Tribune. Les Tchadiens arrêtés jeudi 25 avril lors d’une manifestation interdite contre la vie chère ont été remis en liberté le week-end suivant. Lundi matin, ils se sont présentés devant le procureur et un seul d’entre eux a vu une procédure judiciaire ouverte contre lui – procédure qui n’aurait aucun lien avec la manifestation. Ces arrestations confirment qu’au Tchad, le choix d’un discours sécuritaire intense réduit au silence toute voix dissidente.
Le scénario, bien connu des défenseurs tchadiens des droits humains, est immuable. A chaque appel à manifester, les organisateurs introduisent une demande d’autorisation dont on sait d’avance qu’elle sera rejetée. Puis vient la réponse : manifestation interdite. Une fin de non-recevoir qui, très souvent, ne s’embarrasse que d’une motivation vague et générale liée aux « menaces sécuritaires ». Les organisateurs de la marche bravent l’interdiction, plusieurs manifestants sont arrêtés, font l’objet de mauvais traitements puis sont libérés, parfois après des mois de détention.
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Au Tchad, depuis plusieurs années, le droit de manifester pacifiquement un quelconque mécontentement fait l’objet d’une interdiction totale et systématique, comme le montre une nouvelle fois le refus opposé par le ministère de l’administration du territoire à la demande formulée par les organisateurs de la marche du 25 avril. Ces décisions sont prises au mépris du droit international mais surtout de la Constitution tchadienne elle-même, un signal négatif de plus dans la litanie des violations de droits au Tchad.
Seize mesures d’austérité
Depuis les élections de 2016 et, surtout, l’adoption par le gouvernement d’une série de seize mesures d’austérité en réponse à la grave crise économique créée principalement par la chute du prix du pétrole et le manque de diversification économique, l’espace civique est continuellement restreint au Tchad. Dans cet immense pays d’Afrique centrale, le droit de manifester pacifiquement subit une restriction basée sur l’utilisation que font les autorités d’un arsenal de textes archaïques datant des années 1960, en application desquels toute manifestation publique est soumise à une autorisation, qui n’est pas accordée.
Pourtant, en novembre 2018, lors du passage du Tchad à l’Examen périodique universel (EPU), exercice au cours duquel les Etats sont questionnés par leurs pairs sur la situation des droits humains dans leur pays, le Tchad avait accepté les recommandations visant à modifier deux des textes répressifs sur lesquels se basent les interdictions : l’ordonnance no 45/62 relative aux réunions publiques et le décret no 193/62 portant règlement des manifestations sur la voie publique. Mais tout en s’engageant devant ses pairs, le Tchad n’a cessé de renforcer son arsenal répressif.
Ainsi, en juin 2018, dans le cadre de l’instauration de la Quatrième République, les autorités ont promulgué un certain nombre de textes, dont une ordonnance portant régime des associations, sans tenir compte des recommandations formulées par des organisations nationales et internationales de défense des droits humains. La nouvelle ordonnance contient des dispositions vagues et confère des pouvoirs importants au ministre de l’administration du territoire, par exemple en maintenant une disposition antérieure selon laquelle les citoyens qui créent des associations doivent recevoir au préalable une autorisation avant de démarrer leurs activités.
L’ordonnance comprend aussi des règles particulières en ce qui concerne les associations étrangères, qui doivent faire renouveler régulièrement leur autorisation, mais elle ne précise pas à quelle fréquence. De plus, alors qu’elle donne au ministère de l’administration du territoire une grande latitude pour ce qui est de dissoudre des associations, notamment pour plusieurs motifs comme la sécurité nationale, l’intégrité territoriale et l’ordre public, elle ne donne aucune information sur la signification de ces termes généraux qui peuvent servir à limiter le droit à la liberté d’association.
Réseaux sociaux coupés
Autre signe d’une fermeture progressive de l’espace civique au Tchad : depuis mars 2018, l’accès aux réseaux sociaux est coupé. Si, en soi, la coupure des réseaux sociaux n’est pas nouvelle dans le pays – cela était intervenu en 2016 dans le contexte de l’élection présidentielle –, c’est la première fois que la coupure dure si longtemps. Là encore, le gouvernement utilise un argument sécuritaire, « empêcher les terroristes d’utiliser ces canaux », pour justifier la coupure des réseaux sociaux.
Près de trente ans après l’arrivée au pouvoir du président Idriss Déby, le Tchad, pris en étau entre des frontières sensibles et l’accueil de réfugiés centrafricains, fait le choix d’un discours sécuritaire exacerbé qui réduit au silence toute voix dissidente. Mais l’on peut difficilement faire taire les espoirs de milliers de gens.
Tity Agbahey est chargée de campagne pour l’Afrique centrale à Amnesty International.