La chanteuse malienne Rokia Traoré a été arrêtée et incarcérée à Paris. A l’origine, un bras de fer avec son ex-compagnon belge Jans Goosens, pour la garde de leur fille. Les soutiens de l’artiste se mobilisent pour sa libération tandis que son avocat dénonce “un déni de justice”.
” J’ai entamé une grève de la faim le mardi 10 mars 2020 à partir de 6H30 du matin afin que me soit accordé un procès équitable en Belgique et pour que le mandat d’arrêt européen ne soit pas injustement appliqué.” C’est avec le numéro écrou 456567 que Rokia Traoré signe cette déclaration datée du 13 mars 2020. Peu importe son statut de star internationale, peu importe son passeport diplomatique, depuis le 11 mars, la chanteuse malienne dort à la prison de Fleury Mérogis (France).
Au cœur de l’affaire : un conflit familial autour de la garde de sa fille. Mardi 10 mars, Rokia Traoré doit se rendre en Belgique pour assister à son audience auprès de la cour d’appel de Bruxelles. C’est lors de son escale à Paris qu’elle est arrêtée, selon son avocat, Maître Kenneth Feliho.
Drame familial
Tout commence le 24 octobre 2019. Rokia Traoré fait alors l’objet d’un mandat d’arrêt émis par la Belgique. Elle est accusée d’avoir enlevé, séquestré et pris en otage son propre enfant. Le père, son ex-compagnon belge, Jans Goosens, ancien directeur du Théâtre royal flamand de Bruxelles, est à la tête du Festival de Marseille. Il résiderait d’ailleurs dans la cité phocéenne depuis plusieurs années. Le tribunal de première instance de Bruxelles lui accorde la garde exclusive de sa fille. Une décision dont Rokia Traoré fait appel.
La chanteuse multiprimée aux World Music Awards (récompenses internationales pour les musiques du monde), accuse Jans Goosens de s’être livré à des attouchements sexuels sur leur fille. Rokia Traoré porte plainte à trois reprises. Ce dernier ne s’est pas exprimé concernant ces accusations. La première fois c’est en Belgique le 23 mars 2019, où la plainte est classée sans suite. Puis en France, où la procédure est toujours en cours et enfin au Mali. La justice malienne lui accorde la garde exclusive de sa fille. C’est en effet dans ce pays d’Afrique de l’Ouest que la petite vit depuis son plus jeune âge. En arrêtant Rokia Traoré, la justice belge fait donc fi de la décision malienne.
Vers une affaire politique ?
Selon Me Kenneth Feliho, l’avocat de Rokia Traoré, “la Convention de la Haye prévoit que la résidence habituelle de l’enfant” prime dans l’affaire. “En principe arrêter une personne en possession d’un passeport diplomatique est illégal. Il peut y avoir une exception en cas d’affaire relevant de la sphère privée, mais dans les faits cela ne s’applique quasiment jamais”, poursuit-il. Pour le moment, la diplomatie malienne n’a pas réagit.
Parmi les premières personnalités à réagir publiquement, l’économiste sénégalais Felwine Sarr. Pour l’universitaire, cette affaire “reflète l’état des rapports politiques, juridiques et symboliques entre l’Afrique et le reste du monde”. Et l’intellectuel de rappeler une donnée statistique : “pour la plupart des couples mixtes, les femmes quand elles sont africaines perdent souvent à l’issue de contentieux post-union, leurs droits parentaux. Les hommes aussi, quand ils sont africains”. Le réalisateur malien Alioune Ifra Ndiaye affiche clairement son indignation.
Rokia Traoré : femme, noire et africaine
Un constat, également déploré par Fatma Karali. La fondatrice du réseau solidaire belge les Mères Veilleuses est l’initiatrice de la pétition appelant à la libération de Rokia Troré. Pour la militante, l’affaire révèle les difficultés des personnes à l’intersection de plusieurs discriminations. Dans ce cas précis, “le racisme et le sexisme”. Sur Twitter, les soutiens se multiplient sous le mot dièse #FreeRokiaTraore (libérez Rokia Traoré en français).
C’est le mercredi 18 mars que la chambre d’instruction du tribunal de Paris décidera de l’extradition ou non vers la Belgique de Rokia Traoré. Tandis que la chanteuse encourt une peine de cinq ans de prison, sa fille, elle, est toujours au Mali. “Ma cliente est sereine et déterminée. Je suis inquiet, car elle est prête à mourir pour sa fille et ira jusqu’au bout de sa grève pour la faim. Ce qui est sûr, c’est que sa famille au Mali n’abandonnera jamais la petite”, prévient Me Feliho.
Par Oumy Diallo