En réalité les appuis financiers du FMI et des autres bailleurs de fonds internationaux ne suffiront pas pour endiguer la misère endémique qui va se généraliser après la pandémie Covid-19 dans les autocraties d’Afrique centrale (due notamment à la baisse drastique de la rente pétrolière puis à l’insignifiance des recettes fiscales et douanières). Pas plus d’ailleurs la seule répression brutale des armées saura contenir les risques de soulèvements.
Nous sommes devant une instabilité quasi programmée, qui pourrait définitivement sceller le sort des dictatures héréditaires en dépit du soutien de la France, qui gagnerait (elle) à anticiper cette évolution inéluctable en insistant voire conditionnant son aide (comme en 1990) à une véritable démocratisation assise sur des alternances ou des transitions ouvertes et transparentes.
Les vrais opposants, loin d’être marginalisés comme le pensent les dignitaires et partisans des régimes en place, seront progressivement dans la position la plus confortable.
En effet souvent exclus des processus de décision et même de concertation avec les principaux partenaires extérieurs (notamment la France), et ne siégeant pour la plupart pas dans les institutions fantoches contrôlées entièrement par les pouvoirs en place, ils auront tout le loisir de souffler (sans forcer) sur les braises de la contestation populaire, grâce ou à partir de la “capacité de nuisance” de leurs sympathisants et militants solidement installés dans les diasporas.
Bref en Afrique centrale francophone, les grands vainqueurs politiques ne sont pas nécessairement ceux que l’on croit!
JDE
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Gabon, des émeutes face aux pénuries alimentaires
Dans un Gabon très peu touché par le coronavirus, les autorités ont décidé d’adopter pourtant la plupart des mesures décidées en France. Au prix de révoltes contre l’organisation de bons d’achat alimentaires, comme l’explique le journaliste Déogracias Arambo, le 20 avril sur Gabon Review, après avoir enquêté dans la région de Ntoum.
La colère est montée d’un cran à Essassa. Irrités par la mauvaise organisation de l’opération de distribution des bons d’achat alimentaire, les habitants de ce quartier de la commune de Ntoum ont durci leur mouvement de contestation.
Ce 20 avril 2020, les manifestants ont à nouveau perturbé un trafic routier déjà en berne depuis le confinement du «Grand Libreville», en érigeant des barricades sur la route nationale 1. Une manifestation qui intervient après celle d’il y a trois jours, et par laquelle la population courroucée avait dénoncé l’insuffisance de bons d’achat alimentaire qui leur étaient octroyés par le département ministériel en charge des Solidarités nationales.
A ce qu’il semble, leur menace de durcir le mouvement si rien n’était fait dans le sens d’améliorer l’opération n’aurait pas été pris au sérieux. Cette fois, selon un manifestant, «ils ont voulu faire du porte-à-porte en ciblant des personnes moins regardantes». Et un autre d’ajouter : «ils s’obstinent à ne pas tenir compte des listes ouvertes par les chefs des quartiers».
Le feu aux poudres
En fin de semaine dernière, l’ire de la population est venue de ce que les missionnaires du ministère des Solidarités nationales n’auraient réservé qu’une vingtaine de bons pour Bissobinam, l’autre partie d’Essassa où vivent plus de 500 personnes. Ils seraient arrivés avec moins de 100 bons pour les deux parties du quartier, c’est-à-dire en comptant Essassa-Nzogmitang.
Et comme c’est toujours le cas en pareille circonstance, les forces de l’ordre sont intervenues pour disperser, à coups de gaz lacrymogènes, des manifestants tétanisés par la faim depuis le début du confinement. Une jeune fille, a-t-on appris, aurait été touchée au niveau d’un membre inférieur par un des objets lancés par les agents. Si cette intervention musclée a permis de rétablir la circulation, elle ne va probablement pas ramener les manifestants. Car, disent-ils, «un ventre affamé n’a point d’oreilles».
Ventre affamé n’a pas d’oreilles
Bien d’observateurs pensent que le gouvernement a sous-estimé le volume de l’aide alimentaire promise aux habitants concernés par l’interdiction de circuler, dans le cadre de la lutte contre la pandémie du Covid-19 qui n’avait qu’un mort au Gabon depuis le 12 mars dernier. Des acteurs politiques, à l’instar de Dieudonné Minlama, le président d’Ensemble pour la République (EPR), ayant évoqué «les dysfonctionnements et les retards dans la mise en œuvre des mesures annoncées par le chef de l’Etat».
Source : Mondafrique
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Le renouveau de l’Afrique sera politique ou ne sera pas
TRIBUNE. La crise du Covid-19 est essentiellement perçue comme sanitaire et économique. Pour l’Afrique, il serait judicieux de ne pas en exclure la portée politique.
