Alors que le nouveau Coronavirus, après les ravages qu’il a faits et continue de faire en Asie, en Europe et aux USA, s’apprête à faire son lit en Afrique Noire où chaque pays a entre-temps “son” cas, de nombreuses mesures sont prises çà et là afin de faire mentir les pronostics d’hécatombe provenant aussi bien de l’Occident que de l’Organisation Mondiale de la Santé. C’est dans ce contexte que, le 30 avril dernier, le gouvernement camerounais, par la voie de son Premier Ministre, dont nous n’avons pas entendu la voix, a annoncé 19 mesures avec effet immédiat dont quelques-unes, iniques, défraient la chronique.
L’entame du communiqué correspondant, « Mesures d’assouplissement et de soutien au secteur économique », le montre à suffisance : il s’agit de mesures tendant à sauver ce qu’il reste encore de notre économie déjà titubante. La question que d’aucuns, pas peu nombreux, se posent est celle de savoir si cela va au détriment de la santé de la population, maintenant que le Cameroun est le 2ème pays d’Afrique subsaharienne le plus touché, et elle est pertinente.
Emboîtant le pas à nos prédécesseurs dans le malheur COVID-19, dans un copier-coller initial de leurs mesures restrictives, on peut le dire aujourd’hui, notre pays a tant bien que mal essayé de juguler une crise sanitaire qui s’annonçait grave, avant de se rendre compte que notre contexte socioculturel ne se prêtait pas à l’observation de prescriptions qui conduiraient les populations en grande majorité du secteur informel à une crise aiguë de subsistance. On a parlé, un peu légèrement peut-être, de “mort de famine” inexorable.
N’ayant pas le courage de décréter officiellement un confinement même de courte durée, car manifestement incapable de tenir les promesses nécessaires d’un accompagnement raisonnable des populations, le gouvernement camerounais s’en est tenu jusqu’ici principalement à des recommandations. Un Ministre de la Santé engagé mais impuissant devant la déferlante s’est retrouvé maintes fois en train de donner des “conseils” contraires à la communication gouvernementale (« Restez chez vous ! »). Lui aussi aurait visiblement souhaité une autre politique sur le terrain.
Devant le non-respect caractérisé des mesures de distanciation sociale, l’indiscipline de notre peuple, la grimpée fulgurante du nombre d’infections et de décès, qui dépasse sûrement de loin les chiffres officiellement communiqués, étant donné la pénurie de tests de dépistage et autre matériel de protection dans le pays, devant donc un échec de la politique de souplesse implémentée, on se serait attendu à ce que des mesures coercitives, encore plus rigoureuses, soient prises pour amener la population à prendre la pleine mesure de la situation et, ainsi, aider les autorités dans leur plan de riposte. J’avais même préconisé le déploiement de l’armée à cet effet. Que nenni ! Au lieu de décréter un couvre-feu, par exemple de 20h00 à 7h00, comme mesure ultime pour endiguer la propagation de ce dangereux virus, c’est le moment que choisit le gouvernement pour lever les seules mesures, à côté de la limitation des attroupements à 49 personnes, qui étaient susceptibles de garantir la distanciation sociale considérée à juste titre comme l’arme par excellence de lutte contre la propagation du COVID-19 ! Les débits de boissons, restaurants, lieux de loisirs sont ré-ouverts sans limite, et les transports en commun ne sont plus soumis à aucune restriction quant au nombre de passagers réglementaire. Plus qu’inique, c’est cynique ! Surtout quand on en appelle encore plus fort à la discipline et à la responsabilité des populations !
Portez votre masque, et observez la distanciation sociale, voilà les anciennes nouvelles “recommandations”. Peut-être nous vendra-t-on ceci in fine comme expression de l’écoute du peuple. Le Ciel nous en garde…
Pour info et rappel : c’est d’un dancing-bar à Ischgl en Autriche, par une personne, qu’est parti le nouveau Coronavirus pour contaminer la moitié de l’Europe !
