Le masque de fer
Une tribune a retenu notre attention cette semaine. Celle publiée dans Jeune Afrique par Marafa Hamidou Yaya. Cet ex-ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation du Cameroun y développe l’idée de la création de ce qu’il appelle l’Afrique centrale des Deux Océans – avec des majuscules à chaque mot pour former l’acronyme AC2O – les deux océans en question étant l’Atlantique et l’Indien. Autrement dit une Afrique centrale intégrée sur un axe, non pas nord-sud, mais est-ouest, dans un grand ensemble allant du Cameroun au Kenya, à même, écrit-il dans Jeune Afrique, de relever le défi d’une jeunesse africaine de plus en plus nombreuse, sans emploi et tenté par l’extrémisme « des groupes armés ralliés à Al-Qaïda ».
Cette idée est-elle originale? Est-elle farfelue ? Mérite-t-elle qu’on en débâte et qu’on en parle ici ? Ces questions, concédons-le, peuvent sans doute être posées. Mais pour être tout à fait franc, peut-être n’en n’aurions nous pas parlé ici-même sans la récente survenue d’un événement tragique au Cameroun : l’assassinat dans des conditions barbares de Christiane Soppo, qui fut la très dévouée secrétaire de l’auteur de cette tribune. En France, cette semaine, le journal sur Internet Mediapart a mis en ligne un article sur le « crime crapuleux », écrit-il, qui a coûté la vie à Christiane Soppo.
Qu’est-ce que ce meurtre a à voir avec le texte publié par Jeune Afrique? Rien, probablement, car il a bien été rédigé avant la mort de Madame Soppo. Toutefois, pour les auditeurs qui ne le connaissent pas, il convient de rappeler qu’après avoir été un des barons du régime camerounais, Marafa Hamidou Yaya est aujourd’hui embastillé à Yaoundé, après avoir été condamné à une lourde peine dans le cadre de l’opération anticorruption « Epervier ».
Ex-ministre d’Etat, Marafa fait partie de ce groupe de prisonniers que Jeune Afrique a baptisés les « masques de fer » de Yaoundé.
Ce qui ne l’empêche pas, au contraire, de continuer ─ bien ou mal, peu importe ─ à réfléchir au devenir de son pays comme de l’Afrique centrale. Et, du fond de son cachot, dans le souci apparent du bien commun, à se servir de sa plume pour ouvrir des débats. Lesquels, même sans la fatale ignominie à sa secrétaire ainsi faite, ne nous auraient, de toute façon, pas laissé indifférents. La preuve…
Norbert Navarro, RFI
L’Afrique centrale des deux océans (AC20), par Marafa Hamidou Yaya, Prisonnier d’Opinion au Cameroun
Marafa Hamidou Yaya est certainement avec le Professeur Maurice Kamto, l’un des successeurs les plus crédibles à la succession de Paul BIYA à la Présidence du Cameroun
Considéré aujourd’hui par le Département d’État Américain et d’autres ONG comme un Prisonnier d’opinion, il est incarcéré depuis 2012 au Secrétariat d’État à la Défense du Cameroun (le fameux SED où ont aussi été embastillés pendant 17 années le Pr. Titus EDZOA et notre compatriote Thierry Michel Atangana) pour une supposée «complicité intellectuelle de détournements de deniers publics»*.
Il publie dans le Jeune Afrique de cette semaine une tribune dans laquelle il livre sa vision de l’Afrique Centrale, de la crise en Centrafrique, puis de la lutte contre l’intégrisme islamiste…en sa qualité d’un des rares Hommes d’État originaires d’un pays (Le Cameroun) aux abonnés absents sur la scène diplomatique sous-régionale, continentale, et internationale… depuis des décennies.
La tribune de monsieur Marafa Hamidou Yaya, ancien Sécrétaire Général à la Présidence de la République, puis Ministre d’Etat de l’Administration territoriale et de la Décentralisation du Cameroun, telle qu’elle était parue dans l’Hebdomadaire Jeune Afrique du 2 au 8 février 2014.
