Dans la salle des pas perdus du tribunal de Sidi M’hamed à Alger, tard dans la nuit du lundi 11 au mardi 12 novembre, un homme ne se retient plus. « Honte à vous !, hurle-t-il. Nos enfants sont en prison pour le drapeau amazigh, nous sommes chez nous ! » Une exclamation de colère et de détresse relayée par la foule des parents de détenus et des militants venus les soutenir aux cris de « justice du téléphone » et « nous sommes toujours des Amazighs ».
Ouvert lundi, le procès de 42 personnes arrêtées lors des manifestations à Alger pour « atteinte à l’unité nationale » à cause de port du drapeau amazigh, s’est terminé, pour 21 d’entre eux, par une condamnation à un an de prison dont six mois ferme et une amende de 30 000 dinars (environ 230 euros).
Dans la matinée du mardi, six autres détenus, dont le procès s’est déroulé le 22 octobre, ont été condamnés pour le même chef d’inculpation, à six mois de prison ferme. Certains s’attendaient pourtant à un verdict d’apaisement à l’approche d’une élection présidentielle prévue pour le 12 décembre et fortement contestée par le mouvement populaire déclenché en février.
Dossiers « vides »
Les familles et les avocats avaient en effet bon espoir que les juges d’Alger suivent certains de leurs homologues de l’intérieur du pays. Ceux-là avaient décidé d’acquitter les prévenus pour port de drapeau amazigh au motif qu’aucune loi ne le proscrit et qu’il ne peut être invoqué pour justifier une poursuite pour « atteinte à l’unité nationale ». Le 8 août, une juge à Annaba avait acquitté un détenu pour port de drapeau amazigh contre lequel le procureur avait requis dix ans de prison. La juge a également ordonné la restitution du drapeau berbère au prévenu. Plusieurs autres tribunaux ont répliqué ce verdict. Pas Alger.
Les avocats ont déjà pointé lors d’une conférence de presse une gestion spéciale de la part des juridictions de la capitale. Lundi, ils ne cachaient pas leur désappointement. Pour eux, les dossiers sont « vides » et les poursuites répondent à une injonction politique. De fait, non seulement la loi n’interdit pas de brandir un drapeau amazigh, mais la Constitution reconnaît-elle aussi l’« amazighité » comme l’une des composantes de l’identité nationale. Et en 2016, un article a été ajouté à la Constitution pour faire du tamazight, l’idiome de la population berbère, une « langue officielle » du pays.
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Présent aux côtés de l’emblème national et du drapeau palestinien dans les marches du vendredi et les défilés estudiantins du mardi, le drapeau berbère a été frappé d’interdiction à la suite d’un discours prononcé, le 19 juin, par le chef d’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah. L’actuel homme fort du pays dénonçait des tentatives « d’infiltration » et le port « d’autres emblèmes que notre emblème national par une infime minorité ». Il avait indiqué que des « instructions strictes ont été données aux forces de l’ordre pour une application rigoureuse des lois (…) et pour faire face à quiconque tente encore une fois d’affecter les sentiments des Algériens à propos de ce sujet sensible et délicat ». Les arrestations ont suivi par dizaines après cette allocution.