Portrait de Ruben Um Nyobe,
1952. Alors que les peuples colonisés réclament encore timidement l’amélioration de leurs conditions, en tout cas la majorité d’entre eux, va lui consacrer sa vie entière à lutter pour la liberté, l’autonomie et l’unité du Cameroun. Moins populaire que le Ghanéen Kwame Nkrumah ou le Guinéen Sékou Touré, Ruben Um Nyobe reste néanmoins l’un des plus importants nationalistes subsahariens.
Par Alain Foka, RFI : Archives d’Afrique
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Nous rendons hommage au plus emblématique des résistants kamerunais au colonialisme et à l’impérialisme, Ruben Um Nyobe, tombé un 13 septembre 1958 sous les balles des forces d’occupation françaises et de leurs collaborateurs.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques au Cameroun (CL2P)
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57 ans après son assassinat : Um Nyobe toujours d’actualité
Lire également :Cameroun, il y a cinquante ans, l’assassinat de Ruben Um Nyobè
57 ans après son assassinat le 13 septembre 1958 à Boumnyebel, l’ancien secrétaire général de l’Union des populations du Cameroun est présent dans la mémoire des nationalistes camerounais.
Ancien secrétaire général de l’Union des populations du Cameroun(UPC), Ruben Um Nyobe aurait eu 102 ans le 13 septembre 2015 s’il était encore vivant. Hélas il fut assassiné il y a 57 ans le 13 septembre 1958 à Boumnyebel. Ancien greffier et ancien syndicaliste formé à l’école du syndicaliste français Gaston Donnat, Ruben Um Nyobé a défendu partout, y compris devant la Quatrième Commission de Tutelle de l’Assemble générale de l’Onu à New-York le 17 décembre 1952 et en décembre 1953 les buts poursuivis par l’Upc. Notamment la réunification et l’indépendance du Cameroun. Le Mouvement national a lutté dans un contexte difficile marqué par la répression et le massacre des populations.
Figure emblématique de la lutte
Les militants et les leaders étaient persécutés, violentés et tués. Ruben Um Nyobe, est avec Félix Roland Moumié, Abel Kingué, Ernest Ouandié et Ossende Afana, la réference en matière de lutte pour l’indépendance et contre le néocolonialisme. Des activités commémoratives seront organisées par l’Union des populations du Cameroun (UPC, toutes tendances confondues) durant le week-end. Du samedi 12 septembre 2015 à 19h au dimanche 13 septembre 2015 à 7h va se dérouler une soirée de réflexion nationaliste sous le thème : « La Pensée et l’Action de Um Nyobe sous le prisme de l’époque présente ».Ce sera au lieu dit «Place de l’Afrique Debout» qui fait corps avec le Pavillon du Devoir National, la résidence du Combattant nationaliste et panafricain Mboua Massok, à Douala, à Bassa Pk 13.
En marge de la semaine jusque là dite «des martyrs», dans le cadre de la célébration de la mémoire de la figure emblématique de la lutte pour la réunification et l’indépendance du Cameroun. Les compatriotes upécistes ont le sens de l’histoire. On rappelle que dans le cadre du 67 ème anniversaire de la création de l’Union des populations du Cameroun (l’Upc), l’Association des Vétérans du Cameroun (Asvecam) avait organisé avec l’Union des populations du Cameroun (Upc) dite des Fidèles le vendredi 10 avril 2015, à Douala, une exposition de photos et de journaux et une conférence-débat sur le Thème : « L’Upc, le nationalisme Kamerunais et la problématique du Panafricanisme ».
Source: Edmond Kamguia K., La Nouvelle Expression
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Parcours : Marthe Um Nyobe raconte le maquis
À 88 ans, la veuve de Ruben Um Nyobè, l’un des pères de l’indépendance du Cameroun, continue de raconter son histoire à la jeune génération.