Dans la lutte contre le Covid-19 en Afrique, le point de vue économique domine les solutions envisagées pour limiter l’impact négatif des mesures de confinement et oriente les perspectives concernant la possibilité d’une autre Afrique qui sortira renouvelée par la crise du coronavirus. Or, si, dans l’urgence actuelle, on peut comprendre l’accent mis sur les considérations économiques, une renaissance de l’Afrique exige cependant un dépassement du point de vue économique afin de saisir les conditions politiques sans lesquelles l’idée même de développement se trouve condamnée à l’échec. De même, entre le juste optimisme qui se dégage de la mobilisation des intellectuels africains face au coronavirus et la persistance par ailleurs d’une forme régressive des pratiques autoritaires du pouvoir, il y a lieu de croire que le Covid-19 ne peut être une chance de renouveau pour l’Afrique que si l’on pense le devenir du continent, tout d’abord, d’un point de vue politique ; du moins, que si les perspectives économiques reposent sur une fondation politique.
Des occasions manquées
En effet, les crises sanitaires et les humiliations historiques qui ont ébranlé le continent n’ont pas réellement été des catalyseurs de renouveau. En ce sens, les tragédies africaines ont manqué d’être des événements au sens fort de ce terme, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas eu pour effet de transfigurer l’espace sociopolitique d’une manière qui permette l’avènement d’un monde nouveau. En témoignent la crise de l’épidémie d’Ebola, le Printemps arabe et le terrible spectacle de migrants africains vendus comme esclaves en Libye : l’Afrique n’a pas été autre chose que ce qu’elle a toujours été, une terre asséchée par l’absence minimale de justice sociale et d’égalité politique.
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Sous l’effet des épreuves, le tragique et le pire se sont maintenus du fait de l’instrumentalisation politique qui en a été faite et qui a conduit à une pratique patrimoniale et autoritaire du pouvoir. Et c’est cela qui pourrait empêcher l’Afrique de se renouveler une fois que l’épidémie du Covid-19 aura été vaincue.
Penser à la dimension politique…
Voilà qui justifie qu’il ne faille pas s’attarder, dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, sur la dimension économique pour la simple et bonne raison que, pour avoir des chances de succès, les dispositions prises doivent pouvoir compter sur des préalables politiques qu’on ne trouve pas dans la majeure partie des pays africains.
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Quels sont ces préalables si importants ?
C’est d’abord l’organisation de relations sociales dans le cadre d’une justice partagée par tous. C’est ensuite rendre autonome et indépendante la sphère publique seule capable de donner forme à l’idée de bien commun et d’une communauté d’hommes avec des intérêts convergents. Puis, c’est établir une relation quasi contractuelle entre gouvernants et gouvernés. Enfin, c’est une organisation et une pratique du pouvoir qui donnent du contenu aux institutions politiques et sociales. Mises ensemble, toutes ces données vont en quelque sorte déterminer le champ politique dans lequel se mouvoir. Elles vont constituer un cadre pour un progrès économique et social. Autrement dit, pour que le développement soit possible, il faut une organisation politique qui soit capable de le penser et de le construire.
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Dans un tel contexte, on comprend que les pays africains qui ont souvent étouffé leur fort potentiel politique en soient à appeler à un plan Marshall ou à la réduction de la dette africaine et à ne rien changer aux situations de précarité et de vulnérabilité qui abîment tant de vies sur le continent. C’est le lieu de dire que l’obsolescence des systèmes de santé en Afrique, par exemple, ne tient pas aux seules considérations économiques, mais plutôt à la persistance de pratiques du pouvoir nihilistes. C’est pourquoi, aussi longtemps que le pouvoir politique sera informel empêchant l’ancrage d’institutions solides, aussi les mesures économiques seront sans impact significatif sur la vie des populations.
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… pour donner de l’impact aux mesures prises sur les autres plans
Cette crise sanitaire du Covid-19 doit être perçue comme un bouleversement qui pourrait donner naissance à un certain renouveau des pays africains. Ce sera le cas si le rapport au pouvoir est radicalement changé. Pour ce faire, il faudra penser l’Afrique autrement que dans son rapport au monde, faire comme si l’Afrique était seule au monde, donc renoncer momentanément à une pensée de l’Afrique-monde, au profit d’une pensée de l’Afrique sur l’Afrique par les Africains. Cet afrocentrisme devrait forcer les acteurs politiques à réaliser un travail de dégrisement dans lequel il conviendra de se défaire des manières d’être et de faire qui ont fini par faire de la dignité humaine une portion congrue sur les terres africaines.
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Mais dégriser l’Afrique, ce sera penser l’Afrique au marteau, pour reprendre une fameuse expression nietzschéenne, ce qui veut dire démolir l’ontologie autoritaire et l’aide au développement qu’elle ne cesse d’enfanter. À cette condition, et à cette condition seulement, que, au-delà d’être à l’origine de la crise sanitaire, économique et financière qu’elle est aujourd’hui, le Covid-19 pourrait être plus qu’un événement, mais l’avènement d’une « autre Afrique ».
Par Amadou Sadjo Barry* | Le Point.fr
* Ph. D philosophie politique, professeur de philosophie, Cégep de St-Hyacinthe, au Québec, Canada.