A ma sortie de presque 2 mois d’enfer carcéral à Yaoundé fin 2018, il m’a été conseillé d’éviter d’autres problèmes, de ne plus critiquer les autorités du Cameroun car il en va de mon avenir, de ma sécurité, de celle de ma famille, de ma vie que je devais m’employer à reconstruire, de « laisser ces gens avec leur chose », etc. Bon conseil certes mais pieux en même temps car le Cameroun en lui-même, depuis 37 ans qu’il est tenu d’une main de fer par une association criminelle et maffieuse, est à la fois un mur de lamentation, un cimetière et une prison à ciel ouvert.
Ce n’est donc pas parce qu’on aura « laissé ces gens avec leur chose » qu’on échappera à une mort par accident sur la route…pardon !…la piste Yaoundé-Douala faute d’autoroute. Ce n’est pas en laissant Biya et sa famille tyranniser en paix, en se taisant face aux injustice subies par d’autres qu’on échappera à la mort dans un hôpital faute de soins de qualité et à moindre coût. Ce n’est pas parce qu’on se cache derrière un faux profil Facebook pour insulter les activistes Boris Bertolt, Paul Chouta, Ndzana Seme, Patrice Nouma ou J.Remy Ngono juste parce qu’ils se battent pour éveiller nos consciences, que la vie sera moins chère pour soi au marché, qu’on ne va pas subir l’arnaque des responsables d’établissement qui exigent des frais exorbitants aux parents à chaque rentrée scolaire.
Ce n’est pas parce qu’on « évite les problèmes avec le système » qu’automobiliste, le policier ou le gendarme ne va pas vous exiger « sa part » à chaque check point. Ce n’est parce qu’on aura dit « je préfère boire ma bière en paix » que cette bière n’enrobera pas votre foie d’une cirrhose qui finira par vous expédier dans l’au-delà. Ce n’est pas parce qu’on décide de rester taiseux face à la situation désastreuse du pays qu’on est mieux servi dans l’administration publique par un fonctionnaire véreux que celui qui la dénonce. Ce n’est pas parce qu’on chante « Paul Biya, toujours chaud gars, chaud chaud! » qu’homme d’affaires, ses factures n’attendront pas des mois voire des années pour être réglées par le Trésor, que le fisc ne vous criblera pas de taxes, etc.
Ce n’est pas non plus parce qu’on évite d’aller en prison en refusant de répondre à l’appel à manifester pacifiquement d’un syndicat, d’une organisation de la société civile ou d’un parti politique ou encore de crier haut et fort son ras-le-bol face à une gouvernance chaotique qu’on en est à l’abri. Les lois au Cameroun ont la particularité d’être scélérate en ceci qu’elle représente un piège pour le citoyen et une armure protectrice au service de la pègre qui gouverne dans ce pays. Conséquence : il suffit juste d’un caprice d’une épaule gradée ou de je ne sais quel autre gros bonnet de ce pays et voilà votre vie qui bascule. Il suffit de se rendre dans les prisons centrales de Yaoundé ou de Douala pour constater que de milliers de camerounais s’y retrouvent sans jugement, le plus souvent du fait d’un abus d’autorité. Des personnes sans histoire avec « ces gens-là ». Parfois aussi des personnes qui ont soutenu le pouvoir de Yaoundé à cor et à cri.
Il me revient aussi souvent de ceux qui m’entourent ou me côtoient qu’à quoi ça sert d’être aussi exigeant vis-à-vis du pouvoir de Yaoundé quand on sait que des nationalistes ou des personnages charismatiques de l’histoire du Cameroun et même de l’Afrique tels que Ruben Um Nyobe, Felix Moumié, Ernest Ouandié, Thomas Sankara, Norbert Zongo, Patrice Lumumba ont été tués sans que leurs idées ou idéologies aient prospéré après leur départ. Certes, au goût de certains, les figures emblématiques sus-citées auraient dû travailler à vivre leur vie paisible en s’occupant de leur famille. Mais il faut toujours des personnes qui disent « non » à un certain ordre établi pour changer le cours de l’histoire. Il a fallu que la noire américaine Rosa Park refuse de céder sa place dans un bus à un blanc pour que le racisme soit aujourd’hui réduit à sa portion congrue aux USA. Il a fallu que Nelson Mandela sacrifie 27 ans de sa vie en prison pour que l’apartheid relève d’un lointain passé en Afrique du Sud, il a fallu que des écrivains français tels Voltaire, Montesquieu écrivent contre l’esclavage au XVIIIe siècle pour qu’il ne soit plus la règle universelle de nos jours.
Oui, les Um Nyobe, Sankara et autres ont été tués emportant avec eux leurs idées. Mais que sont devenus leurs bourreaux et les traitres à leur cause ? Qu’est-devenu le terrible et tout puissant patron des services secrets camerounais Jean Fochive qui a interrogé puis conduit Ernest Ouandié à l’échafaud au début des années 1970 ? Mort dans la misère. Qui se souvient encore de Mayi Matip qui a trahi Um Nyobe ? Pas grand monde en tout cas. Mobutu a comploté contre Lumumba en RDC, quelle a été sa fin ? Vomi par ceux qui l’ont fait roi et enterré au cimétière chrétien de Rabat au Maroc, dans l’indifférence totale. Même le colonel-délinquant Emile Bamkoui qui a fait de moi un exilé finira de la pire des manières, pour tout ce sang qu’il a versé au Cameroun. Mieux vaut un lâche vivant qu’un héros mort, rétorqueront certains, mais mieux vaut mourir héros que de mourir zéro !
Par Michel Biem Tong, journaliste à www.hurinews.com, web-militant des droits de l’homme, exilé