La catastrophe sanitaire n’a pas eu lieu. Chacun la redoutait. La «pauvre» Afrique, aux systèmes sanitaires souvent défaillants, semblait mal partie pour résister aux ravages du coronavirus. Pour diverses raisons, notamment la jeunesse de sa population, le continent est jusqu’ici celui qui s’en sort le mieux au monde. Début août, un million de cas y était recensé pour 22.000 morts. Moins qu’en France, où le Covid-19 a fait plus de 30.000 victimes. Sur 54 pays, seuls quelques-uns, comme l’Afrique du Sud, ont été durement touchés.
Beaucoup plus inquiétant est le chaos politique qui s’annonce, notamment en Afrique francophone. Le coup d’État qui vient de chasser le président malien de son palais de Koulouba, à Bamako, doit être observé à l’aune de toutes les crises qui secouent la région. Partout où le regard se pose, les dirigeants sont en danger, rejetés par une large partie des peuples. Ils payent leurs propres fautes, mélanges d’inconscience et d’incompétence, d’appétit démesuré du pouvoir et de folie des grandeurs. Soixante ans après la vague des indépendances, l’ancien «pré carré» français se meurt.
Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont rarement connu la stabilité politique nécessaire à leur développement. Et encore moins aujourd’hui.
Burkina Faso, Mali, Niger. Ces trois pays parmi les plus pauvres de la planète, sans accès à la mer, sont certes exposés au djihadisme depuis une dizaine d’années. Une terreur quotidienne qui a fait tache d’huile après l’éclatement de la Libye d’où sont descendues des bandes armées aussi avides de pillages qu’imprégnées d’idéologie islamiste. Dans des États aux structures brinquebalantes, dotés d’armées faibles et traversés par des rivalités ethniques, elles imposent leur loi sans mal. L’État islamique dans le Grand Sahara rêve même d’y installer un califat.
N’empêche! Ces trois pays aux frontières communes ont rarement connu la stabilité politique nécessaire à leur développement. Et encore moins aujourd’hui. Il y a des mois que des manifestations sanglantes s’y multiplient pour réclamer le départ des présidents Kaboré (Burkina Faso), Keïta (Mali) et Issoufou (Niger). Tous sont accusés de corruption, de fraude électorale et de répression. Malgré leur impopularité, ils s’accrochent pourtant au pouvoir. Keïta vient de faire les frais de ses agissements. Ses deux voisins pourraient bientôt le rejoindre en disgrâce. Une présidentielle à très haut risque aura lieu au Burkina Faso le 29 novembre: Kaboré va briguer un deuxième mandat. Une autre se tiendra au Niger le 27 décembre: Issoufou, accusé de détournement de fonds dans un contrat d’armement, devrait passer le flambeau. En principe, mais dans quelles conditions? Le pays est riche en uranium, matière indispensable à la production nucléaire, dont les cours sont d’ailleurs en chute libre. Il ne faudrait pas qu‘il sombre dans l’anarchie et tombe, un jour, dans les mains des terroristes islamistes.
Sous le feu des armes et de l’actualité
Burkina Faso, Mali, Niger. Ces trois pays sahéliens sont sous le feu des armes et de l’actualité mais, malheureusement, les tensions sont tout aussi vives plus au sud. En Côte d’Ivoire, géant régional, Alassane Ouattara, 78 ans, se présente à un troisième mandat le 31 octobre. Cet homme aux allures élégantes, ancien du FMI, courtisé par les meilleurs esprits de la planète, continuera-t-il à être choyé par l’Occident alors qu’il vient de «bricoler» la Constitution nationale pour autoriser sa candidature? Une majorité d’Ivoiriens est dans la rue, n’en veut plus, dénonce le coup de force. Nombre d’opposants, quant à eux, sont muselés. Le pire est donc à redouter dans les semaines à venir.
En Afrique de l’Ouest, seul le Sénégal fait encore figure d’exemple démocratique.
Juste à côté, la Guinée Conakry suit le même chemin chaotique. Alpha Condé, 82 ans, a violé, lui aussi, la loi fondamentale, qui limite l’exercice présidentiel à deux mandats, pour se représenter le 18 octobre. La colère est à son comble. Le docteur en droit de l’université Panthéon-Sorbonne, longtemps considéré comme une chance pour son pays après des décennies de régimes autoritaires, est à présent accusé de tous les maux. Ces dernières semaines, des dizaines de manifestants sont tombés sous les balles de la police. Au Togo, Faure Gnassingbé s’est fait réélire le 22 février dernier pour la quatrième fois. Il avait succédé à son père, Gnassingbé Eyadema, en 2005. Comme si, depuis 1967, le Togo était la propriété d’une seule famille. En Afrique de l’Ouest, seul le Sénégal fait encore figure d’exemple démocratique.
L’Afrique centrale francophone ne montre pas un visage plus reluisant. La Centrafrique, où l’État a toujours été fantomatique, vit sous l’emprise des bandes armées. Au Gabon, Ali Bongo tente de perpétuer, non sans être contesté, l’œuvre de son père. Paul Biya, 87 ans, préside aux destinées du Cameroun depuis 1982. Belle longévité, mais reflète-t-elle la volonté du peuple? Au Tchad, Idriss Déby, redoutable chef de guerre arrivé au pouvoir par les armes en 1990, vient de se donner le titre de maréchal. D’autres, non loin de là, lui avaient préféré jadis celui d’empereur. On connaît la suite…
Au nord de la bande sahélienne, les peuples du Maghreb ne sont pas moins inquiets.
Au nord de la bande sahélienne, les peuples du Maghreb ne sont pas moins inquiets. La santé, fragile, du roi Mohamed VI ne rassure guère les Marocains. Les Tunisiens, qui ont donné le signal des printemps arabes, cherchent leur voie entre un président sans grand relief, le parti islamiste Ennahdha et la guerre civile libyenne qui fait rage à leur porte. Pleins d’espoir l’année dernière, les Algériens ont été arrêtés dans leur élan par le coronavirus. Leur révolution – l’Hirak – est inachevée, la liberté d’expression à l’agonie, la répression plus forte que jamais. Les successeurs d’Abdelaziz Bouteflika ont su instrumentaliser la pandémie pour détourner l’attention internationale.
L’Afrique francophone va mal, mais la France ne bronche pas. Polarisée sur la menace djihadiste contre laquelle elle oppose ses 5200 soldats de l’opération «Barkhane», elle redoute évidemment un procès en ingérence, en néocolonialisme. Le discours de La Baule de François Mitterrand en 1990, qui conditionnait l’aide de la France à l’instauration de la démocratie, a été rangé aux oubliettes.
L’époque a changé, mais pas les pratiques politiques de beaucoup de ceux qui gouvernent sur place. Les débuts sont parfois flatteurs, mais la fin est le plus souvent tragique. Avec des travers contagieux – abus de pouvoir, corruption, népotisme, censure… – que les peuples, connectés sur le reste du monde, beaucoup plus éduqués que par le passé, ne tolèrent plus. Aux premières loges, la France ne peut pas rester spectatrice, ne serait-ce que pour freiner le fléau de l’immigration clandestine. Sa réponse au malaise des sociétés africaines ne peut pas être que militaire. Pour ne pas laisser le champ libre aux Chinois, Russes et Turcs, rarement bien intentionnés, il est urgent de trouver une nouvelle forme de dialogue.