Par Bruno Meyerfeld
La nouvelle ne pouvait pas mieux tomber : un an à peine après l’élection surprise de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil, l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva vient d’engranger une victoire décisive sur le plan juridique, qui pourrait mener à sa rapide libération.
Jeudi 7 novembre, tard dans la soirée, le Tribunal suprême fédéral du Brésil (STF, plus haute instance juridique du pays) a rendu un arrêt d’une importance cruciale, jugeant inconstitutionnelle la jurisprudence selon laquelle un condamné peut être emprisonné avant l’épuisement de l’ensemble de ses recours, si sa condamnation a été confirmée en appel.
La décision des onze juges, adoptée de justesse au terme d’interminables débats par six voix contre cinq, pourrait entraîner la sortie de prison dès vendredi 8 novembre de Lula, qui a fêté depuis sa cellule, le 27 octobre, ses 74 ans. L’ex-président, condamné dans le cadre de l’affaire « Lava Jato » (« lavage express »), purge depuis avril 2018 dans les locaux de la police fédérale de Curitiba une peine de huit ans et dix mois de prison pour corruption, à la suite d’un procès des plus controversés. Il avait alors été accusé d’avoir bénéficié d’un triplex dans la station balnéaire de Guaruja, près de Sao Paulo, en échange de contrats accordés à une entreprise du BTP.
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Euphorie
A gauche, c’est l’euphorie : des manifestations de joie ont eu lieu dans différentes villes du pays, en particulier dans le Nordeste, acquis au Parti des travailleurs (PT), fondé par l’ancien métallo devenu chef de l’Etat. Plusieurs personnalités d’importance, dont le nouveau président élu argentin Alberto Fernandez, ont également apporté leur soutien à Lula.
Que va faire celui que tous ses partisans appellent encore « président », s’il était bel et bien amené à sortir de prison ? Lula est resté discret sur ses intentions, ayant vaguement déclaré, dans le passé, souhaiter entamer un tour du pays à la tête d’une « caravane » de campagne. La proposition ravit déjà ses soutiens les plus proches. « Lula doit prendre la tête de l’opposition à Bolsonaro !, confie ainsi le député Paulo Pimenta, chef du groupe PT à l’Assemblée nationale. Il a un héritage immense, il incarne la justice sociale, il est respecté à l’étranger. Je pense qu’il est le seul qui peut, aujourd’hui, redonner une espérance à la société, réunifier le pays. Pour moi, pas de doute : Lula va vivre jusqu’à 120 ans et sera le prochain président du Brésil. »
Il ne faut pourtant pas griller les étapes : la justice brésilienne est une machine complexe, pleine de rouages, et capable de surprises, elle l’a déjà montré à de nombreuses reprises. Les avocats de Lula ont ainsi annoncé qu’ils allaient demander, dès vendredi, la libération de leur client. Mais ce type de décision n’est pas automatique : il revient en effet, localement, à chaque juge d’appliquer ou non les décisions du Tribunal suprême – en l’occurrence, dans le cas de l’ex-président, il s’agit de la juge fédérale Carolina Lebbos. Celle-ci pourrait très bien décider de faire traîner la sortie de l’ex-président. Au-delà du cas Lula, près de 5 000 autres condamnés (sur 800 000 prisonniers incarcérés au Brésil) pourraient bénéficier de la décision du STF, dont des dizaines de personnalités condamnées par l’opération anticorruption « Lava Jato ».
Tremblement de terre
L’arrêt rendu jeudi est cependant bel et bien un tremblement de terre dans la politique brésilienne, à un an seulement des élections municipales, test pour le pouvoir de Jair Bolsonaro. A l’autre bout de l’échiquier politique, du côté de l’extrême droite, la décision de la soirée a ainsi fait enrager plus d’un partisan du chef de l’Etat. « Honte ! Une fois de plus, les juges du STF ont voté en faveur des criminels [et] contre le peuple brésilien, faisant du Brésil un pays d’impunité ! [C’est la] Fête du banditisme ! », s’est ainsi étranglé, sur Twitter, le sénateur Sérgio Olimpio Gomes, dit « Major Olimpio », grande voix du Parti social-libéral (PSL, la formation présidentielle),
L’élu réclame que le Congrès fasse pression sur le Tribunal suprême afin qu’il revoie sa décision, menaçant même le cas échéant de voter un amendement constitutionnel afin de tordre le bras au pouvoir judiciaire. Une proposition inquiétante, mettant en péril la séparation des pouvoirs, qui a été fermement rejetée par le président de la Chambre des députés, le modéré et influent Rodrigo Maia, avec qui Jair Bolsonaro entretient aujourd’hui des relations glaciales.
La décision du STF représente en tout cas une gifle cinglante pour le ministre de la justice Sergio Moro, ex- « petit juge » de Curitiba, qui avait condamné Lula en première instance en 2017. Elle pourrait même représenter un coup d’arrêt pour la longtemps très populaire opération « Lava Jato ». « Du scandale du Mensalao [concernant des pots-de-vin et achats de voix sous le gouvernement Lula] jusqu’aux condamnations du “Lava Jato”, la corporation juridique se voyait comme une force moralisatrice et rationalisatrice, capable d’en finir avec les mauvaises pratiques des mondes de la politique et de l’économie. Cette décision du Tribunal suprême marque l’échec de ce fantasme. Au final, la justice a été obligée de revenir en arrière », réagit Fernando de Castro Fontainha, spécialiste du droit et des élites juridiques brésiliennes.
Lula n’est pas pour autant tiré d’affaire. L’ancien président, au pouvoir de 2003 à 2010, devrait certes pouvoir être libéré, mais, n’est pour le moment, pas innocenté. Les avocats de Lula ont ainsi déposé plusieurs recours en habeas corpus auprès du Tribunal suprême afin de faire annuler la condamnation de l’ex-président. Celle-ci pourrait se saisir du cas de l’ancien président d’ici à la fin de l’année. La défense fonde notamment son recours sur les révélations récentes du site d’information The Intercept, qui a dénoncé cette année de nombreuses irrégularités dans la procédure judiciaire ayant frappé Lula, mettant en cause l’impartialité du juge Sergio Moro, aujourd’hui ministre de la justice de Bolsonaro.
Au-delà du triplex, l’ancien président est par ailleurs poursuivi dans le cadre de plusieurs autres affaires. Il a ainsi été condamné, en février, toujours dans le cadre de l’opération « Lava Jato », à douze ans et onze mois de prison en première instance pour corruption passive et blanchiment d’argent, cette fois pour des travaux qui auraient été effectués, contre faveurs, dans une propriété rurale située dans l’Etat de Sao Paulo. Autant d’accusations fermement rejetées par l’ancien président, mais qui, au-delà de la décision du STF, assombrissent son horizon judiciaire.