Derrière la volonté affichée du président français de rompre avec la politique de l’ancien monde, notamment la Françafrique : des nouveaux impératifs liés aux affaires.
Le journaliste Marc Endeweld signe un second ouvrage sur les réseaux du président Emmanuel Macron, Le Grand Manipulateur. Dans cet ouvrage-enquête, l’ex-journaliste de Marianne explore les réseaux intérieurs mais aussi internationaux du chef de l’État. On y décèle que, malgré sa rupture affichée d’avec les pratiques de la Françafrique, Macron a su tisser une toile de relations et d’intérêts impressionnante, englobant leaders politiques et personnalités hautes en couleur.
Le réseau Benguigui
C’est ainsi qu’on apprend, dans le croustillant chapitre « Afrique Connection » que l’une des « clés » africaines de l’Élysée n’est autre que Yamina Beguigui, productrice et réalisatrice française d’origine algérienne !
C’est en 2016 que Brigitte Macron, la première dame, rencontre la productrice via la journaliste Béatrice Schönberg. Cette dernière est l’épouse de l’ancien ministre Jean-Louis Borloo, « qui a créé et préside la fondation Énergies pour l’Afrique, qui vise à promouvoir l’électrification du continent africain, et dont la vice-présidente n’est autre que… Yamina Benguigui », note dans son livre Marc Endeweld.
Quand Mme Macron rencontre Mme Benguigui à quelques mois de la présidentielle, cette dernière « lui explique le rôle important de l’Algérie vis-à-vis des autres États africains, ou lui décrypte la diplomatie marocaine. Elle lui montre comment les Africains s’organisent aujourd’hui entre Africains. Elle s’inquiète également de la montée de l’influence chinoise, russe et américaine sur ce continent. Elle évoque le rôle stratégique de la francophonie alors que la langue française comptera jusqu’à 850 millions de locuteurs à l’horizon 2050. Brigitte Macron est charmée. Car les Macron connaissent peu l’Afrique ».
« C’est par elle qu’est passée l’invitation de Macron à Alger (comme candidat). Elle a annoncé qu’elle serait la grande manitou de Macron en Algérie et en Libye après les élections, assure l’un de ses proches. (…) Benguigui s’est donc très fortement mobilisée sur le dossier avant et après l’élection d’Emmanuel Macron. Son ami Sassou N’Guesso a en effet été désigné pour diriger le Comité de haut niveau sur la Libye de l’Union africaine », lit-on dans l’ouvrage. « Par ailleurs, elle a pris des contacts avec le ministère des Affaires étrangères algérien sur ce dossier, qui dispose de liens avec les islamistes libyens, Abdelhakim Belhadj, un ancien djihadiste devenu homme politique, et Ali Al-Sallabi. Tous deux sont supporteurs du gouvernement de Tripoli de Fayez Al-Sarraj, dit “d’union nationale”, formé sous l’égide de l’ONU, mais qui ne contrôle qu’une petite partie ouest de l’ancienne Libye, aujourd’hui écartelée en plusieurs tribus. ».
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L’ami Déby
On apprend aussi que le président français peine avec certains homologues du continent. S’il a réussi à se rapprocher du Rwandais ombrageux Paul Kagamé, et s’il entretient des relations « excellentes » avec le Sénégalais Macky Sall, il n’en est pas de même avec d’autres leaders. « D’autres dirigeants ont beaucoup plus de mal avec le jeune président, écrit le journaliste Marc Endeweld. Alpha Condé en Guinée reste un fan absolu de François Hollande. En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara est très proche de Nicolas Sarkozy. » Mais c’est avec Idriss Déby que Macron a affiché sa proximité, au point de se contredire sur sa rupture avec les méthodes de la Françafrique tant décriées. « Ce n’est pas non plus une surprise si Alexandre Benalla se rend au Tchad début décembre 2018 quelques jours avant Emmanuel Macron. L’homme par qui le scandale est arrivé sait pertinemment que le président français entretient des relations étroites avec Idriss Déby. En s’y déplaçant, il met un coup de projecteur sur cette proximité qui fait particulièrement tache dans la communication présidentielle qui souhaite afficher une “rupture” avec les anciennes pratiques de la Françafrique », relève l’auteur de cette enquête. Marc Endeweld rappelle que « le Tchad est pourtant le symbole même de la continuation du “pré carré” français en Afrique, au nom de la lutte contre le terrorisme » et souligne que « Macron ajoute l’indécence à cette compromission traditionnelle. En octobre 2018, lors du 17e sommet de l’Organisation internationale de la francophonie, organisé à Erevan, en Arménie, lui et sa femme se sont mis à danser avec Idriss Déby. Le couple Macron et Idriss Déby tout sourire, cette vidéo tourne depuis sur Internet ».
Cynisme et pragmatisme
L’auteur revient aussi sur le pragmatisme du président français dans ses relations avec les pays africains. « Faire des “coups” semble être la priorité du chef de l’État. Comme celui de soutenir l’élection à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) de la Rwandaise Louise Mushikiwabo en octobre 2018. Le Rwanda a pourtant fait de la langue anglaise la langue obligatoire à l’école et a rejoint le Commonwealth, et le président rwandais, Paul Kagamé, réélu le 4 août 2017 avec 98,7 % des voix, est régulièrement accusé de violations des droits de l’homme », explique Marc Endeweld. « Pour Macron, l’essentiel est ailleurs : pouvoir apaiser, vingt-cinq ans après le génocide, les relations avec le pouvoir rwandais. Dans une perspective plus utilitaire, le président français veut aussi ouvrir les pays anglophones aux entreprises françaises. Et orienter les projecteurs sur l’Afrique de l’Est lui permet de faire oublier ses silences à l’égard des vieux dirigeants de la traditionnelle Françafrique ».
