Dans la salle d’audience du tribunal de première instance de Douala Ndokoti, dans la capitale économique du Cameroun, des hommes et des femmes, assis sur de longs bancs en bois, écoutent religieusement la juge. Au fil des minutes, la majorité des affaires sont renvoyées à une prochaine audience. Ce jeudi 19 septembre, aucun avocat n’est visible dans la salle.
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« Mon avocat est en grève et, sans ses conseils, c’est difficile », avoue Victorine, entourée de sa famille venue la soutenir pour une affaire de violence domestique. « En son absence, j’ai préféré demander le renvoi car j’avais peur de dire des bêtises. Il maîtrise mieux que moi les rouages judiciaires », soupire, à quelques pas, un jeune homme.
Depuis lundi 16 septembre et ce jusqu’à ce vendredi, les avocats du Cameroun sont en grève. Ils protestent contre les violences physiques qu’ils subissent, les entraves à leur profession et la violation des droits de leurs clients. Le ton était monté dès la fin de l’été.
Des aveux par la torture et le dol
Dans un communiqué rendu public le 31 août, le Conseil de l’ordre dénonçait, entre autres, les interpellations et détentions arbitraires d’avocats, la récurrence de violences physiques exercées contre eux par des éléments des forces de l’ordre, l’audition et la conduite des débats dans des langues autres que celles des personnes poursuivies, la comparution nue des détenus aux audiences publiques, l’obtention d’aveux par la torture et le dol, la transformation illégale des gardes à vue judiciaires en gardes à vue administratives, ainsi que la non-réponse à certaines requêtes des avocats.
En conséquence, soulignait le communiqué, l’ordre décidait « de la suspension du port de la robe et de la non-fréquentation des cours et tribunaux sur toute l’étendue du territoire pendant cinq jours ». Pour mettre fin à cette grogne, le gouvernement avait immédiatement organisé des rencontres avec les avocats et demandé une suspension du mouvement. Dimanche 15 septembre, au cours de la session extraordinaire du Conseil convoquée en vue de délibérer de la poursuite ou non du débrayage, le quorum n’avait pas été atteint. Par conséquent, la grève avait été maintenue.
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« Trop c’est trop ! Ce gouvernement considère les avocats comme de vulgaires déchets, s’emporte un ténor du barreau du Cameroun, avocat depuis plus de vingt ans, qui a défendu plusieurs anciens membres du gouvernement accusés de détournements de fonds. Pouvez-vous imaginer qu’un avocat qui vient défendre son client soit à son tour arrêté et brutalisé devant ce client ? C’est inimaginable ailleurs. C’est pourtant une histoire vraie vécue par un confrère. »
« Un avocat n’est pas un ennemi de la justice. Nous voulons qu’on nous respecte et qu’on respecte le droit fondamental des Camerounais. Depuis que nous sommes en grève, ils se rendent compte que rien ne marche sans les avocats », appuie Me Afah Ndetan.
« Les guides de droit »
Dans les cours et les tribunaux, les justiciables sont les plus affectés. Dans la salle n° 2 de la cour d’appel du Littoral à Bonanjo, quartier administratif de Douala, les juges mettent du temps à vérifier que certains prisonniers, qui sont appelés à deux reprises à la barre, ont payé leurs frais de reproduction de dossier. Au tribunal de grande instance, un greffier confie attendre « avec impatience » le retour des avocats, « les guides de droit de leurs clients » afin de « normaliser » les procès.
Si la grève a été majoritairement suivie, quelques avocats ont en revanche bravé le mot d’ordre et rejoint les tribunaux, comme Me Michèle Mpacko, l’unique avocate rencontrée dans la grande salle d’audience du tribunal de première instance de Bonanjo. Si elle trouve « légitime » les revendications, elle conteste la manière dont le débrayage a été organisé sans l’aval « de tous les avocats du Cameroun ».
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« Nos confrères et consœurs qui boycottent la grève seront sanctionnés. C’est écrit dans notre règlement. Cette grève, c’est un combat pour nous et la future génération. Pour l’instant, nous sommes pacifiques. Si rien n’est fait et si le gouvernement continue à nous maltraiter, nous allons descendre dans la rue », avertit un avocat.
Le conflit qui sévit actuellement dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, les deux régions anglophones du Cameroun, avait débuté en octobre 2016 par une grève des avocats. Ils avaient été violemment réprimés par les forces de maintien de l’ordre. Trois ans plus tard, cette guerre entre les séparatistes qui réclament l’indépendance de cette partie du pays et les forces de défense camerounaises a fait plus de 1 800 morts et forcé plus de 530 000 personnes à fuir.
Par Josiane Kouagheu