Pour moi, cela ne fait aucun doute, le Cameroun vient subrepticement, faute de moyens, d’abandonner la stratégie de suppression, qui consiste à barrer la voie au virus par isolement, pour adopter tout ou grande partie de la stratégie de l’atténuation, soit laisser le virus se propager dans la population jusqu’à ce qu’on parvienne à une immunisation collective à au moins 60% d’infections, ce qui signifierait aussi que le virus cesserait de se propager. Ainsi, nous venons d’accepter le risque que 15 millions de Camerounais soient infectés par le nouveau Coronavirus ! Sommes-nous capables de contenir même “seulement” 150000 cas d’infection avec un taux de malades hospitalisés de 10% ? Le bal masqué qu’on exige de nous peut-il nous préserver d’une tragédie ? Quand le Ministre de la Santé déclare il y a quelques jours sur les ondes de RFI que 10000 masques ne changeraient de toute façon rien à la situation, n’avons-nous pas déjà un élément de réponse très fort par rapport à l’ampleur de la situation ?
Sommes-nous en présence d’une capitulation masquée devant le COVID-19 en l’état ?
Les mesures d’accompagnement coûtent cher, le Cameroun n’a pu dégager pour la riposte qu’un budget de 58 milliards de FCFA, aux dernières informations, et il a dû subir un certain nombre de coups durs :
• Le fonds de solidarité initié par le Président de la République avec une dotation initiale de 1 milliard de FCFA, maigrichonne en comparaison avec ce que d’autres ont débloqué, ne suscite pas l’engouement et ne connaît pas le succès escomptés, conséquence de la crise de confiance de la population vis-à-vis du gouvernement en matière de gestion des finances publiques.
• Les recettes pétrolières qui, dans les prévisions très (trop ?) optimistes, avaient été calculées sur la base d’un prix du baril de 54 USD, sont en chute libre, le prix du baril dandinant actuellement autour de 18 USD. Une autre erreur de gouvernance. Même une prévision par rapport au prix du pétrole Brent, plus stable à environ 25 USD, aurait atténué les effets négatifs de cette crise.
• Le FMI, auprès de qui le Cameroun, comme bon nombre de pays africains et du soi-disant Tiers-monde, avait sollicité un crédit, n’a pas reçu positivement notre demande.
• Les activités du secteur formel, qui génèrent la grande majorité des recettes fiscales, dont la TVA, sont elles aussi en régression. L’industrie brassicole, tout particulièrement, a été confrontée à d’énormes difficultés dues aux restrictions (officielles) d’ouverture des débits de boissons et restaurants.
• Les tentatives du gouvernement de se ravitailler en devises sur le marché monétaire de la BEAC par le biais d’emprunts obligataires ont par deux fois été sanctionnées par des échecs, ce qui peut être considéré comme conséquence du manque de crédibilité soutenu de notre État aux yeux des investisseurs.
• Les efforts de guerre dans le NO-SO et dans le Septentrion, guerres qui perdurent malgré le COVID-19, sont grands, même énormes. Je ne saurais toutefois affirmer que le chiffre de 8 milliards de FCFA/jour issu de mes recherches est effectivement correct.
• Les besoins en matériel de lutte contre le COVID-19, soit masques, visières, respirateurs, tests de dépistage, équipements de protection individuelle, médicaments et leurs intrants de fabrication pour le protocole de traitement adopté, acquisition de lits d’urgence, etc., ainsi que la rémunération spéciale du personnel soignant déployé sont budgétivores.
• La prise en charge des malades du COVID-19, à plusieurs reprises annoncée entièrement gratuite pour les malades, est selon maints témoignages crédibles ineffective, les moyens financiers n’étant pas mis à la disposition des structures hospitalières mandatées.
Le dépistage qui avait été annoncé « massif » après réception du don du mécène chinois Jack Ma début avril 2020, puis s’est révélé impropre, même avec les 300000 kits supplémentaires qu’on nous a dit avoir commandés, sans suite depuis lors, pour accompagner quelque confinement que ce soit, ne saurait dans ces conditions être réalisé de manière satisfaisante.
Il faut donc renflouer les caisses, aussi simple que ça ! Au plus vite ! Coûte que vaille ! Encore une fois : coûte que vaille !
