C’est l’estocade finale. Pour beaucoup de Hongkongais qui se sont mobilisés depuis des années pour obtenir un peu plus de démocratie, la nouvelle loi de sécurité nationale imposée par l’Assemblée nationale populaire à Pékin, et promulguée à Hongkong un peu avant minuit mardi 30 juin par la chef de l’exécutif, Carrie Lam, marque la fin de Hongkong en tant que cité libre. « Pour les membres de la petite minorité qui menace la sécurité nationale, cette loi sera un glaive suspendu au-dessus de leur tête », a averti le gouvernement chinois.
La région administrative spéciale avait jusqu’à présent le privilège d’être la seule ville de Chine où les libertés individuelles étaient protégées. « Cette loi est faite pour terroriser, intimider, réduire Hongkong à néant, faire de Hongkong une ville dans laquelle il n’y aura plus de dissidence, plus de manifestations, plus d’opposition », déclare au Monde Claudia Mo, députée du camp prodémocratique.
Alors que Hongkong marque, ce 1er juillet, les vingt-trois ans de sa rétrocession à la Chine, ce texte va limiter considérablement, voire annihiler, les libertés civiles et politiques de n’importe quel citoyen en désaccord avec le système chinois ou avec le gouvernement. « Fondamentalement, Pékin va pouvoir arrêter n’importe qui, pour n’importe quel crime, puisque c’est Pékin qui a le pouvoir d’affirmer ce que vous avez fait de mal et en quoi c’est mal », affirme un grand juriste qui, comme la plupart des gens contactés mercredi matin, n’a accepté de parler qu’à la condition explicite de ne pas être cité, une nouveauté dans cette ville. Il affirme avoir conseillé à tous ses amis de ne pas accepter la moindre interview, car « même parler et donner son avis est désormais dangereux ».
« Continentalisation » de l’ancienne colonie britannique
Théoriquement, jusqu’en 2047, Hongkong devait pourtant « gérer ses propres affaires » avec un « haut degré d’autonomie », mais les nombreuses restrictions détaillées dans cette nouvelle loi précipitent la « continentalisation » de l’ancienne colonie britannique. Jusqu’au 30 juin 2020, Hongkong fondait son exception au sein de l’ensemble chinois sur un Etat de droit solide et crédible, hérité du système britannique de la common law (le droit coutumier), et respecté par le reste du monde. En plaçant sa loi au-dessus de celle de Hongkong, Pékin s’attaque au cœur même de cette spécificité. Et bien que les milieux d’affaires font pour le moment mine de regarder ailleurs, se persuadant que tout ira bien – la Bourse a fermé en hausse mardi –, la fragilisation du cadre juridique de Hongkong risque tôt ou tard de porter atteinte au centre financier international.
En six chapitres et soixante-six articles, le texte couvre quatre crimes, à savoir sécession, subversion, terrorisme et collusion avec une puissance étrangère. Ils sont passibles de la prison à perpétuité, même si des peines plus courtes sont prévues dans certaines circonstances « mineures ». L’article 33-3 précise par ailleurs que les peines seront allégées si l’accusé dénonce une autre personne.
Demander que des sanctions soient imposées sur Hongkong ou sur la Chine sera désormais considéré comme un crime de collusion avec un régime étranger. Or c’est exactement ce qu’ont fait, activement et publiquement, plusieurs membres de l’opposition depuis quelques mois en allant notamment à Washington, Londres et Berlin.
« Mépris de Pékin »
« Inciter à la haine des gouvernements », qu’il s’agisse du pouvoir central à Pékin ou du gouvernement local, relève du crime de subversion. La quasi-totalité des slogans entendus dans les manifestations de Hongkong pourraient donc désormais tomber sous le coup de cette loi, selon l’interprétation que les juges et les autorités voudront en faire.