En plein cœur du quartier « Ndjock-Kong » dans la localité de Boumnyèbel, une maison aux murs peints en blanc attire les regards. Pour y parvenir, il faut enjamber un petit jardin dont les herbes de la pelouse sont coupées au même niveau. Des fleurs, plantées ça et là, vont dans tous les sens au passage du vent. Tout y invite à la détente. Pas le temps de rêvasser, en tout cas. Une femme vêtue d’un « Kaba » aux couleurs de la fête des mères et portant un foulard de la même couleur nouée autour la tête nous observe à quelques pas.
Elle nous accueille en personne à l’entrée de sa maison. Sourire jusqu’aux oreilles, Marthe Um Nyobe souhaite alors un « Malo Malam» (bienvenue, en langue Bassa) de sa voix haut-perchée, devenue tremblotante au fil des années. « J’espère que vous avez fait un bon voyage », dit-elle ensuite, toujours en Bassa, en ouvrant ses bras pour nous embrasser. Marthe Um Nyobè se tient bien sur ses deux jambes. Elle ne s’appuie pas sur le bâton qu’elle tient pourtant à la main droite.
Difficile alors de croire que nous avons affaire à l’épouse de Ruben Um Nyobè, celui qui est considéré comme le père de l’indépendance du Cameroun. Difficile surtout de croire que cette femme à l’allure gracieuse est âgée de 88 ans. « Qu’elle est encore belle ! Je suis sur qu’elle était une bombe lorsqu’elle était jeune. Tous les hommes devaient rêver de l’épouser. Je comprends pourquoi papa Um (Ruben Um Nyobe, ndlr) est tombé sous son charme », s’exclame un visiteur. « Belle et intelligente. Malgré le poids de l’âge, je vois qu’elle a toujours été une femme fière et courageuse, renchérit un autre. Ça se sent à première vue ».
Marthe Um Nyobe nous invite par la suite dans sa maison. Elle ne s’asseyera pas tant que tous ses visiteurs n’auront pris place. Elle tient à son rôle d’hôtesse. Une fois assis, on est frappé par l’atmosphère paisible qui règne à l’intérieur. Le sol est revêtu de carreaux. Quelques photographies sont accrochées sur le mur. Marthe Um Nyobè tient la vedette sur deux d’entre elles. La première est sa « photo de vieillesse », selon ses propres mots. Sur la 2ème en noir et blanc, on la voit aux côtés d’un homme. La photo est un portrait. Recouverte d’un large voile de couleur blanche sur la tête, elle tient un bouquet de fleurs à la main. L’homme à ses côtés est vêtu d’un smoking. La photo est intitulée : « Marthe et Ruben Um Nyobe (1944) ».
Vie dans le maquis
« C’était le jour de notre mariage. Le jour où j’ai épousé Ruben », explique la mbombo (grand-mère, ndlr), dans un sourire nostalgique. Elle semble revivre la scène dans sa tête. La joie se lit sur son visage, qui se ferme cependant à l’évocation de sa vie dans le maquis. Une douleur s’y lit. Ses mains se crispent sur les pans de son « kaba ». Marthe Um Nyobè, née Ngo Mayack, semble souffrir. Son regard est plongé au lointain. D’une voix hachée, entrecoupée parfois de petits silences, l’épouse de Ruben Um Nyobe se raconte en langue Bassa. « J’ai passé quatre années dans le maquis. J’ai passé quatre années loin de ma famille, aux côtés de mon époux », dit-elle. Un temps d’arrêt pour permettre la traduction en français, mais surtout, pour lui permettre de souffler.
Marthe Um Nyobè semble rentrée dans un monde bien à elle, où elle rencontre ses fantômes, sa vie d’avant et surtout son périple aux côtés des nationalistes de l’Union des populations du Cameroun (Upc). « J’étais dans le maquis avec mes quatre enfants. Durant cette période, la priorité d’Um Nyobé était de me protéger avec les enfants. Il mettait quatre gardes de corps pour me protéger et je me cachais dans mon coin, car dans le maquis, chacun essayait de se protéger comme il pouvait», relate-telle. La femme née en 1926 annonce que dans la forêt, la vie était un véritable calvaire. Elle explique qu’à l’endroit où la nuit les trouvait, pour se protéger des intempéries, ils construisaient des hangars (abris), de quatre piquets et recouvert de feuilles de plantes mortes.
