Le Cameroun, premier des 17 pays africains ayant acquis leur indépendance en 1960, marquera le 1er janvier ce soixantième anniversaire au moment où il traverse l’une des périodes les plus tourmentées de son histoire.
Premier à ouvrir le bal, le Cameroun – parfois surnommé “L’Afrique en miniature” en raison de sa diversité – sera suivi par treize autres anciennes colonies françaises, ainsi que par la République démocratique du Congo (RDC), la Somalie et le Nigeria.
En 60 ans d’indépendance, le Cameroun (24 millions d’habitants) n’aura connu que deux chefs de l’Etat et est dirigé depuis 37 ans par le président Paul Biya, âgé de 86 ans. Longtemps montré en exemple pour sa stabilité, il navigue aujourd’hui en des eaux plus troubles.
Dans les rues d’un quartier pauvre de Douala, la capitale économique, David Fomuso, déplacé de la crise qui sévit dans la partie anglophone du pays, n’est pas d’humeur à faire la fête.
“On ne pense pas à ces 60 ans, on est résignés”, raconte à l’AFP l’homme qui a dû fuir son village il y a deux ans avec ses trois enfants, afin de subvenir à leurs besoins et leur permettre d’aller à l’école. Il est l’une des très nombreuses victimes du conflit qui fait rage depuis près de trois ans dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où des groupes séparatistes et l’armée s’affrontent.
Cette guerre, héritée d’un passé colonial tumultueux, a déjà fait plus de 3.000 morts et forcé plus de 700.000 Camerounais à fuir leur domicile.
Dans les grandes villes, aucune grande manifestation n’est prévue. La fête nationale n’est d’ailleurs pas celle de l’Indépendance, mais celle de l’Unité célébrée en mai. Car le 1er janvier 1960, seule la partie du Cameroun autrefois administrée par la France se libère du joug colonial. Il faut attendre le 20 mai 1961 pour que le Cameroun soit constitué: les actuelles régions du Sud-Ouest et du Nord-ouest, alors sous tutelle britannique, sont rattachées au Cameroun francophone.
Dans l’Extrême-Nord, l’heure n’est pas non plus aux réjouissances: depuis plusieurs mois, la région est confrontée, selon Amnesty International, à un “regain d’attaques” de Boko Haram. Depuis 2014, les attaques du groupe jihadiste nigérian ont fait plusieurs milliers de morts. Les habitants “vivent dans la terreur” et “se sentent complètement abandonnés”, souligne l’ONG.
Ce fléau touche également les voisins du Cameroun, qui fêteront eux aussi 60 ans d’indépendance en 2020, comme le Niger (3 août), le Tchad (11 août), ou le Nigeria (1er octobre).
– “Soif de changement” –
Depuis Yaoundé, l’indéboulonnable président Biya doit faire face à ces deux crises au moment où il est contesté comme rarement.
Au Cameroun, où 75% de la population a moins de 35 ans et n’a connu que lui comme président, les habitants “ont soif de changement”, estime l’opposant Maurice Kamto, arrivé deuxième à la présidentielle de 2018. Libéré en octobre après huit mois d’emprisonnement, M. Kamto continue de revendiquer pacifiquement sa victoire.
Démocratie, sécurité, développement: pour le Cameroun, comme pour l’Afrique subsaharienne, les défis restent considérables.
Si le Sénégal, qui fêtera le 4 avril son indépendance, est souvent montré en exemple pour sa culture démocratique, à l’inverse, la République centrafricaine (13 août) a été secouée par une série de coups d’Etat depuis 1960.
Autre danger, les groupes jihadistes qui déstabilisent nombre de pays, à l’image du Mali (22 septembre), du Burkina Faso (5 août) et du Niger. Ces attaques ont fait des milliers de morts au Sahel. Face à cette menace, l’armée française y a déployé 4.500 militaires.
Mais 60 ans après, la relation de la France avec ses anciennes colonies est encore et toujours sous le feu des critiques.
– “Oripeaux du colonialisme” –
“Trop souvent aujourd’hui la France est perçue” comme ayant “un regard d’hégémonie et des oripeaux d’un colonialisme qui a été une erreur profonde, une faute de la République”, déclarait fin décembre le président français Emmanuel Macron à Abidjan, appelant à “bâtir une nouvelle page”. L’ex-puissance coloniale accueillera début juin à Bordeaux (sud-ouest) un sommet Afrique-France.
Dans la capitale économique ivoirienne, M. Macron a, avec son homologue ivoirien Alassane Ouattara, acté la fin du franc CFA d’Afrique de l’Ouest, monnaie héritée de la période coloniale, pour son remplacement par l’Eco.
Une réforme jugée historique pour certains, de façade pour d’autres. En outre, elle ne concerne pas le franc CFA d’Afrique centrale, encore utilisé par six pays, dont le Cameroun.
Dans ce pays, où un tiers des habitants vit avec moins de 2 euros par jour, le franc CFA est souvent vu comme un frein au développement et le symbole de la Françafrique.
“C’est le soutien affiché de la France à des régimes despotiques qui est la première cause de ras-le-bol”, assure l’historien Emmanuel Tchumtchoua, de l’université de Douala, poursuivant: “Il y a aussi la question du franc CFA. Qu’on le veuille ou pas, les gens se sentent frustrés”.
Depuis plusieurs années, les pays africains ont tissé des relations avec d’autres grandes puissances, Chine au premier chef. Le géant asiatique est devenu depuis 2013, le premier partenaire commercial du Cameroun, comme du continent.
Avec AFP