Alors que la population n’avait pas été informée du contenu du texte jusqu’à son entrée en vigueur dans la nuit, la version finale a surpris par sa portée. La loi inclut même des crimes commis en dehors de Hongkong et vise par exemple le fait d’être favorable à l’indépendance de Taïwan. Alors que la crise de Hongkong a considérablement renforcé les aspirations des Taïwanais à ne pas être réunifiés avec la Chine continentale, la présidente de l’île, Tsai Ing-wen, a tweeté : « Le mépris de Pékin à l’égard des aspirations des Hongkongais prouve qu’“un pays, deux systèmes” n’est pas viable. Beaucoup de choses ont changé à Hongkong depuis [la rétrocession en] 1997, mais le soutien de Taïwan aux Hongkongais qui aspirent à la liberté et à la démocratie n’a jamais changé. »
Carrie Lam, la chef de l’exécutif de Hongkong (au centre), présente, lors d’une conférence de presse, une copie de la nouvelle loi de sécurité nationale, avec la secrétaire à la justice, Teresa Cheng (à gauche), et le ministre de la sécurité, John Lee,le 1er juillet. STR / AFP
La loi, qui s’appliquera également aux étrangers, résidents permanents ou non, qui auraient commis un crime de sécurité nationale, prévoit un contrôle plus étroit des organisations non gouvernementales et des agences de presse et des journalistes étrangers. Selon le journal populaire d’opposition Apple Daily, la non-rétroactivité de la loi n’est pas clairement établie. En outre, n’importe quelle personne coupable d’un crime de sécurité nationale sera déclarée inéligible à vie.
« Superviser et guider »
Les procédures prévues par le texte sont tout aussi alarmantes, certains procès impliquant des questions de secret national ou d’ordre public devant avoir lieu à huis clos et sans jury dans certaines circonstances. Comme le redoutait la profession légale, il reviendra au chef de l’exécutif de nommer les juges qui présideront aux procès relevant de la sécurité nationale.
La loi prévoit même la possibilité que certains cas soient jugés en Chine, notamment « quand la sécurité nationale de Chine fait face à une menace substantielle réelle, quand des forces étrangères sont impliquées ou quand le gouvernement de Hongkong ne peut pas faire appliquer la loi ».
De nouvelles agences verront le jour. Une « commission pour la protection de la sécurité nationale » sera composée d’officiels du gouvernement et d’un « conseiller » de Chine. Ses décisions seront sans appel et en aucun cas soumises à un recours judiciaire. La loi prévoit aussi que la police et le ministère de la justice de Hongkong forment de nouveaux services destinés à la sécurité nationale. Un autre bureau dont la fonction sera de préserver la sécurité nationale va prendre ses quartiers à Hongkong pour « superviser et guider » les autorités locales. Et si les inculpés auront droit à un avocat et à un « procès juste », ce sera « après un premier interrogatoire par le bureau ».
« Nous ne devons pas avoir peur »
Plusieurs figures du camp de l’opposition prodémocratie ont appelé coûte que coûte à manifester mercredi après-midi malgré l’interdiction de la police. C’est la première fois depuis un grand rassemblement d’un demi-million de personnes en 2003 que la police interdit cette marche. « Nous espérons que tous les Hongkongais descendent dans la rue pour s’opposer à la loi de sécurité nationale. Nous ne devons pas avoir peur. Si nous avons peur, nous perdrons nos droits et nos libertés inéluctablement », a déclaré l’un des leaders du front civil des droits de l’homme, organisateur habituel des plus grandes manifestations.
La police a fait usage d’un canon à eau pour disperser des manifestants, et trente personnes ont été arrêtées pour violation de cette nouvelle législation, rassemblement illégal, refus d’obtempérer et possession d’armes, selon les forces de l’ordre. Le premier homme arrêté au motif de ce nouveau texte portait un drapeau avec les caractères « Hong Kong Independence ».
Avec déjà près de 10 000 arrestations en un an de protestation, de nombreux cas documentés d’abus par la police sur les personnes arrêtées, et à présent la menace de cette loi, il est probable que la majorité des Hongkongais choisissent la prudence en restant chez eux.
Les réactions internationales ont été virulentes, notamment en provenance des Etats-Unis. « La loi draconienne sur la sécurité nationale montre ce qui fait le plus peur à Pékin : la liberté de penser et d’agir des Hongkongais », a tweeté le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo. Le seul appui à cette loi draconienne et liberticide est venu de Cuba, qui, au nom de 52 autres pays, a proposé une motion de soutien à cette loi lors de l’ouverture de la 44e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève.
A Causeway Bay, quartier très commerçant de l’île de Hongkong, quelques militants prochinois qui étendent régulièrement des pancartes vantant « le rêve chinois » en agitant le drapeau rouge aux 5 étoiles jaunes étaient un peu plus nombreux que d’habitude, mercredi après-midi, alors que le reste de Hongkong était en deuil.