Après trois ans de procédures dont huit mois pour faire admettre une pièce à conviction dans le dossier du tribunal, le procès de l’ancien directeur général de la Cameroon Radio Television marque le pas. Déjà dépourvus des témoins, le parquet et les avocats de l’Etat peinent à présenter aux juges des documents conformes à la loi.
Me Nchankou Njindam, avocat du ministère des Finances (Minfi), a le sang bouillant. Il l’a montré le 26 juin 2019 à la fin de la dernière audience du Tribunal criminel spécial (TCS) consacrée à l’examen du dossier qui oppose la Cameroon Radio Television (Crtv) et le Minfi à M. Amadou Vamoulké, ancien directeur général (DG) de cette entreprise publique et ses coaccusés. Alors que le président du collège des juges s’indignait de la prise de parole tardive de l’avocat (occasionnant des ratures dans le registre des audiences) après un énième rejet des documents présentés par l’accusation comme pièces à conviction, Me Nchankou Njindam s’est emporté : «Si vous voulez un incident, vous l’aurez !». Le représentant du ministère public a dû prendre la parole, entre autres, pour présenter les excuses de la partie poursuivante à la place de l’avocat du Minfi…
Me Nchankou Njindam avait peut-être raison d’avoir l’esprit surchauffé. C’était la troisième fois depuis huit mois que le parquet et les avocats de l’Etat essuyaient un camouflet devant le tribunal dans leur tentative de faire admettre, comme pièces à conviction contre les accusés, des copies de certains chèques bancaires émis à l’époque des faits par M. Abah Abah et la copie du procès-verbal d’une enquête jadis menée par la direction de la police judiciaire dans le prolongement du rapport de la mission d’inspection effectuée par le Contrôle supérieur de l’Etat (Consupe) en 2006 sur la gestion de la Crtv entre 2004 et 2005. Après une première tentative, le 31 octobre 2018, repoussée par les juges parce que les documents étaient présentés en simple photocopies, la troisième tentative, le 9 mai 2019, n’a guère été couronnée de succès.
Interventions désordonnées
En fait, les juges ont estimé que ces documents, supposément légalisés, «ne sont pas, en l’état, reçus comme pièces à conviction ». Prenant en compte les observations et les contestations des avocats des accusés, le tribunal a toujours jugé que les documents concernés ne remplissent pas les conditions de forme prévues par la loi pour être admis dans son dossier comme preuve primaire ou preuve secondaire. Ce ne sont ni les originaux du procès-verbal et des chèques, ni des copies certifiées conformes par des autorités habilitées, selon les prescriptions du code de procédure pénale.
Il y aura sans doute une quatrième tentative de production d’au moins l’une de ces pièces lors de la prochaine audience, en principe le 28 août 2019. C’est ce que Me Nchankou Ndjindam a annoncé après plusieurs concertations avec l’avocat général, représentant du ministère public. L’avocat aurait souhaité que cela se fasse lors de la dernière audience. Sauf que son timing de prise de parole a été jugé désordonné. Le portail des camerounais de Belgique. Les juges étaient déjà passés à une autre phase du procès, celle qui consiste à demander aux accusés de choisir une option précise de défense, selon les prescriptions du code de procédure pénale. Ayant déclaré que des charges étaient jugées suffisantes pour que la parole soit donnée aux mis en cause pour leur défense, après les réquisitions du ministère public faites dans le même sens, le tribunal a procédé à cette formalité.
Principal accusé dans ce second volet de l’affaire dite Crtv, M. Amadou Vamoulké a déclaré qu’il optait de témoigner sous serment et qu’il aura des témoins à faire entendre et des pièces à conviction à fournir au tribunal dans le cadre de sa défense. Polycarpe Abah Abah, qui a déjà été jugé et condamné avec Gervais Mendo Ze, a pris la même option de défense, tout en faisant observer qu’il ne savait pas sur quoi devra porter sa défense, la partie poursuivante n’ayant présenté aucun témoin et ses pièces à conviction ayant été toutes rejetées, selon lui. La troisième accusée dans cette affaire, Mme Antoinette Essomba, ancienne directrice de la Crtv Marketing and Communication Agency (Cmca), fera quant à elle son choix de défense lors de la prochaine audience à cause de l’absence de son avocat le 26 juin. Dans la guerre des nerfs que s’offrent les parties dans ce procès, le parquet n’a pas laissé passer l’observation de l’ancien directeur des impôts, M. Abah Abah, selon laquelle les pièces présentées par l’accusation avaient été rejetées. Les juges en ont profité pour rappeler que le 4 décembre 2018, le rapport de la mission de vérification du Consupe effectuée à la Crtv pour les exercices budgétaires 2004-2005 et des copies des chèques émis par la Crtv au profit de la Mutuelle nationale du personnel de la direction des impôts (Mundi), documents présentés par le parquet, avaient été admis par le tribunal comme pièces à conviction. Et les juges ont indiqué que le moment viendra pour que le tribunal apprécie desdites pièces.
Faux prétexte
Mais l’ancien directeur des impôts ne s’est pas laissé compter, signalant que les accusés vont se défendre sur la base des pièces qui n’ont jamais été discutées en audience publique. Le rapport du Consupe en question, qui concerne la dernière année passée par M. Gervais Mendo Ze à la tête de l’office public de radio et télévision, mais aussi la première année de son successeur, M. Amadou Vamoulké, est le point de départ supposé des ennuis judiciaires de ces deux anciens dirigeants de la Crtv et de leurs coaccusés, poursuivis comme on sait à travers deux procédures judiciaires distinctes devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Dans le volet des poursuites concernant M. Vamoulké, l’accusation n’a jamais présenté un seul témoin à l’audience. Elle a même renoncé à évoquer les rapports de trois missions d’expertise effectuées lors de l’enquête judiciaire. Et en août prochain, cela fera 9 mois que le procès s’enlise dans la production d’une pièce à conviction, soit la durée maximale légale des procès devant le TCS, prolongation comprise.
Rappelons que M. Amadou Vamoulké, M. Polycarpe Abah Abah et Mme Antoinette Essomba sont poursuivis pour des faits supposés de détournement des biens publics, très souvent en coaction, pour un préjudice total estimé à environ 3,9 milliards de francs. Dans ce volet de l’affaire, le procès a déjà connu une vingtaine de renvois au total. Au départ poursuivi libre, M. Vamoulké avait été jeté en prison au prétexte, du reste inexact, qu’il ne justifiait plus d’un domicile connu à Yaoundé. Le portail des camerounais de Belgique. De nombreuses organisations de la société civile camerounaise et étrangère du champ de la défense des droits de l’Homme, dont Reporters Sans Frontières, estiment que M. Vamoulké est poursuivi de façon fantaisiste. De nombreux dirigeants de l’audiovisuel public africain et français mais aussi certains hommes politiques demandent sa remise en liberté.
Source : Kalara par Christophe Bobiokono