Un sixième des journalistes morts en mission dans le monde en 2019 sont africains. Sur les quarante-neuf professionnels tués en raison de leur métier ou en reportage, huit l’ont été en Afrique, d’après les chiffres de Reporters sans frontières (RSF), qui a rendu public hier son « Bilan 2019 des journalistes tués, détenus, otages et disparus dans le monde ». Ces données comptabilisent aussi les quarante-sept professionnels emprisonnés sur le continent, dont dix-neuf en Afrique subsaharienne et une majorité en Egypte.
De tous les États africains, c’est la Somalie qui, pour la troisième année consécutive, détient le triste record des disparitions avec trois morts cette année. Le 12 juillet, la Canado-Somalienne Hodan Nalayeh, visage de la chaîne YouTube Integration TV – que la jeune femme avait fondé pour mettre en avant les aspects positifs de la Somalie –, et le correspondant somalien de la télévision des Seychelles SBC TV, Mohamed Sahal Omar, ont succombé aux côtés de vingt-six autres personnes à une attaque revendiquée par les islamistes chababs à Kismayo, dans le sud-est du pays. A peine un mois plus tard, un double attentat à la voiture piégée sur la base militaire d’Awdheegle faisait six victimes, dont le cameraman Abdinasir Abdulle Ga’al, qui travaillait, lui, pour la SNA, la radio de l’armée somalienne.
En Libye, au Tchad, au Nigeria, des reporters ont péri en faisant leur travail, notamment en couvrant des manifestations. Ainsi, le photographe et cameraman libyen Mohamed Ben Khalifa a perdu la vie dans des affrontements entre milices en janvier à Tripoli. Et le 22 juillet, c’est une balle perdue de la police nigériane qui a coûté la vie au reporter Precious Owolabi, 23 ans, alors qu’il couvrait une manifestation de musulmans chiites à Abuja pour la très populaire chaîne Channels TV. Autre danger en zone de guerre, le journaliste de télévision pour la chaîne publique Télé Tchad, Obed Nangbatna, est lui décédé sur une mine fin mai au Tchad.
Détentions arbitraires record en Egypte
En Afrique comme ailleurs, accomplir son travail en dehors des zones de conflits ne signifie pas forcément sans dangers. A Accra, au Ghana, le journaliste d’investigation Ahmed Hussein Suale a été abattu par des inconnus armés dans sa voiture. Ce correspondant pour la BBC était très connu pour son travail d’enquête sur la corruption dans le football, une enquête qu’il menait avec le groupe de journalistes Tiger Eye et sa vedette Anas Aremeyaw Anas, ce journaliste dont personne ne connaît le visage.
D’autres sujets sont aussi devenus quasi tabous comme l’épidémie Ebola qui sévit en République démocratique du Congo. En novembre, Papy Mahamba Mumbere, un animateur d’une radio communautaire qui présentait une émission sur la lutte contre le virus, a été attaqué à l’arme blanche à son domicile avec son épouse alors qu’il rentrait chez lui. Face à la méfiance et à l’hostilité des populations locales, plusieurs radios ont déjà interrompu leurs programmes de sensibilisation à l’épidémie et des médecins ont été agressés dans une zone où les conflits armés font plus de victimes que la maladie.
Avec vingt-cinq journalistes professionnels et quatre « journalistes citoyens » sous les verrous dont beaucoup sans aucune condamnation, ne sachant pas pour quels motifs ils sont poursuivis, l’Egypte truste le haut du classement en matière de détentions arbitraires, dépassant de peu l’Arabie saoudite. Depuis sa réélection au début de l’année 2018, le régime d’Abdel Fattah Al-Sissi a ainsi écroué vingt-trois personnalités des médias, dont treize depuis le début des révoltes populaires de septembre. L’un des quatre « journalistes citoyens » emprisonnés, la blogueuse Esraa Abdel Fattah, a même entamé une grève de la faim en guise de protestation contre les tortures et les mauvais traitements pendant son interrogatoire.
Situation préoccupante au Burundi
Une fois libérés, les anciens prisonniers doivent s’attendre à un contrôle judiciaire strict. Le rapport cite le cas du photojournaliste Mahmoud Abou Zeid, dit Shawkan, et du blogueur et militant des droits humains Alaa Abdel Fattah, contraints durant cinq ans de se rendre chaque nuit au poste de police pour y dormir en cellule. Le dernier d’entre eux n’est d’ailleurs pas ressorti du commissariat fin septembre.
Si le Maghreb ne se pose pas tout à fait en exemple, l’Afrique subsaharienne n’est pas en reste non plus sur le chapitre des emprisonnements. Amadou Vamoulké, l’ancien directeur de la Cameroon Radio Television (CRTV), la radiotélévision publique camerounaise, reste détenu depuis plus de trois ans sous le chef d’accusation de « détournements de fonds ».
Le journaliste d’investigation tanzanien Erick Kabendera serait également détenu dans des conditions en contradiction avec son état de santé. Son cas est emblématique de la Tanzanie, qui a perdu quarante-sept places au classement mondial de la liberté de la presse depuis 2016, aujourd’hui 118e sur 180. Préoccupante aussi la situation du Burundi, classé 159e. Là, quatre reporters du journal indépendant Iwacu ont été arrêtés le 22 octobre et accusés de « complicité d’atteinte à la sécurité de l’Etat » après avoir filmé les affrontements entre un groupe rebelle et les forces de l’ordre dans la région de Bubanza, au nord-ouest de la capitale Bujumbura.
Les équipes de RSF notent également une hausse des interpellations de journalistes, difficile à comptabiliser, notamment en Algérie. Entre la défiance de certains de ses lecteurs happés par des formes moins conventionnelles d’information et les tentatives de contrôle étatique, la presse en Afrique doit plus que jamais lutter pour son indépendance.
Par Lucie Léquier