Editorial du « Monde ». Pour les défenseurs de la liberté d’informer, Julian Assange, 48 ans, n’est pas un « client » facile. Le fondateur de WikiLeaks est-il un lanceur d’alerte courageux, acharné à révéler des vérités utiles mais dérangeantes, ou un hackeur militant de la transparence absolue, dévoyé, et piégé par un Donald Trump dont il a aidé l’élection ? Une juge de Londres a commencé d’examiner, lundi 24 février, la demande d’extradition formulée par les Etats-Unis à l’encontre de l’inclassable Australien, accusé d’« espionnage » pour avoir, en 2010, permis la divulgation de documents gouvernementaux confidentiels.
A cette époque, Julian Assange a confié ces centaines de milliers de documents militaires et diplomatiques à cinq journaux, dont le Guardian, le New York Times et Le Monde, en acceptant leurs règles éthiques, notamment la protection des sources. Les documents publiés furent donc expurgés des identités de toute personne susceptible d’être mise en danger, et éclairés par l’expertise indépendante des journalistes des cinq rédactions.
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Evénement médiatique international, cette fuite de grande ampleur a permis de mettre en lumière de nombreux aspects de la politique américaine en Afghanistan puis en Irak, et au camp de Guantanamo. Une vidéo, notamment, révélait une bavure de l’armée américaine à Bagdad en 2007 : un hélicoptère Apache avait tiré sur de prétendus combattants et tué une douzaine de civils, dont deux journalistes de l’agence Reuters.
Il a bafoué ses engagements
Depuis lors, Julian Assange ne s’est comporté ni en défenseur des droits de l’homme ni en citoyen respectueux de la justice. Dès 2011, il a bafoué ses engagements en publiant les documents américains non expurgés. Il a ensuite refusé de se rendre à une convocation de policiers suédois après deux plaintes pour agression sexuelle – plaintes qui ont été classées depuis. Réfugié pendant près de sept ans à l’ambassade d’Equateur à Londres, il a été interpellé, en avril 2019, pour s’être soustrait aux obligations de sa liberté conditionnelle. La demande d’extradition formulée par les Etats-Unis a immédiatement suivi.
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Prompt à s’attaquer aux secrets des pays démocratiques, Julian Assange s’est montré moins empressé à l’égard des pays autoritaires. Il a travaillé pour Russia Today, télévision de propagande financée par le Kremlin. En 2016, il a diffusé des documents subtilisés par les services secrets russes au Parti démocrate américain afin de discréditer sa candidate, Hillary Clinton.
Sous Barack Obama, la justice n’avait retenu qu’une charge relativement bénigne – le piratage d’ordinateurs de l’Etat – et non la diffusion des documents, protégée par le premier amendement de la Constitution américaine, qui consacre le principe de la liberté d’expression. Mais, en mai 2019, l’administration Trump a exhumé une loi de 1917 sanctionnant la fourniture à une puissance étrangère d’informations pouvant nuire aux Etats-Unis pour inculper Julian Assange d’espionnage.
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Appelé à se prononcer – probablement en juin –, le juge britannique ne statuera pas sur la culpabilité de M. Assange, mais sur la validité de la demande d’extradition américaine portant exclusivement sur la divulgation des documents de 2010. Le Monde, qui y a été associé, reste convaincu que la publication de ces informations relevait du devoir d’informer. Extrader Julian Assange reviendrait à assimiler à une activité d’espionnage toute publication de documents secrets émanant de l’Etat américain. Ce serait une terrible régression pour la démocratie.
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Le Monde