Personne ne devrait s’illusionner sur les limites de l’opération Sangaris en République centrafricaine. Elle atténuera peut-être les effets humanitaires de cette crise, mais sans s’attaquer à ses racines. Le développement économique et l’intégration régionale sont les clés de la stabilisation durable de ce pays et, plus généralement, de la région centrale de l’Afrique qui, du Cameroun au Kenya, subit les «externalités négatives» du terrorisme islamiste venu du Nord.
Bien que le taux de croissance annuel moyen de 5% dont bénéficie l’Afrique centrale depuis 2000 représente une performance appréciable, il reste un indicateur trompeur. Tirée par la démographie et le cours des matières premières, et dès lors peu inclusive, cette croissance échoue à créer des emplois, en particulier pour les 200 millions d’Africains âgés de 15 à 24 ans, qui sont les premiers exposés à la tentation extrémiste.
L’avenir de l’Afrique centrale réside, selon moi, dans la consolidation d’un bloc Ouest-Est reliant le Cameroun au Kenya en passant par la République centrafricaine et le Soudan du Sud.
Cette Afrique centrale des deux océans (AC20) s’appuierait sur des infrastructures de transport interconnectées, une convergence économique et une coopération étroite en matière de sécurité.
Quel horizon de développement cette vision ouvre-t-elle? Tout d’abord l’AC20 offrirait aux quatre pays qui la composeraient un atout considérable dont l’Afrique du Sud est aujourd’hui seule à bénéficier sur le continent et qui explique en grande partie sa success story: une double façade sur l’océan Atlantique et l’océan Indien. Elle occuperait une position stratégique de corridor sur l’axe Amériques-Afrique-Asie.
Cette intégration dans les échanges internationaux permettrait aux États enclavés, la République centrafricaine et le Soudan du Sud, de mieux valoriser leurs matières premières. Le Cameroun et le Kenya tireraient quant à eux parti de leur position côtière pour favoriser l’exportation de produits manufacturés et la diversification dans les services.
Les efforts à accomplir, bien sûr considérables, s’appuieront sur des bases solides. La carence de la région en infrastructures est très importante mais l’AC20 compte déjà, avec Mombasa et Douala-Kribi, deux des quatre plus grands ports d’Afrique centrale. Autre amorce solide, le Kenya s’est lancé avec sa vision 2030 dans un programme ambitieux de développement routier et ferroviaire intégré.
Quant au rapprochement politique qui devra sous-tendre le projet dans son ensemble, il pourra s’appuyer sur les liens privilégiés entre le Cameroun et la République centrafricaine, d’une part, et le Kenya et le soudan du Sud, d’autre part. Il trouvera aussi une dimension humaine dans l’expérience commune de peuples partageant latitude, paysages, climat, histoire et culture.
Comment ce projet contribuerait-il à la stabilisation de la région?
Sur le plan de la sécurité, l’AC20 est géographiquement dans la meilleure position pour constituer à la fois un axe d’endiguement de la menace terroriste et un modèle de cohabitation. En effet, elle forme une frontière entre les pays à majorité musulmane, au nord, et ceux à dominance chrétienne, au sud. Or c’est cette frontière qu’assaillent des groupes armés comme la Séléka, les Djandjawid, Boko Haram et les Shebab.
Aujourd’hui, le risque de contagion de la crise centrafricaine aux pays voisins est réel. Et ceux qui, pour mobiliser l’opinion et les décideurs occidentaux, résument ce conflit à un «génocide religieux» ne font qu’accentuer et légitimer les violences, offrant de surcroît aux belligérants le moyen de s’assurer dans les pays limitrophes ou plus lointains des soutiens occultes à leur cause.
Portes d’entrée sur le continent, le Kenya et le Cameroun ont une longue tradition de mixité culturelle, ethnique et religieuse. L’AC20 sera pour eux le moyen d’apporter une réponse africaine crédible aux défis sécuritaires et économiques de leur région.
Marafa Hamidou Yaya, prisonnier politique au Cameroun
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques – CL2P