La dialectique permet tout. En sortant de la salle d’audience du tribunal correctionnel de Bobigny, vendredi 20 septembre, après avoir entendu les demandes de dommages et intérêts présentées par les avocats des policiers et des magistrats qui s’étaient constitués parties civiles et les réquisitions de peines, Jean-Luc Mélenchon a harangué la petite assemblée de supporteurs réunie sur le parvis. « Maintenant on demande de l’argent ! On voit que tout ça est en train de se dégonfler ! Tout ce souk pour ça ! », a-t-il commenté.
Trois mois de prison avec sursis et 8 000 euros d’amende ont été requis contre le député des Bouches-du-Rhône et président du groupe La France insoumise (LFI), et 2 000 à 10 000 euros d’amendes ont été demandés contre ses coprévenus, les députés LFI Alexis Corbière et Bastien Lachaud, l’eurodéputé Manuel Bompard, le conseiller d’Etat Bernard Pignerol et l’attachée de presse du parti, Muriel Rozenfeld.
« Procès politique »
Après avoir mobilisé depuis des semaines ses troupes sur les réseaux sociaux en dénonçant « un procès politique fait pour des raisons politiques pour me nuire et me flétrir », mis en cause des procureurs aux ordres, accusé les avocats des parties civiles de n’être que des auxiliaires du pouvoir, il fallait bien du talent pour retomber sur ses pieds et tenter de donner un sens polémique à des réquisitions modérées, loin, très loin des peines encourues pour rébellions en réunion, provocation directe à la rébellion et intimidation envers des magistrats et des dépositaires de l’autorité publique (dix ans d’emprisonnement et 150 000 d’amende). « C’est la débandade politique de tous ceux qui sont en arrière-plan ! », a tonné le leader de La France insoumise.
Le parquet avait ramené « l’affaire » à de plus justes proportions. Celle d’un élu perdant le contrôle de lui-même face aux caméras et se mettant en scène face à son téléphone portable – « Ma personne est sacrée », « la République, c’est moi ! » – un matin d’octobre 2018, lors de la perquisition de son appartement et des locaux de son parti, dans le cadre de deux enquêtes préliminaires sur les comptes de la campagne présidentielle de 2017 et les conditions d’emploi d’assistants d’eurodéputés LFI.
« Contrat social »
« Il est de notre devoir de remettre quelques vérités à leur place. Oui, nous sommes dans une démocratie, fondée sur un contrat social, il n’y a pas de liberté sans loi. Personne n’est au-dessus des lois et certains citoyens se doivent d’être exemplaires. Or, ce jour-là, ils ne l’ont pas été, a relevé la procureure Juliette Gest. Comment croire au contrat social quand ceux qui votent les lois les violent ? Comment expliquer à nos concitoyens qu’ils doivent respecter la même loi et qu’ils seront poursuivis ? », s’est-elle interrogée.
Ce qui est reproché aux prévenus, a rappelé la procureure, « ce n’est pas d’avoir eu le verbe haut dans l’expression d’une opinion politique. C’est une action contre la justice ». Reprenant le déroulé de cette perquisition mouvementée, elle a égrené une à une les scènes qui constituent, selon le parquet, des actes d’intimidation « par l’action concertée de plusieurs personnes », des rébellions et des incitations à la rébellion.
On peut contester une perquisition par des moyens légaux, on ne peut pas décréter soi-même qu’elle serait illégale, a-t-elle observé. Evoquant le « rôle primordial » joué par « le maître des lieux », Jean-Luc Mélenchon, lors de son arrivée, la procureure a cité les appels qu’il avait lancés sur les réseaux sociaux « qui invitent clairement ses partisans à s’opposer à l’exécution des lois et aux ordres de l’autorité judiciaire ». Tout cela laisse « un sentiment de gâchis. Des policiers et des magistrats méprisés, un gâchis d’intelligence pour tenter de faire croire à cette hallucination collective, un gâchis politique certainement, un gâchis humain de tous les côtés », a-t-elle conclu.
« Le réquisitoire, c’est la loi, votre loi !, a observé en écho son collègue du parquet, Philippe Bourion, à l’adresse des parlementaires prévenus. Et l’intérêt général, c’est environ 67 millions de supporteurs. Les sourires, les cris, tout ça ne peuvent déranger l’intérêt général », a t-il ajouté.
Perquisition interrompue
Avant eux, les avocats des parties civiles avaient raillé le positionnement de « victimes et de martyrs » des prévenus et rappelé qu’avant l’arrivée de Jean-Luc Mélenchon au siège du parti, « tout est apaisé et serein. Il y a même des députés qui passent, on leur explique, ils repartent ».
Chacun puise ensuite dans les images diffusées la suite de la scène : un gendarme seul pris à partie devant la porte d’entrée par un groupe vociférant conduit par Jean-Luc Mélenchon, la horde s’engouffrant dans la pièce, un procureur plaqué contre le mur, un policier auquel on lance « vous êtes des potes de Marine [Le Pen ?]. C’est ça ? », et au bout du compte, une perquisition interrompue : « On ne peut pas laisser dire que la police a violé les locaux d’un parti d’opposition. Il faut que ces calomnies cessent, chacun doit bien entendre que les partis politiques ne sont pas à l’abri de ces enquêtes et qu’ils doivent se comporter de façon civique. La législation sur le financement des partis politiques est une nécessité démocratique, et les enquêtes doivent se mener normalement ! »
Du « procès politique » dénoncé, il ne reste que ces images, dont les conseils des parties civiles rappellent avec ironie qu’elles ont été prises ou sollicitées par les responsables de La France insoumise eux-mêmes. « Pour se défendre politiquement, on a rameuté les médias ce jour-là. On n’imaginait sans doute pas qu’elles constitueraient une preuve accablante. Tout y est ! » Délibéré le 9 décembre.
Compte rendu : « C’est moi, c’est nous qui sommes violentés » : devant la justice, Mélenchon fait valoir l’histoire face à la loi