Relativisme moral et Corruption en Afrique
La dernière conférence de presse de l’ancien chef de la diplomatie mauritanienne Ahmedou Ould Abdallah sur France.info. Afrique le 7/5/2019 où il présente la corruption de l’élite africaine comme un «cancer» qui anéantit toute une population du continent mérite quelques commentaires. Oui, il est vrai qu’il y a beaucoup de corruption sur le continent et que de nombreux pays figurent en tête de Transparency International, une ONG qui suit la corruption dans le monde entier, mais ce phénomène ne peut pas être essentialisé au continent.
En effet, les Africains ne sont pas plus corrompus que les autres. En outre, nous pouvons même affirmer que d’autres sont plus corrompus que les Africains car il n’y a personne en Afrique qui puisse rivaliser avec le type d’informations qui sort de la Maison Blanche ces derniers temps sur l’étrange mélange entre les affaires privées particulièrement lucratives du Président avec notamment des gouvernements partenaires des États-unis et sa pouvoir présidentiel. La différence tient essentiellement au fait que contrairement à l’Afrique les projets aboutissent dans d’autres pays, et leur corruption s’opère en marge des projets.
Chez nous, c’est une impunité totale qui prévaut, du moins tant que les auteurs des crimes économiques bénéficient encore des bonnes grâces du Prince. C’est alors circuler, il y a rien à voir ! La CAN 2019 au Cameroun est le parfait exemple de cette réalité, et les camerounais constatent éberlués mais en silence que personne n’a été inquiète du « glissement » de la date de l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) que devait abriter le pays cette année, malgré l’humiliation et la honte que cela nous vaut à travers le monde …
Un érudit nigérian, Moses Ochonu, écrit à ce sujet que c’est parce que les Nigérians, [comme beaucoup d’autres Africains], défendent simultanément et de manière contradictoire deux codes moraux : l’un, indulgent, ambigu et vaste, s’applique aux initiés et aux membres de la famille; l’autre, étroit, impitoyable, sans équivoque et démonstratif, est réservé aux étrangers – membres d’une autre communauté ethnique [ou appartenance politique]. En gros la dénonciation de la corruption ne doit s’appliquer qu’aux autres, pas aux membres de ma communauté ethnique, de ma famille politique ou biologique.
La plupart des Nigérians [et des Africains] pratiquent ainsi ce relativisme moral et de nombreux commentateurs l’ont maintes fois évoqué dans leurs réflexions. C’est un fait quasiment devenu familier et banal. Nous ne pardonnons pas seulement la corruption et le vice quand l’auteur est « le nôtre », mais nous les aidons aussi activement à cacher le butin, même lorsque ce butin, comme dans le cas du scandale susmentionné, n’a qu’un avantage symbolique et indirect pour nous.
En effet nous sommes fiers de «l’accomplissement» de notre frère de famille, car il apporte fierté et prestige à notre village, à notre communauté ethnique. La question embêtante de savoir la provenance ou l’origine l’argent qui a financé l’accomplissement est secondaire, voire tabou. Cette question n’est amplifiée que lorsque le protagoniste de l’histoire n’est pas «le nôtre», le frère de notre village, le membre de notre communauté ethnique, ou le camarade de notre parti (à l’exception notable de la fameuse opération épervier au Cameroun dont le but non avoué a toujours consisté d’éliminer les prétendants sérieux et éventuels à la succession de Paul Biya au sein de son parti-État RDPC).
Voilà comment nous encourageons la corruption et le vice à notre manière et nous la justifions par une conception douteuse et relativiste de la moralité.
Dans cette logique perverse, la corruption peut être rationalisée du fait que puisque les ressources pillées appartiennent à la communauté, il n’y aurait dès lors aucun sens de voler à soi-même.
Cette logique perverse s’inscrit dans une logique institutionnelle elle-même perverse qui suit de près la stratégie de Sun Tzu qui consiste à gagner la guerre sans combat, la corruption étant l’art suprême de la guerre, qui consiste à maîtriser l’ennemi sans se battre. L’excellence suprême en la matière consiste notamment à briser la résistance de l’ennemi sans combattre. Les guerriers victorieux gagnent d’abord, puis partent en guerre. La meilleure victoire, c’est quand l’adversaire s’en va de son plein gré. Par conséquent, convaincre les adversaires que leur cause est sans espoir (de succès) et qu’ils sont voués à la défaite en les mangeant (ici en les corrompant).
