« Ce n’est plus seulement Boko Haram qui sème la terreur dans l’extrême nord. Il y a aussi la famine. » Ibrahim Wanda, infirmier au quartier Pictoiré à Maroua (chef-lieu de la région), a de la peine à cacher son inquiétude. Le prix de sac de mil d’environ 100 kg, principale denrée alimentaire de cette région frontalière du Nigeria, a doublé en quelques semaines. De 10 000 francs à 15 000 francs CFA (entre 15 et 23 euros), il varie désormais entre 20 000 francs et 30 000 francs CFA (entre 30 et 45 euros) dans certains marchés de la ville.
« Je n’ai plus les moyens d’en acheter pour nourrir ma femme et mes enfants », ajoute le quadragénaire. Pour se ravitailler à moindres frais, il se rend chez ses parents, cultivateurs dans la petite localité de Gazawa. « Au lieu de semer en avril, les cultivateurs l’ont fait en juillet à cause de la pluie qui n’est arrivée qu’en septembre. Et encore, il ne pleut pas régulièrement. Les semis n’ont rien donné », déplore Ibrahim Wanda.
Adja Kadjila est cultivatrice de mil depuis plus de vingt ans dans le village Moutourwa, l’une des plus grandes zones de production de la région. Venue vendre ses maigres récoltes au marché central de Maroua, elle explique, amère : « J’ai attendu la pluie sans succès. Le soleil a détruit tout mon champ. Je ne suis pas sûre d’avoir assez de mil pour cette année. »
Les autorités confirment que la culture de céréales (mil, sorgho, maïs) a été perturbée par la « grave sécheresse » survenue en début d’année dans l’extrême nord du Cameroun. Abakachi Djato, délégué régional de l’agriculture et du développement rural de la région, explique que la plupart des récoltes prévues courant octobre-novembre n’auront pas lieu.
132 000 tonnes de déficit de céréales en 2014
« Cette année, le déficit de céréales pourrait être porté entre 150 000 et 200 000 tonnes », prévoit Abakachi Djato. En 2014, il était de 132 000 tonnes dans cette région touchée depuis de nombreuses années par une insécurité alimentaire. Afin de pallier le problème, le gouvernement a offert 300 tonnes de semences de maïs aux producteurs de la région. Seulement, l’arrivée tardive des pluies a constitué un frein.
Mais Abakachi Djato ajoute que la situation a été aggravée par le climat d’insécurité dû aux attaques de la secte islamique Boko Haram dans la région. D’après un rapport conjoint du ministère de l’agriculture et du développement rural (Minader), de l’Organisation des Nations unes pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et du Programme alimentaire mondial (PAM), les attaques de Boko Haram ont poussé les agriculteurs à abandonner 4 500 hectares de terre.
D’ailleurs, « les autorités ont demandé aux agriculteurs de ne pas planter du mil tout au long des villages frontaliers avec le Nigeria, de peur que les éléments de Boko Haram ne s’y cachent pour attaquer », confie un cultivateur à Mora. Cette localité a été frappée pour la première fois, le 20 septembre, par un double attentat suicide attribué au groupe islamiste, qui a fait au moins 5 morts.
Par Josiane Kouagheu Contributrice Le Monde Afrique, à Maroua