On Récolte ce qu’on a Semé: Culture publique toxique et Immortalité obscène dans l’autocratie camerounaise
Lors de la récente célébration avec faste à Yaoundé de la soi-disant «Unité camerounaise», le 20 mai 2019, nous avons assisté à une scène de spectacle autocratique certes risible, mais tellement pathétique et dévastateur, surtout en décalage avec toute la propagande qui nous a habituellement été servie par la dictature en place depuis 37 ans, comme un témoignage accablant sur le véritable effondrement encours des institutions au Cameroun.
En effet le zénith de ce spectacle obscène a mis en scène un vieillard fissuré et désorienté de 87 ans qui n’est plus capable de diriger un pays dont il est aux manettes depuis plus de trois décennies, alors même que celui-ci demeure une autocratie totale. Devant ces images pathétiques, nous avons humainement pu avoir une pointe de compassion lorsque sa femme, sans aucune grâce ni dignité (puisqu’elle en riait), a soulevé les deux bras du tyrans et l’a forcé à saluer comme une marionnette une foule « adorante ». Cela a aussitôt suscité trois remarques:
– Premièrement, dans un monde impitoyable qui s’est toujours présenté comme profond, mystérieux et imperméable à celui réel des simples mortels, la réalité se révèle enfin être la superficialité et la transparence d’un tyran sous illusion divine, brutalement ramené sur terre à être classé au rang de simple mortel (qu’il est en réalité). C’est l’effondrement d’un mythe sur la toute puissance, d’un fantasme brûlé subitement par une réalité qui lui signifie que comme tout être humain, il ne peut échapper à son propre cycle biologique, malgré toute la propagande insistant sur son obscène immortalité chantée du matin au soirpar ses griots et sycophantes.
– Deuxièmement, comment dans l’autocratie le temps et le mouvement sont déconnectés les uns des autres. Le temps qui passe peut en effet donner l’illusion de mouvement, mais c’est simplement de la répétition, de la routine et rien de plus. C’est comme être dans l’enfer de Dante, vous pouvez bouger et changer de cycle mais vous êtes toujours en enfer.
– Troisièmement, les femmes de ce monde toxique sont également des joueurs actifs. Car en levant les bras d’un vieillard sénile éreinté par une journée éprouvante de célébration, personne ne sait si la première dame aide réellement ou humilie davantage son vieux mari, mais nous savons par contre, selon l’idéologue du régime, que cette autocratie est une dyarchie où la première dame est le numéro 10 (avant centre au football). Ainsi, en brandissant les bras du président comme une marionnette, la première dame expose de manière effrayante ou par inadvertance un effondrement prolongé mais réel de son autorité. Il ne s’agit pas seulement d’un vieil homme brisé et fatigué. C’est beaucoup plus grave que cela. Le vieil homme est brisé, parce que nous sommes brisés aussi,puisqu’il s’accroche en dépit du bon sens au pouvoir. Que vous ressentiez sa douleur ou non, la douleur pour nous tous est précisément sur le point de s’aggraver.
Dans l’ensemble, il s’agit ici d’un monde de portée émotionnelle limitée, réduite au vulgaire et au cruel. En effet, un monde vulgaire et cruel où il n’y a pas de réciprocité de services, ni de convivialité, mais de la vulgarité et la banalité.
De manière plus précise, la réalité de la révélation du 20 mai 2019 est que d’autres personnes dans ce panier de crabes gouverne le Cameroun à la place et au nom du président handicapé par vieillesse et la maladie, usurpant de la sorte les pouvoirs que lui confère la constitution.
Il est en cela enfin clair que le pouvoir absolu commence à se retourner contre son architecte en chef, comme lorsque les poules rentrent au poulailler pour se percher. Bien entendu, c’est un système où les jeunes Camerounais ne sont pas vraiment informés de la réalité de leur société, de leur civilisation, de leur identité nationale, et l’importance de la stabilité sociale. Par contre, tout est fait pour qu’ils se séparent de leurs certitudes et de leur pouvoir d’être créatif. En réalité, nous sommes devenus un peuple atomisé et triste. En fin de compte, même les hauts fonctionnaires et dignitaires de l’État autocratique seront dévorés par ce manque de connaissance et de prise de conscience sur l’extrême gravité de cette société complètement figée au souffle d’un tyran grabataire.
C’est ce qui se produit lorsque le gouvernement nous a obligés à suivre la voie de la loyauté, de l’obéissance totale et de la docilité. Une forme de système qui accorde une valeur extraordinairement élevée au pouvoir absolu.