Pire, selon un des interlocuteurs du journaliste, « Macron n’a pas vraiment de politique africaine » : « À l’image de sa politique étrangère faite principalement d’opportunisme et d’intérêt, “sa vision des pays africains repose beaucoup sur le cynisme”, remarque un habitué des arcanes de la Françafrique. Car seul compte pour lui, et ses collaborateurs, le “business” : “Ils s’en foutent des droits de l’homme. Pour les dictateurs, c’est plutôt l’aubaine”, dénonce un connaisseur du Congo-Brazzaville. »
Le Quai hors jeu en Libye
Après l’élection d’Emmanuel Macron, les intermédiaires étrangers vont se bousculer en Libye.
Sarraj, comme son concurrent le maréchal Khalifa Haftar – commandant en chef de l’Armée nationale libyenne, contrôlant l’est du pays, et soutenu par l’Égypte et Abu Dhabi – vont faire l’objet de nombreuses sollicitations. Dans ce contexte, Yamina Benguigui devient la présidente d’un obscur think tank à Bruxelles, l’« Institut Robert-Schuman pour l’Europe », à ne pas confondre avec la prestigieuse Fondation Robert-Schuman. Parmi les dirigeants de ce groupe de pression, on trouve l’Algérienne Soumeya Abdelatif, proche d’Abdelaziz Bouteflika,
ancienne auditrice à Paris de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Cette dernière navigue entre les milieux diplomatiques et de renseignement. En réalité, l’Institut Robert-Schuman pour l’Europe est surtout utilisé par Denis Sassou N’Guesso pour faire valoir son point de vue en Europe. Bref, cet institut est un instrument de lobbying aux mains du
maître du Congo-Brazza. Au sein de cette structure étrange, Yamina Benguigui va très vite nommer, après avoir pris ses fonctions, un intermédiaire, Benabderrahmane Tayeb, comme
« conseiller Afrique et Moyen-Orient ». Cet homme discret devient son envoyé spécial en Afrique dans les jours qui suivent l’élection de Macron. En parallèle de cette activité, Tayeb est le président d’un autre think tank, le « Club géopolitique ». Tout au long de l’année 2017, et plus encore avant l’été, il va alors multiplier les voyages entre le Congo-Brazzaville, la Tunisie et le Moyen-Orient. Dans le cadre de ces différentes missions, l’intermédiaire réussit à entrer en contact avec le maréchal Haftar, via les réseaux de « Sassou ». Les contacts auraient même été établis dès septembre 2016. L’objectif de ces voyages est officiellement
de faire avancer la paix en Libye sous l’égide de l’Union africaine, organisation fondée à
l’origine par Mouammar Kadhafi, et qui rassemble l’ensemble des pays africains.
Dès son arrivée au pouvoir, le président Macron ambitionne de jouer le « faiseur de paix » en Libye. Dans le plus grand secret, il prépare à l’Élysée avec ses quelques hommes de l’ombre un « coup diplomatique ». Il souhaite mettre autour d’une table les principaux protagonistes de la crise libyenne, notamment Sarraj et Haftar. Les planètes diplomatiques sont alors alignées, avec l’absence des États-Unis sur la scène européenne et africaine, et la fragilisation de l’Italie du fait de son soutien indéfectible au gouvernement de Tripoli, une posture qui joue en la défaveur du pouvoir rival de Benghazi (celui de Haftar). (…)
Les « Africains » de la DGSE
À l’Élysée, les conseillers Aurélien Lechevallier et Franck Paris ont multiplié les voyages un peu partout en Afrique dès le début du quinquennat. Une nécessité pour tenter de développer des relations de confiance avec les différents chefs d’État. Et tout est à faire. Car, au fil des années, les diplomates en Afrique ont laissé peu à peu la place aux espions de la DGSE et aux sociétés de renseignement privées1 : « Franck Paris est l’ancien responsable Afrique francophone de la DGSE, cela montre l’angle actuel de la relation
franco-africaine », s’exaspère un vieux routier de l’aide au développement. Au Quai, le patron de la direction Afrique et Océan indien, Rémy Maréchaux, un proche de Nicolas Sarkozy, est aussi un ancien agent de la DGSE… « À l’Élysée, ils sont surtout à l’affût des petites informations qui peuvent intéresser la défense de la France. Ils sont complètement hors sol vis-à-vis des populations. » Pour ne rien arranger, les discours du président en Afrique sont alors préparés par Sylvain Fort, son ancien directeur de communication de la campagne, qui ne cache pas ses convictions droitières et conservatrices. Fort a alors de bons rapports avec le nouveau directeur de la stratégie de la DGSE, Nicolas Niemtchinow, ancien directeur adjoint d’Alain Juppé aux Affaires étrangères. Autant dire des profils très « modernes ».