Dans le maquis, Marthe Um Nyobè et les autres compagnons passent souvent plus de trois journées sans manger. « On ne vivait pas, on survivait. On n’avait pas de vie, on s’enfuyait, selon l’avancée de l’ennemi. Je portais certains de mes enfants dans les bras, d’autres sur le dos. En journée, chacun vaquait à ses occupations. Chacun allait de son côté. Le soir, on se retrouvait tous ensemble. J’étais constamment en alerte. Dès qu’il y avait un danger, il y avait un signal. Des sentinelles sifflaient », raconte-t-elle. Ruben Um Nyobè finit par craindre pour la vie de sa femme et de ses enfants. Il les envoie vivre chez les oncles maternels de son épouse, dans la localité de Mahole, non loin de Boumnyèbel. Pour communiquer, des messagers font des navettes entre les deux conjoints.
L’État nous a abandonnés
Le 13 septembre 1958, Ruben Um Nyobè est assassiné. « Mbombo » ne peut plus continuer ses confidences. Nos questions la torturent. Marthe Um Nyobe ne peut raconter avec exactitude ce qui lui est arrivé après la mort de son époux. La douleur est encore vive. « Je ne veux pas en parler », lâche-t-elle après un long silence. Nous insistons et elle fait cette concession: « quand Um Nyobe est mort, on est venu me l’annoncer chez son oncle et c’est à ce moment que j’ai compris qu’il n’était plus », dit-elle. Elle veut alors aller voir son corps, pour une dernière fois. Mais, elle est stoppée par les oncles maternels de son mari qui craignent pour sa vie. Marthe Um Nyobe nous confie qu’elle a vécu 14 années « en errance », sans domicile fixe. C’est un bienfaiteur ayant souhaité garder l’anonymat qui lui a offert le terrain où est bâtie sa maison aujourd’hui.
« Elle ne peut plus continuer. Elle a trop souffert dans le maquis avec les nationalistes. C’est une femme historique qui nous force à travailler et à combattre les injustices de la vie », justifie Lydie Nguidjoi, ancienne maire de la localité de Ngog-Mapubi, à Boumnyébel. Pour elle, Marthe Um Nyobe, qu’elle appelle affectueusement « Mbombo », fait partie de celles qui l’ont aidée à construire sa carrière politique. Elle explique qu’en 1996, c’est grâce aux conseils de « Mbombo » qu’elle a posé sa candidature pour devenir maire. « Elle m’encourageait et me conseillait. Elle me disait comment parler aux populations, comment leur dire mes projets. Elle me disait surtout de croire en moi et de ne pas lâcher prise. J’ai retenu ses conseils et j’ai été élue pendant deux mandats», se réjouit Lydie Nguidjoi.
Mère de trois filles (Françoise Georgette Um, Hermine Um Nyobe, Léa Um Nyobè) et d’un garçon (Um II Ruben), Marthe est envoyée très tôt par ses parents chez le pasteur de l’Église presbytérienne du Cameroun (Epc), dans la localité d’Ilanga, non loin d’Eséka. Elle y apprend à lire, à écrire. Elle apprend aussi la couture. En 1943, Jean-Emile Song la présente Ruben Um Nyobè qu’elle épouse au cours d’un mariage civil et religieux en 1944. Ils s’installent à Edéa, puis à Ngambe, avant de rejoindre Douala, après l’affectation de Ruben Um Nyobe à Ngaoundéré.
Ruben finit par démissionner de la fonction publique pour rejoindre le maquis. « Après la mort de mon père, elle s’est rapprochée des missionnaires de l’Epc qui l’ont accueillie. Elle s’est mise à faire des travaux champêtres pour nous élever et nous envoyer à l’école. Je retiens d’elle le pardon, la paix et le ‘Ngweha’ (amour en Bassa) », témoigne Françoise Georgette Ngo Um Nyobè.
Source: Josiane Kouagheu, Le Jour