Par conséquent, un système dans son ensemble qui fonctionne dans un désordre épouvantable avec tant de personnes en prison ou forcées à l’exil, tandis que les téléscripteurs incompétents en charge s’accrochent à leur besogne, comme des balanes. Un système capricieux où une partie du problème est constitué par l’excès de réseaux de clientélisme et de patronage, et où chacun ressent désespérément le besoin de se faire remarquer en faisant ce qu’il croit être du « management ». Une culture toxique fondée sur des exigences déraisonnables, une culture du blâme, des brimades, du bouc émissaire permanent. Une culture politique négativement compétitive et sans pitié où, lorsqu’on ajoute la discrimination fondée sur le sexe et l’origine ethnique, on appréhende ce cocktail nuisible et le baril de poudre qu’il est désormais près à exploser.
Ce faisant, nous perpétuons et reproduisons un monde politique vénal, acéré, où l’on poignarde dans les dos à tout va. Ce système repose sur un manque fondamental de respect des individus, de leurs talents, de leurs compétences et de leurs opinions. Une culture qui se concentre presque entièrement sur le culte du tyran érigé en demi-dieu ou en dieu, mais qui montre ici ses limites. Parce que même ce dieu ne peut échapper à son cycle biologique malgré toute la propagande assénée sur son immortalité obscène.
Par Olivier J. Tchouaffe, PhD, Porte-parole du CL2P
Vidéo: Course à la succession – Paul Biya fait ses adieux à Etoudi !
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Chicken Coming Home to Roost: Toxic Public Culture and Obscene Immortality in Autocracy
On the recent celebration of the so called “Cameroonian Unity” on May 20th, 2019, we witnessed a laughable but oh so pathetic and devastating scene of autocratic spectacle, so out of synch with the usually crafted propaganda, signaling the crumbling of Cameroon’s institutions…
The zenith of that obscene spectacle features a cracking and disoriented old man of 87 years no longer capable to run a country he did for the past 37 years in total autocracy. More, we admit feeling a touch of sympathy when his wife, without any shred of grace or dignity, held up both hands of the tyrants as a puppet to salute an “adoring” crowd which quickly brought up three quick remarks:
– First, in a world that present itself as deep, mysterious and impervious to the real of mere mortals, the reality is the superficiality and transparency of a tyrant with a shattering delusion of God brutally brought back down to earth. A collapse of a fantasy burned by the reality that, as a mere mortal, he cannot escape his own biological cycle, notwithstanding, all the propaganda about his obscene immortality sung daily by his griots and sycophants.
– Second, how in autocracy time and movement are detached from each other. The passing of time might give the illusion of movement but it is simply repetition and routine and nothing more. It is like being in Dante’s inferno, you might moving and change cycle but you still in hell.
– Third, women in that toxic world are also active players. By holding up his arms, nobody knows if the first lady is helping her man or humiliating him more but we know according to the ideologue of the regime that this autocracy is a diarchy where the first lady is the number 10. Thus, by brandishing his arms, the first lady, advertently or inadvertently, has exposed a collapse that has been a long time coming but it is real. This is not about a broken and tired old man. It’s much bigger than that. The old man is broken, because we are broken as well. Whether you feel his pain or not, the pain for all of us is about to get worse.
In aggregate, a world of limited emotional range reduced to the vulgar and the cruel where there are no reciprocity of services but of conviviality, vulgarity and banality.
More to the point, the reality of the revelation is that others people in its fishbowl of entourage do it in its place and in its name, by usurping powers conferred upon him by the constitution.
Now, absolute power beginning to hurt its architect as chicken coming home to roost.
It is a system, of course, where ordinary young Cameroonians are not really taught about their society, civilization, national identity and how social stability matter rather than pulling apart everyone’s certainties and creating, in fact, sad atomized people. In the end even the higher end functionaries of the autocratic state will get eaten up by this lack of knowledge and reality
That is what happens when the government forced us down the path of loyalty, total obedience and docility. A form of power that places an extraordinarily high value on absolute power.
Hence, a system as a whole which is in an appalling mess with so many good people in prison or forced into exile while the incompetent box tickers in charge cling to their jobs like barnacles. A capricious system where part of the problem is too many networks of patronage and clientelist networks, all desperately feeling the need to get noticed by doing what they fondly believe is « management”. A toxic culture based on unreasonable demands, a blame culture, bullying and harassment that nobody dare to tackle. A competitive and cutthroat political culture where when you add gender and ethnic discrimination, you have a toxic cocktail and a powder keg to worry about.
In so doing, the perpetuation and reproduction of a venal, cut throat, back-stabbing world of politics. Underpinning this system is a fundamental lack of respect for individuals, for their talents, their skills and their opinions. A culture that it breeds, is focused almost entirely on worshipping the tyrant turn into a semi-god or a god, however, here showing its limits because even this god cannot escape his biological cycle despite of all the propaganda about his obscene immortality.
By Olivier J. Tchouaffe, PhD, Spokesperson of the CL2P