C’est en cela que Paul Biya est devenu (sans forcément le savoir) un disciple de Sun Tzu, en utilisant le despotisme légal pour emprisonner des opposants politiques désignés et internes à son parti-État RDPC au nom de la lutte contre la corruption. C’est précisément là que le CL2P intervient en plaidant en faveur des Camerounais et des Africains que l’organisation reconnaît comme des prisonniers politiques. Car Paul Biya a fait des émules parmi ses pairs du sous-continent.
Jusqu’à présent, le régime de Yaoundé s’est vanté d’avoir réussi à récupérer seulement 3% de l’argent prétendument volé. Les supposés « prévaricateurs de la fortune publique » – qui sont par ailleurs poursuivis pour nous dit-on un crime de droit commun, pas un crime politique – ne sont même pas placés dans une logique de contribution. Leurs longues peines illimitées et illégales sont purement punitives et nullement correctives. De plus, le gouvernement n’a aucune pédagogie en ce qui concerne les campagnes publiques d’éducation et de sensibilisation des Camerounais ordinaires sur les effets négatifs de la corruption. Parce que cette dernière est au cœur du modèle de gouvernance mis en place par le régime de Paul Biya depuis 37 années. Il ne peut fonctionner puis se maintenir autrement. Pour Paul Biya, tout s’achète, y compris la vie et la dignité des personnes au Cameroun et à l’étranger.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques – CL2P
English version
Moral Relativism and Corruption in Africa
The last press conference of Ahmedou Ould Abdallah on France.info. Afrique on 7/5/2019 where he engages the corruption of African elite as a “cancer” which is wiping out entire population on the continent deserves some comments.
Yes, it is true that there are a lot of corruption on the continent and many countries figure on the top of Transparency International, a NGO that track corruption worldwide, but that phenomenon cannot be essentialized to the continent. Indeed, Africans are not more corrupt than others. Moreover, we can even argue that others are more corrupt than Africans because there is no one in Africa who can compete with the kind of news coming out of the White House these days.
The essential difference is that projects succeed in others countries. They do their corruption on the fringes of the projects, with us it’s total impunity as long as you still enjoy the graces of the Prince, it’s circulate, there’s nothing to see. The CAN 2019 in Cameroon is a perfect example where nobody was worried about the « slippage » of the date that has once again shamed us all over the world…
On this subject, Nigerians scholar, Moses Ochonu, writes that this is because Nigerians, [like many others Africans], simultaneously and contradictorily upholding two moral codes. One, forgiving, ambiguous, and capacious, is applied to insiders and kinfolk; the other, narrow, unforgiving, unequivocal, and self-righteously demonstrative, is reserved for outsiders — members of a different ethnic community [or political affiliation].
Most Nigerians [and Africans] practice this moral relativism and many commentators have touched on it in their commentaries. It is a familiar, banal fact. We not only forgive corruption and vice when the perpetrator is “our own” but we also actively help them hide the loot even when this loot, as in the case of the aforementioned mansion, has only a symbolic, vicarious benefit to us.
Ochonu continues that “we are proud of the “accomplishment” of our kinfolk because it brings pride and prestige to our village, our community. The pesky issue of how the money that financed the accomplishment came about is secondary. That issue becomes magnified only when the protagonist in the story is not “our own.”
We abet corruption and vice in our own ways and justify it with a dubious, relativist take on morality.
In this perverse logic, corruption can be rationalize that since the resources being looted belong to the community, it does not make sense to steal from oneself.
This perverse logic follows into a perverse institutional logic that closely follows Sun Tzu’s strategy of winning the war without a fight where corruption is used as the supreme art of war which is to subdue the enemy without fighting. The supreme excellence is to break the resistance of the enemy without fighting. The victorious warriors win first and then go to war. The best victory is when the opponent goes of his own free will. Therefore, to convince the adversaries that their cause is hopeless (of success) and that they are doomed to defeat by eating them. This is where Paul Biya has become a disciple of Sun Tzu using legal despotism to jail political opponents in the name of fighting against corruption.
This is where the CL2P pleads in favor of Cameroonians and Africans whom the organization recognizes as political prisoners. So far, the Yaoundé regime has boasted that it has managed to recover only 3% of the money supposedly stolen. The so-called « prevaricators of the public fortune » – which incidentally is a crime of common law, not a political crime – are not even put in a logic of contribution. Their long, unlimited and illegal sentences are purely punitive and in no way corrective. Moreover, there is no pedagogy emanating from the government, in terms of public campaigns of education and sensitization of ordinary Cameroonians on the negative effects of corruption.
The Committee For The Release of Political Prisoners – CL2P