Le petit pays d’Afrique de l’Ouest, la Gambie, a intenté une action en justice devant la plus haute cour de l’ONU, accusant officiellement le Myanmar de génocide contre les musulmans rohingyas.
Elle a été déposée auprès de la Cour internationale de Justice (CIJ), qui statue normalement sur les différends entre États.
L’année dernière, l’ONU a publié un rapport accablant sur la violence au Myanmar, déclarant que les chefs militaires devraient être jugés pour génocide.
Le gouvernement du Myanmar nie que ses troupes aient commis de tels crimes.
Procédure inhabituelle
Les autorités gambiennes accusent le gouvernement birman de chercher à “exterminer” la minorité musulmane des Rohingyas, en tant que groupe ethnique. Avec comme armes : les meurtres, les viols et autres violences sexuelles, et l’exode forcé de la communauté menacée.
La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, un texte datant de 1948, justifie la procédure gambienne.
Cette disposition onusienne est en place pour régler les conflits entre Etats, et non poursuivre les individus comme le fait la Cour pénale internationale.
Banjul accuse la Birmanie d’avoir violé cette Convention, en perpétrant un génocide organisé.
La plainte a été déposée le 11 novembre 2018 par le ministre gambien de la Justice, devant la Cour internationale de Justice.
“Tout ce que la Gambie demande, c’est que vous disiez [à la Birmanie] de mettre fin à ces tueries insensées, d’arrêter ces actes de barbarie et de cesser ce génocide contre son propre peuple”, a martelé le ministre gambien de la Justice, Abubacarr Tambadou, devant les juges de la Cour internationale de Justice à La Haye, aux Pays-Bas.
Des milliers de Rohingyas ont été tués et plus de 700 000 d’entre eux ont fui vers le Bangladesh voisin lors d’une opération de répression de l’armée dans le pays à majorité bouddhiste en 2017.
En août 2018, la Mission internationale indépendante d’établissement des faits de l’ONU sur le Myanmar a déclaré que les tactiques de l’armée étaient “manifestement disproportionnées par rapport aux menaces réelles à la sécurité” et que “la nécessité militaire ne justifierait jamais de tuer sans discernement, de violer des femmes en bande, d’attaquer des enfants et de brûler des villages entiers”.
Image caption Hla Poe Kaung transit camp was built to house 25,000 returnees – but sprang up on the site of two demolished Rohingya villages
Le Myanmar a rejeté le rapport. Il n’a cessé de répéter que ses opérations visaient des menaces militantes ou insurrectionnelles.
L’année dernière, les procureurs de la Cour pénale internationale (CPI) – qui enquêtent normalement sur les allégations de crimes de guerre par opposition à la CIJ – ont ouvert une enquête préliminaire sur les crimes présumés du Myanmar contre sa minorité musulmane Rohingya.
Mais le fait que le Myanmar n’ait pas adhéré à la CPI complique la procédure judiciaire et aucune accusation n’a encore été déposée.
Pourquoi la Gambie porte-t-elle plainte?
La Gambie a intenté une action en justice devant la CIJ – parfois connue sous le nom de Cour internationale de justice – à La Haye lundi.
Le pays, majoritairement musulman, bénéficie également du soutien de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), qui compte 57 pays membres, et d’une équipe d’avocats internationaux.
Tous les deux et le Myanmar sont signataires de la Convention sur le génocide de 1948, qui les engage à prévenir et à punir le crime de génocide.
Dans son dossier, la Gambie a demandé au tribunal de mettre en œuvre une injonction pour faire en sorte que le Myanmar “cesse immédiatement les atrocités et le génocide contre son propre peuple Rohingya”.
Abubacarr M. Tambadou, procureur général et ministre de la justice de Gambie, a été le fer de lance de cet effort. Auparavant, il a travaillé au Tribunal pénal international pour le Rwanda, où il a enquêté sur le génocide de 1994.
Le mois dernier, M. Tambadou a déclaré à la BBC qu’il était motivé à agir après avoir entendu parler de meurtres brutaux, de viols et de tortures par des survivants lors d’une visite dans un camp de réfugiés Rohingya au Bangladesh.
Bangladesh: des camps de réfugiés rohingyas inondés
Qui sont les Rohingyas ?
Les Rohingyas sont une minorité ethnique musulmane du Myanmar qui a sa propre langue et sa propre culture. Ils vivent pour la plupart dans l’État de Rakhine, qui est limitrophe du Bangladesh.
Bien qu’ils vivent au Myanmar depuis des générations, ils ne sont pas reconnus comme citoyens et ne sont pas pris en compte dans le recensement. Ils sont souvent présentés, y compris par des représentants du gouvernement, comme des immigrants illégaux et des intrus du Bangladesh.
Le 25 août 2017, des militants rohingyas ont attaqué des dizaines de postes de police, tuant plusieurs officiers. Les opérations de déminage menées par les forces de sécurité en réponse à cette situation ont vu des villages entiers incendiés et des civils attaqués, violés et tués, selon les enquêteurs de l’ONU.
Des centaines de milliers de personnes ont fui au Bangladesh, rejoignant ainsi de nombreux Rohingyas vivant dans des camps qui avaient fui lors des vagues précédentes.
Les tentatives de rapatriement des Rohingyas ont jusqu’à présent échoué, les réfugiés invoquant l’absence de responsabilité pour les atrocités commises et l’incertitude sur leur sort à leur retour.
En octobre, l’ONU a averti qu’il existait un “risque sérieux de récidive du génocide” contre ceux qui se trouvaient encore à l’intérieur du pays.
Plus tôt cette année, la BBC a trouvé des preuves que des villages entiers de Rohingyas avaient été démolis et remplacés par des installations gouvernementales sécurisées.