servir du ndolè bien amer. Chers frères algériens, dites-moi donc comment faire pour retirer sa toque à notre Chef étoilé, notre Papa-Chef, notre Papa-national, notre Papa-éternel, notre Papa-président.
À mon bien-aimé Papa-président, je souhaite simplement lui dire ces mots, en toute allégeance, en toute amitié. En toute colère.
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« Quarante ans, ah Papa-présiii !
Quarante ans bien comptés, oui ! Toutes ces longues années que Tu es assis sur Ta présidence, le fessier on dirait collé-collé à la super glue sur Ton siège doré, les jambes croisées et un verre de vin de palme bien fermenté en main. Aaah, Papa-président ! Que prends-Tu donc comme vitamine pour ne pas Te lasser de ce pouvoir ? Partage, s’il Te plaît, Ton secret de grand-mère avec nous autres Crevetards qui nous rendons trop vite à la flemme, à la torpeur que nous impose le ciel brûlant sous les tropiques.
On veut savoir : c’est quoi Ton secret, Pâ ?
Tu as pris le pouvoir et Tu en as fait ce que Samuel Eto’o Fils, la star du foot et le plus glamour de Tes supporters, a fait du ballon rond. Le Père, incontestablement, Tu es le 9 du pouvoir sur cette terre ! Qui dit mieux ?
Ton règne dure à jamais, ah, mon Papa-président ! Et Ta domination subsiste, broie, élève, éteint, bouffe, bouffe, bouffe encore, étouffe, ronge, condamne, enferme de génération en génération. Le destin de tout un peuple, le destin de tous les Crevetards, de la plus vieille cultivatrice de cacao édentée qui prise son tabac jusqu’au né de la dernière pluie, notre destin à tous loge au fin fond de Ta poche.
De Toi à moi, qu’on se le dise clairement, le pouvoir Te va bien. Oui-oui, Ton pouvoir Te va comme un gant Hermès. C’est pas pour te flatter. Non. Ce sont pas des flagorneries comme on dit dans le gros français des Blancs dont on nous a abreuvés à l’école-sous-manguier et que les Crevetards utilisent, le gosier large comme celui d’un boa qui veut avaler sa proie. Non, moi, je ne suis pas comme ça. Je dis seulement ce que je vois. Je constate. Le pouvoir Te va à merveille, Pâ-présiii ! Parce que, vois-Tu, on dit souvent que le pouvoir rend solitaire ; qu’à force, ça fait vieillir les cellules, vide le sang de ses globules, augmente la probabilité de tomber raide mort d’infarctus, amoindrit les nerfs. Ça rend fou. Fou, le pouvoir. C’est ce qu’on raconte partout-partout ici dans mon bidonville. On dit qu’un dirigeant à la tête d’un pays aussi grand et puissant que notre Crevetterie, même si, au début, il est un tout p’tit bébé qui tète encore sa maman, allez, hop, il devient vieux dare-dare après quelques mois passés aux affaires.
Regarde donc Toi-même Tes fils Obama et Sarko. Ils ont déjà la barbe toute blanche on dirait que l’esprit du père Noël les possède ! Alors que Toi, aaah, Papa-président ! Tu restes jeune. Tos ! Tas ! Jeune. Beau. Tu restes frais comme une crevette qu’on vient de pêcher du fleuve Wouri.
Je Te jure, Le Père, que je demande toujours à mes frères et sœurs Crevetards de Te foutre Ta dose de paix. Dis donc ! Est-ce que c’est même à cause de Toi que le pays est inscrit depuis des années au programme PPTE, Pays pauvre et très endetté, obligé de vivre sous les ordres des fonctionnaires du FMI, de la Banque mondiale et autres institutions internationales prêteuses de fonds ? Tu n’y es pour rien, voyons ! Non. Parlons peu, parlons vrai : Est-ce Ta faute si la Crevetterie s’est vu retirer l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations pour l’année 2019 ? Bien sûr que non ! Je l’ai dit à Hortense, alias Fou-fou-foot, mais est-ce qu’elle a le niveau intellectuel requis pour comprendre ces choses-là ? Ah, mon Papa-présiii ! J’insiste, je persiste et je réitère : Tu n’y es pour rien, Toi !
O’soan ! La honte de ça ! Le grand frère de Ta honte ! »
Extrait de Papa-président
* D’origine camerounaise, Max Lobe, est l’auteur de « Confidences », paru en 2016 sur l’histoire de l’indépendance du Cameroun et de sa guerre cachée. En mars 2018 paraît Loin de Douala, récit d’un voyage initiatique entre le sud et le nord du Cameroun. Sur son blog, Les Cahiers bantous, il publie régulièrement des nouvelles.
Par Max Lobe | Le Point.fr