Traces de fouet sur le long du corps, cicatrices encore bien visibles dans le dos, vêtements tâchés de sang, béquilles à la main, stigmates de blessures sur le crâne, oeil poché, bras fracturés, testicule broyé… Habillés ou quasiment nus (en caleçon), de nombreux détenus poursuivis suite à l’insurrection de la prison de Kondengui ont tenu à exposer et à expliquer les sévices corporels endurés pendant les 14 jours de détention à la police et à la gendarmerie…
Sans fards, devant des policiers et des gendarmes ainsi que quelques responsables de l’administration pénitentiaire qui choisissent de se poster aux entrées des salles d’audience, les mis en cause ont exprimé l’origine de leurs maux. A peine informés des charges qui pèsent sur eux, chacun des prévenus a pris la parole pour dénoncer les mauvais traitements ayant conduit à leurs innombrables blessures, fractures et autres. Les mis en cause racontent par exemple comment les éléments du Groupement polyvalent d’intervention de la gendarmerie nationale (Gpign), unité d’élite appelée en renfort à la prison centrale de Kondengui au cours de l’émeute ont frappé leurs corps et leurs têtes à l’aide de chevrons dans le but de leur extorquer des informations.
D’autres disent qu’ils n’avaient pour «ration alimentaire» que les coups avec des matraques. Ce n’est pas tout, soutient M. Kouam Kamguia Franck, médecin détenu dans le cadre des marches blanches du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC). Le praticien affirme que hormis le fait qu’ils étaient «tabassés comme des animaux», et souffraient de diverses blessures dues à ces bastonnades, aucun soin médical ne leur a été prodigué durant leur séjour. II révèle par ailleurs, avoir dû porter secours à un détenu extrêmement mal en point en incisant son abcès à l’aide d’une plaquette de comprimés. Cette intervention chirurgicale de fortune déroulée dans des conditions périlleuses a eu le mérite de sauver le détenu d’une grande souffrance.
En caleçon à la barre
Autre spectacle insoutenable. Quatre détenus se sont présentés quasiment nus devant les juges. Ils étaient simplement vêtus d’un caleçon. Ils ont expliqué que leurs effets vestimentaires ont été volés et ils n’avaient dès lors plus rien à se mettre sur le dos. Des plus chanceux arboraient des tenues de sport toutes neuves qui leurs auraient été offertes par la police après que leurs vêtements aient été déchirés par leurs tortionnaires. Un prisonnier de la «crise anglophone» a expliqué que son traumatisme n’est pas prêt de s’arrêter parce que placé en détention pour des raisons politiques, il se retrouve à cohabiter avec des grands bandits qui ont reçu ordre de les passer à tabac et même de les tuer en cas d’éventuelles réclamations post émeutes parce qu’ils sont coutumiers de revendications.
Il en a perdu le sommeil. Un autre détenu a crié son innocence en racontant qu’il a été dénoncé par quelqu’un qui ne le porte pas dans son coeur alors qu’il ne faisait pas partie des «émeutiers» du 22 juillet dernier. Il se battait plutôt pour empêcher les autres de commettre des gaffes. Le portail des camerounais de Belgique. A l’appel du détenu Essomba Melingui, ses camarades de détention vont crier en chœur, «il est mort». Information non confirmée par les autres sources contactées par le journal. Les détenus ont aussi raconté que leur séjour dans les différentes unités de la police et de la gendarmerie 14 jours durant a été aussi pénible pour leurs proches. Beaucoup d’entre eux ont été totalement déconnectés du circuit des visites familiales. Ceux dont les familles étaient disposées à venir nourrir au quotidien n’ont pas pu l’être, les repas ayant été repoussés par leurs geôliers de circonstance alors qu’ils étaient affamés. C’était le cas pour M. Mamadou Mota, vice-président du MRC. Il a d’ailleurs fait au juge Ndema Elongue le 13 aout dernier, le récit de ses déboires. Il martèle qu’il fait l’objet d’in acharnement politique.
Enfin, certains détenus n’ont pour la plupart eu accès à aucun avocat au cours de la phase de l’enquête. Pour toutes ces raisons, deux collectifs d’avocats constitués pour la défense des mis en cause ont estimé qu’un report à un mois de la suite du jugement de leurs clients serait raisonnable. Pour les hommes en robe, leurs conditions physiques et psychologiques lamentables ne permettent pas qu’ils puissent faire face de manière sereine à la procédure qui vient d’être mise en mouvement à leur encontre. Il serait donc judicieux de les laisser subir divers soins avant leur prochaine comparution. D’autres avocats ont déclaré que certains des mis en cause ont le statut de réfugiés et qu’il faut du temps pour obtenir leurs différents documents à soumettre aux juges. Ce discours n’a pas prospéré. Comme un seul homme, quatre des cinq juges ont décidé de poursuivre le jugement les 19, 20 et 21 août prochains. Le juge Ngoba Joseph a été recusé par les avocats qui l’estiment partial.
Kalara : Cédrick Renaud Akono