Une journaliste de 28 ans, Hajar Raissouni, a été arrêtée le 31 août au Maroc pour « avortement illégal », « débauche » et « relations sexuelles hors mariage », puis placée en détention. La jeune femme risque jusqu’à deux ans de prison. Son procès s’ouvre lundi à Rabat. Cette affaire suscite colère et indignation dans la société civile marocaine, qui se bat depuis longtemps pour une révision du Code pénal qui sanctionne les relations sexuelles hors mariage (articles 490 et 491) et l’avortement quand la vie de la mère n’est pas en danger. L’article 483 sanctionne « l’outrage public à la pudeur » d’un mois à deux ans de prison. Dans la réalité, hommes et femmes n’en tiennent pas vraiment compte.
À ceux qui défendent cette loi rétrograde et incompatible avec une certaine et modeste modernité à laquelle aspire le nouveau Maroc, j’ai rédigé cette lettre :
« Ô vous, censeurs, protecteurs de la vertu, savants du rien, hypocrites assermentés, violeurs de la pudeur et de l’intégrité physique et morale des femmes, crieurs sur la place publique, ouvrez les yeux, ouvrez grands les yeux et regardez bien la société à laquelle vous appartenez, observez ce qui s’y passe quotidiennement de manière clandestine, cachée, ou parfois de façon ouverte. Pas la peine de feindre la honte, de crier, de hurler. C’est la vie, c’est le Maroc.
Les hommes et les femmes de ce pays sont adultes, responsables et s’il leur arrive d’aimer ou simplement de faire l’amour en dehors du mariage, en dehors des lois et du carcan familial, ils ne font aucun mal, à partir du moment qu’ils sont consentants et peut-être même amoureux. Ah, l’amour, cette chose étrange que vous ne connaissez qu’à travers les feuilletons ou les films ; l’amour, cette honte qui menace l’honneur de la jeune fille et qui mène en prison une femme de moins de trente ans parce qu’elle n’est pas mariée.
Ô censeurs, hypocrites et pourfendeurs de la société hygiénique, absolument propre où rien de dépasse, où certains adultes pervers abusent des enfants et personne ne dit rien, ô crieurs de la pudeur, savez-vous que la prostitution commence chez des mineurs, que tout le monde le sait et on ferme sa gueule, savez-vous que la pédosexualité est fréquente et de temps en temps, on attrape un salaud (souvent étranger, comme si les Marocains étaient vaccinés contre cette maladie, ce vice).
Cessez d’être des observateurs vicieux. Laissez les hommes et les femmes adultes et consentants s’aimer si tel est leur désir. Occupez-vous de votre propre santé physique et morale, faites le bien et foutez la paix aux autres. Personne ne vous a mandatés pour aller faire le bien dans le sens de la vertu. Laissez la vertu en paix, elle n’a pas besoin d’être protégée ni vengée.
La libération des mœurs est arrivée avec la nouvelle ère où une petite modernité a pointé son nez dans ce Maroc divers et semblable, dans ce pays où l’islam est plus qu’une religion, où l’islam de nos parents et de nos grands-parents était paisible et tranquille, où les femmes se voilaient à peine et ne cherchaient pas à dissimuler tout le corps derrière un voile noir, un “niqab” importé du Yémen ou du Pakistan.
Aujourd’hui, des femmes tout en noir de la tête aux pieds se baignent dans la mer pendant que le mari est en maillot et exhibe son corps au soleil. Pas de pitié pour ces femmes obligées de garder leurs habits en entrant dans l’eau. Mais c’est quoi cette manie de cacher le corps de la femme pendant qu’ailleurs d’autres femmes, à la vertu moins sévère, moins visible, s’habillent à la mode occidentale, fument, boivent et disent ne rendre compte à personne ? Ces femmes, libres, courageuses, souvent seules se battent tous les jours pour que vous ne les preniez pas pour des putes. Elles vivent avec vaillance et dignité et vous les regardez comme des pestiférées. Elles travaillent et tracent leur route malgré toutes les régressions, toutes les menaces et l’approche de l’obscurantisme.
Ce Maroc où le courage et la détermination de ces femmes butent contre la stupidité de ceux qui veillent à la sauvegarde de la vertu, une vertu de l’apparence dans la mesure où il est dit ou chuchoté que vous pouvez tout faire à condition d’observer une bonne discrétion. Faites ce que vous voulez en cachette et personne ne viendra vous punir !
Votre vigilance vertueuse génère l’hypocrisie et la détresse. Que de femmes violées se font avorter clandestinement dans des conditions dangereuses. Elles seraient entre 600 et 800 par jour. Pendant ce temps-là, le Parlement, dominé par les islamistes, refuse de voter une loi autorisant l’avortement dans certaines conditions.
Vous, obscurantistes, vous êtes en train de prendre le Maroc de la modernité et de la tolérance en otage. Vous n’avez pas le droit de vous immiscer dans la vie privée d’hommes et de femmes adultes et consentants.
Que ces trois articles totalement anachroniques soient abrogés et que les yeux et les consciences s’ouvrent sur la réalité, complexe, diverse, vivante d’un pays qui aspire à la liberté et à l’émergence de l’individu, cet être unique et singulier, c’est-à-dire responsable.
Que Hajar Raissouni soit libérée et que le ridicule de cette situation soit effacé. »