Le COVID-19 nous a donc mis face à notre impréparation, à nos défaillances en matière de gouvernance, a dévoilé, s’il en était vraiment besoin, notre handicap financier, à côté de la fragilité de notre système sanitaire. Logiquement, il a également étalé la faiblesse de notre économie et sa dépendance de l’industrie du loisir. Il nous a plié l’échine et obligé, semble-t-il, à capituler devant lui, à organiser une fuite en avant pour préparer plus que jamais la relève économique, l’après COVID-19 qui, lui, s’annonce tout aussi ravageur. Voilà qui explique la prise de mesures qui, pour 17 d’entre elles, n’auront d’impact que sur une infime partie des 10% de Camerounais actifs dans le secteur formel, si ils survivent, mais pour 2 d’entre elles, paradoxalement les 2 premières, même en accablant nos capacités hospitalières, vont à terme au moins permettre des avances sur TVA, grâce au groupe Castel (SABC), à Diageo (Guinness), Kadji & consorts.
En fait, c’est tout comme si les 17 dernières mesures ont été prises uniquement pour éviter la solitude aux 2 premières…
Tout ceci n’aurait pas été plus douloureux si le peuple camerounais, conformément à son droit, en avait été dûment informé. Par qui de droit, de façon cohérente et plausible, et en temps opportun. Et ce ne sont pas les occasions qui ont manqué. Une communication gouvernementale cacophonique aidant, contradictoire à souhait, nous voilà piégés dans un langage de sourds. L’objectif est-il vraiment qu’on y comprenne quelque chose ? Exemples :
• On ouvre les bars et les boîtes de nuit, mais le MINSANTE demande aux gens de rester à la maison ! Qui va donc aller dans ces bars et night-clubs ?
• Le port du masque reste obligatoire, même dans les débits de boissons ! Manger et boire avec le masque… Presque comique !
• Les bus de 70 places peuvent de nouveau se remplir, mais les rassemblements de plus de 49 personnes restent proscrits ! Et on recommande d’observer la règle de distanciation sociale d’au moins un mètre…
• Cette même distanciation sociale sera respectée sur la banquette arrière d’un taxi plein, non surchargé, avec donc 3 passagers, sûrement à cause du masque obligatoire…
• Les écoles, universités et autres établissements de formation font leur rentrée COVID-19 le 01/06/2020, après les bars et restaurants. On a promis d’y veiller à la distanciation sociale…
Il apparaît clairement que la tactique gouvernementale a évolué vers une plus grande responsabilisation d’une population pourtant jugée irresponsable. En fait, l’État demande à chacun de prendre son destin en main, de décider pour soi s’il veut prendre au sérieux la menace du nouveau Coronavirus et se comporter en conséquence. Ceux qui ne le veulent pas ont la latitude de faire comme si de rien n’était, quitte à mettre d’autres en danger. Subtilement, on installe dans les cerveaux que si la situation se dégrade, ce sera parce que les individus n’ont pas agi comme il se devait. C’est éminemment irresponsable de la part de l’État ! Il se soustrait ainsi à son rôle premier qui est de protéger les citoyens !
Quel message, quelle image que suggèrent ces mesures : le Cameroun, un pays qui ne doit son salut qu’à la boisson, et je ne parle pas de l’eau potable ! Nous serions donc un peuple qui préfère noyer ses soucis dans l’alcool que de les affronter et surmonter… Quid de l’adage « Impossible n’est pas camerounais » ? Qui va venir sauver le navire qui tangue dangereusement et que personne de nous ne veut voir chavirer ? Au fait, où est le Capitaine ? Sa main invisible est de plus en plus imaginaire…
Portons donc nos masques, et allons danser ! Un immense bal masqué ! En toute (ir)responsabilité…
P.S.
À la stupide question de savoir si on est obligé d’aller au bar parce que le bar est ouvert, une spécialité de ceux qui arrivent toujours à justifier l’injustifiable, surtout quand il est question de dédouaner l’État responsable, réponse sera donnée au retour de Jésus !
© Eric L. LINGO, 04/05/2020
(En hommage à tous ces valeureux journalistes qui ont lutté et luttent pour la liberté de la presse au Cameroun. Parmi eux, un certain Célestin Lingo…)
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