Shady Habash avait 24 ans. Il est mort ce week-end dans une prison du Caire, après deux ans de détention. Vidéaste et photographe, il avait réalisé le clip d’une chanson moquant le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. «Cela faisait quelques jours que son état de santé se détériorait. Il a été hospitalisé, puis il est revenu hier soir en prison où il est mort dans la nuit», a précisé samedi l’avocat du jeune homme sans être en mesure de donner les raisons du décès. «Quand Shady est tombé malade, ses codétenus ont appelé à l’aide, mais l’administration de la prison n’est intervenue qu’à son dernier souffle», a ajouté le défenseur des droits humains Abdelrahman Ayyash.
Accusé de «diffusion de fausses nouvelles» et d’«appartenance à une organisation illégale», Shady Habash avait été arrêté en mars 2018 et maintenu depuis en détention, sans jugement. Les militants et les artistes égyptiens ont mené en vain des campagnes pour sa libération, ainsi que celle du jeune Mustafa Gamal, spécialiste des réseaux sociaux, arrêté avec lui et toujours en prison.
60 000 prisonniers politiques
«Shady était le plus gentil et le plus courageux du monde. Il n’a jamais fait de mal à personne», a écrit sur Facebook Ramy Essam, l’interprète de la chanson. Depuis la Suède où il s’est exilé le chanteur rock avait indiqué auparavant que le réalisateur «n’avait rien à voir avec le contenu et le message de la chanson». Le clip de Balaha, surnom dont Sissi est affublé par ses détracteurs pour être un menteur compulsif, en référence au personnage d’un film égyptien célèbre, avait rencontré un succès formidable sur YouTube. Sortie à l’occasion du quatrième anniversaire de l’arrivée au pouvoir du maréchal qui avait renversé en 2013 le président élu Mohamed Morsi, frère musulman, la chanson évoque le ras-le-bol des Egyptiens après ces années de «disgrâce».
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Le président Al-Sissi a une «responsabilité directe dans l’emprisonnement de Shady Habash pour la seule raison que celui-ci a participé à une chanson qui le critique et parce qu’aucun juge n’ose attester de l’innocence de quelqu’un qui a critiqué le président de la République», a estimé le directeur de l’Institut du Caire pour les études des droits de l’Homme (CIHRS), Bahey Eldin Hassan, sur Twitter. Environ 60 000 prisonniers politiques sont détenus en Egypte depuis 2014 selon Human Rights Watch, qui comme d’autres ONG des droits de l’homme, dénonce régulièrement le sort qui leur est réservé.
«Le choix est entre devenir fou ou mourir à petit feu»
La prison de Tora, de sinistre réputation, où est mort Shady Habash, abrite essentiellement des prisonniers d’opinion dans des conditions de promiscuité et d’hygiène déplorables. «Ils sont 18 dans 25 m2, douche et WC compris», indique Céline Lebrun Shaath, l’épouse de l’un d’entre eux. Celle-ci avait été expulsée d’Egypte l’été dernier quand son mari, le militant palestino-égyptien, Ramy Shaath, avait été arrêté. «Il n’a pas vu un médecin depuis neuf mois et la pire crainte des détenus est de tomber malade», précise la jeune femme. La mort de Shady Habash a encore fait monter l’angoisse des familles des autres détenus, sur le qui-vive depuis le début de l’épidémie du coronavirus. «Je suis sans aucune nouvelle de Ramy depuis deux mois maintenant», déplore Céline Lebrun Shaath. Les visites aux prisonniers ont été totalement interdites depuis le début de l’épidémie.
Les réactions de colère et d’émotion des jeunes égyptiens se sont multipliées sur les réseaux sociaux à l’annonce de la mort de Shady Habash. Plusieurs ont republié un message que le réalisateur avait réussi à faire passer en octobre depuis sa prison. «En prison, on doit se battre contre soi-même pour survivre et garder son intégrité. Le choix est entre devenir fou ou mourir à petit feu parce qu’on est jeté depuis deux ans dans une cellule sans savoir quand et comment on va en sortir.»
Par Hala Kodmani — Libération
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