Après la tenue du dialogue politique au Bénin, le Parlement a annoncé qu’il voterait des lois de réformes électorales « le plus rapidement possible ». Le comité technique pourrait rendre ses conclusions au chef de l’État en cette fin de semaine. L’objectif est de tenter d’apaiser la crise politique qui secoue le pays depuis les législatives d’avril, auxquelles l’opposition n’avait pas pu présenter de candidats. Cet objectif est-il atteint ? L’analyse du constitutionnaliste Joël Aïvo, invité de RFI.
RFI : Le dialogue politique est terminé. Est-ce que c’est de nature à régler la crise née des législatives d’avril ?
Joël Aïvo : C’est un premier pas. D’abord, il permet d’arrêter le déni de la crise, parce qu’on sait que plusieurs acteurs ont nié que le Bénin était en crise. Et ensuite, il permet de commencer le diagnostic des causes de la crise et pourquoi nous sommes arrivés à ce point de non-retour. Malheureusement, on peut regretter – et je l’ai regretté personnellement -, qu’à ce dialogue certains acteurs clés de crise et qui ont une partie de la solution à notre problème, n’y soient pas, notamment les acteurs d’opposition, l’ensemble de l’opposition. Et ensuite, quelques autres acteurs historiques de renouveau démocratique dans notre pays, notamment le clergé catholique, la société civile dont le rôle actif dans la stabilité du Bénin et dans l’approfondissement démocratique n’est pas à dénier.
Pour ce qui est de violences post-électorales, une loi d’amnistie doit être votée rapidement. C’est un geste d’apaisement ?
Là aussi, il y a un premier pas. Mais il faut veiller à ce qu’amnistie ne rime pas avec impunité. L’amnistie ne peut pas, ne doit pas, blanchir un certain nombre de crimes qui sont pour certains des crimes de sang.
Vous pensez aux forces de sécurité ?
Je n’accuse personne pour l’instant. Mais j’ai toujours plaidé pour qu’il y ait une vérité sur ce qui s’est passé. On ne peut pas amnistier tant qu’on n’a pas situé les responsabilités et tant qu’on n’a pas su qui a tué ces citoyens dans les manifestations. Le Bénin n’a jamais connu cela depuis très longtemps. Donc on ne peut pas passer sous silence des actes aussi graves, qui ont affecté le moral du pays, la psychologie du pays et la stabilité du pays.
Les poursuites contre l’ex-président Boni Yayi vont être levées. Il va pouvoir rentrer, s’il le souhaite. Cela va dans le bon sens, selon vous ?
Je pense que oui. Le président Boni Yayi fait partie de la solution à la crise au Bénin. C’est un acteur majeur, un acteur incontournable. Il est tout à fait souhaitable que tout cela s’arrête. Mais vous savez très bien que la crise au Bénin englobe d’autres acteurs qui pensent et qui disent, d’une manière ou d’une autre, faire l’objet d’une traque judiciaire aussi.
Vous pensez à Sébastien Ajavon, Komi Koutché, Léhady Soglo ?
Je pense à toutes ces personnalités qui sont à l’étranger et dont le pays a besoin. L’apaisement passe par ces mesures globales qui ne peuvent pas se limiter seulement au président Boni Yayi.
L’opposition a demandé la dissolution du Parlement et la reprise des législatives. Ce sera peut-être en 2021. On attend encore des précisions ?
Oui, comme on attend également des précisions sur beaucoup d’autres points : le toilettage du Code électoral, de la charte des partis politiques… Pour sortir de ces dispositions législatives que l’on peut considérer comme étant des chicanes qui ont obstrué le pluralisme et la concurrence lors des dernières élections. Sur les élections générales, je voudrais avoir la précision du Parlement ou du gouvernement qu’il ne s’agit pas seulement du couplage des élections municipales et communales de 2020 avec la présidentielle, mais que, dans ces élections générales, il y a bien la convocation de nouvelles élections législatives, qui donnent désormais la possibilité à notre peuple de choisir par lui-même les représentants qui vont siéger à l’Assemblée nationale.
Une nouvelle inquiétude naît de ce dialogue politique, l’introduction du parrainage dans les critères de candidatures à la présidentielle. Que redoute l’opposition ?
D’abord, le parrainage apparaît comme un cheveu dans la soupe, qui n’a rien à voir avec le besoin de décrispation et de dégel. Dans le cas du parrainage qui est annoncé, qui est un peu contraire au parrainage par exemple, qui a eu lieu au Sénégal, qui est un portage des idées des candidats par les électeurs, au Bénin, d’après ce qui a été annoncé issu du dialogue, mais annoncé par le Conseil des ministres, il s’agit d’un parrainage par les élus, notamment les élus communaux. L’inquiétude dans la classe politique est, à partir du moment où l’on sait, quand on prend le Parlement, qu’il s’agit d’un parlement monocolore dont les 83 députés soutiennent l’action du président, on peut se douter qu’aucun candidat de l’opposition ou aucun candidat n’étant pas de la majorité présidentielle ne bénéficiera de parrainage d’aucun député de ce Parlement. Ensuite, lorsqu’on prend les élus communaux et municipaux, on sait là aussi, quelle était la couleur de l’ensemble des communes à l’avènement du président de la République, le président Talon. Pour beaucoup, il y avait des maires d’opposition, des conseils communaux qui appartenaient à des partis différents. Aujourd’hui, la tendance est à des conseils monocolores, en raison du soutien qu’ils attendent du gouvernement, de leur projet, de leur budget… La crainte est, qu’à partir du moment où le portage des candidats devient un portage politique, que ce parrainage soit utilisé pour empêcher des candidats sérieux de se présenter à l’élection. Peut-être même à des candidats qui sont issus de partis qui ont des conseils communaux, de bénéficier du parrainage de leur propre conseiller, en raison du poids, en raison peut-être des menaces ou des contraintes qui peuvent peser sur le parrainage. Donc mon souhait et l’appel que je lance est de faire très attention. Il faut faire en sorte que le parrainage ne soit pas utilisé comme une nouvelle technique d’exclusion. Et que, quel que soit le système que l’on imagine pour rationaliser la vie politique, que ce soit plutôt des systèmes qui garantissent le pluralisme et qui permettent au Bénin de confirmer sa réputation démocratique.
Par Carine Frenk– RFI