Les Camerounais suivront-ils l’appel lancé par l’opposant Maurice Kamto ? Le 25 novembre 2019, le chef du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) avait en effet exhorté les potentiels votants à « rester chez eux » le 9 février 2020, date des élections législatives et locales. Avec cette annonce, le candidat malheureux à la présidentielle du mois d’octobre 2018 a donc appelé à un boycott pur et simple du scrutin à venir. Ce qui laisse le champ libre à une trentaine d’autres partis politiques, et surtout au Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), au pouvoir. Le parti du président Paul Biya, 86 ans, jouit actuellement d’une majorité écrasante, avec 148 députés au Parlement. Présents également dans toutes les circonscriptions électorales, les candidats du RDPC n’auront pas, avec le boycott du MRC, de concurrents dans de nombreuses localités du pays.
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La nécessité d’une réforme du processus électoral
Farouche opposant du chef de l’État depuis plusieurs années, Maurice Kamto a surpris avec son appel au boycott. La question est en fait de savoir si en privant les Camerounais d’un vote pour l’opposition, le président du MRC ne fait pas un cadeau à Paul Biya. « Je n’ai pas appelé au boycott pour la posture, s’est-il défendu à Paris devant la presse le 30 janvier, à l’occasion d’une tournée en Europe et aux États-Unis. C’est une décision grave », mais qui, d’après lui, est inévitable. Car une élection dans le pays sans « réforme du processus électoral » est, toujours selon l’opposant, complètement stérile. « Avec le système électoral actuel, les mêmes causes produiront inexorablement les mêmes effets : à savoir fraudes massives, vol des résultats et nouvelle crise post-électorale », avait-il d’ailleurs déjà déclaré à Yaoundé, en novembre. Mais pour le président du MRC, c’est aussi la période préélectorale qui pose problème.
L’impossibilité d’un scrutin sans campagne
« Comment voulez-vous faire campagne lorsque vos meetings, vos réunions sont interdits ? Dans ls situation actuelle, il est impossible de présenter nos idées aux Camerounais, et même de nous adresser à nos militants », a-t-il déploré. Le parti d’opposition en a fait les frais. En janvier 2019, à l’issue d’une marche de contestation contre le résultat de l’élection présidentielle, Maurice Kamto et des dizaines de ses partisans avaient été arrêtés. S’en sont suivis neuf mois de prison pour le chef du MRC, finalement libéré en septembre, à la suite de pressions internationales. Selon l’opposant, quinze militants sont d’ailleurs encore en détention, « dont le vice-président du parti, Mamadou Mota ». Incarcéré à la suite d’une marche de l’opposition, le bras droit de Maurice Kamto a été reconnu coupable d’avoir participé à la mutinerie de la prison centrale de Yaoundé, en juillet. Une condamnation purement politique, selon son avocat.
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« Une guerre civile dévastatrice »
Seconde raison évoquée par Maurice Kamto, la situation sécuritaire qui prévaut actuellement au Cameroun. « Organiser des élections […] aujourd’hui, qui plus est des élections locales, sans avoir rétabli la paix dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, c’est donner le message que ces populations ne sont pas des Camerounais et, ce faisant, consacrer la partition de fait du pays », avait-il déclaré en novembre. À Paris, il a réitéré sa position, arguant que « l’élection ne résoudra aucun problème. Au contraire, elle exacerbera la crise », a-t-il affirmé. Le statut spécial pour les régions anglophones, annoncé en décembre à l’issue d’un grand dialogue national voulu par le gouvernement, arrive « trop tard », a-t-il dit. « Nous ne croyons pas que la décentralisation soit une réponse aujourd’hui. » Depuis fin 2016, la région est plongée dans un conflit meurtrier entre indépendantistes anglophones et l’armée qui, selon des ONG, a fait plus de 3 000 morts. Des chiffres alarmants pour le chef du MRC, qui parle même de « guerre civile dévastatrice ».
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Et qui, par là même, appelle à un « sursaut national […] pour ne pas qu’un jour on doive faire appel aux Français comme dans le Sahel ». La France, qu’il a d’ailleurs appelée à ne pas se rendre « complice » des « gens qui font endurer cela à leur pays ». Avec le rejet définitif des élections de la part du MRC, comment envisager l’avenir de l’opposition ? Malgré les interdictions, Maurice Kamto parie sur un « éveil politique des compatriotes », et espère un « effort » des autorités en place. Le vœu paraît pieux. En effet, après le 9 février, les arcanes du pouvoir camerounais seront sans nul doute acquis au RDPC. Et le parti au pouvoir aura réussi son pari.
Par Marlène Panara | Le Point.fr