Lorsque Paul Biya crée le Comité de désarmement, de démobilisation et de réinsertion le 30 novembre 2018, je suis séquestré dans les geôles du pouvoir de Yaoundé. Quand je l’apprends, je m’écris : « voilà les signes visibles de l’échec dans une guerre qu’on a soi-même déclaré ». Oui, la mise en place de cet organe n’est ni plus ni moins qu’un aveu d’échec et de défaite.
En effet, on imagine mal qu’au cours d’une bagarre intense, l’un des protagonistes prie son adversaire d’arrêter de combattre et que s’il le fait, il va lui offrir de nombreux cadeaux. Rien d’autres ne peut expliquer une telle attitude si ce n’est qu’on soit dépassé par les événements.
La création de ce Comité qui porte en lui-même les germes de l’échec résulte de l’arrogance d’un pouvoir de Yaoundé regardant tout et tout le monde de haut, se croyant tout puissant, toujours supérieur même en temps de conflit. Il résulte aussi soit d’un mauvais diagnostic du problème anglophone soit de la mauvaise foi qui caractérise ce régime.
Le pouvoir Biya pense sans doute que les jeunes anglophones ont pris les armes du jour au lendemain, parce qu’ils sont drogués ou manipulés par des forces étrangères, parce qu’on leur a promis monts et merveilles. Alors, il peut également promettre les mêmes monts et merveilles pour désarmer du jour au lendemain.
Pourtant, la branche armée du mouvement indépendantiste anglophone a été suscité par les méthodes sauvages, barbares et brutales de gestion des revendications corporatistes qui ont éclaté en octobre 2016 puis des manifestations pro-indépendantistes des 22 septembre et 1er octobre 2017.
98% des combattants indépendantistes disent avoir pris les armes pour avoir vu leurs villages rasés, leurs commerces ou motos brûlés, un frère tué lors d’une manifestation pacifique, une sœur violée, une famille décimée, dispersée, vivant en brousse ou réfugiée au Nigéria. Bref, ces jeunes en arme ont eu une telle mauvaise représentation d’un Etat unitaire qu’il leur a été facile d’épouser l’idéologie indépendantiste et sont prêts à se sacrifier pour elle.
Oui, le régime Biya leur promet une réinsertion sociale dans des secteurs tels que l’agriculture et l’élevage en cas de dépôt des armes. Pas mal. Mais quel être humain, peut avoir le cœur à l’ouvrage quand on a à l’esprit l’image d’un frère, d’une sœur, d’un père, d’une mère ou d’un oncle sauvagement assassiné par un soldat voyou et drogué ? L’agriculture et l’élevage remplacent-ils un membre de sa famille séquestré dans une cellule ou une prison à des centaines de kilomètres, à Yaoundé, réfugié au Nigéria ou contraint de se cacher en brousse ?
Décidément, le pouvoir de Yaoundé, en plus d’être voyou et pervers, est sourd même à la simple raison. Seule sa longévité semble le préoccuper et non l’issue d’une lutte armée dont il est le déclencheur et même l’attiseur. Lorsqu’en 6 mois d’existence, les deux centres de désarmement de Buea et de Bamenda n’enregistrent que 21 ex-combattants (sur une dizaine de milliers d’autre disséminés à travers l’ex-British Southern Cameroons) tel qu’il ressort de la tournée du Premier ministre, Dion Ngute, en zone anglophone fin mai dernier, ce n’est ni plus ni moins que de l’échec.
On comprend aisément pourquoi certaines élites anglophones sont obligées de mettre en scène des « combattants » en train de déposer des armes. On comprend pourquoi un sénateur du parti au pouvoir RDPC, Tabe Tando, a annoncé (juste une annonce !) récemment que 500 combattants étaient sur le point de déposer les armes sans que la coquille vide appelée Sécurité Militaire ne le convoque pour lui demander comment il fait pour être en contact permanent avec des « terroristes sécessionnistes ».
Par Michel Biem Tong, web-journaliste