Tribune. Si, dans certains pays d’Afrique comme le Kenya ou le Ghana, la bonne gouvernance progresse, les pays d’Afrique centrale francophone, eux, hésitent encore entre un chemin vertueux et la prolongation d’un passé fait de tourmentes politiques et de misères des populations.
Dans cette région, en dehors de la République centrafricaine qui a retrouvé une certaine stabilité politique depuis le récent soutien russe, les autres pays sous influence française tanguent dangereusement. Ils hésitent entre une monarchisation de la République à l’œuvre au Gabon ou au Togo et le chaos engendré par une dictature qui n’a que trop duré comme au Cameroun ou au Tchad, deux pays qui offrent deux déclinaisons de cette Afrique qui recule.
Depuis trente années, contre la volonté du peuple et avec la bénédiction militaire française, un homme règne en effet sans partage sur un territoire aux potentialités économiques énormes. Les ressources pétrolières qui se sont ajoutées aux richesses agricoles il y a près de vingt ans n’ont servi qu’à enrichir Idriss Déby et sa famille, à renflouer les comptes dans les paradis fiscaux si ce n’est dans l’achat des consciences, la corruption et des interventions militaires extérieures sans mandat international.
Les indicateurs socio-économiques, comme l’indice de développement humain (IDH), placent toujours le pays au dernier rang des classements internationaux quand les indicateurs de gouvernance politique témoignent, eux, de la restriction des libertés politiques et d’expression doublée de nombreuses et récurrentes restrictions des connexions aux réseaux sociaux.
« Maréchal du Tchad »
Après l’élection présidentielle contestée de 2016, le régime s’est appuyé sur un Parlement illégitime pour accoucher d’une nouvelle Constitution. Un texte qui a instauré le serment confessionnel dans un pays laïc, consacré l’inéligibilité des jeunes de moins de 45 ans et réduit la liberté d’association.
Aujourd’hui, alors que Boko Haram continue d’endeuiller les Tchadiens à l’intérieur de ses frontières, après une victoire invérifiable dans un combat contre cette secte dans la zone du lac Tchad en mars 2020, le même Parlement décide contre toute attente et en violation de ses propres procédures de décerner à Idriss Déby Itno le titre de maréchal. « Maréchal du Tchad » et non pas « maréchal Idriss Déby » à l’image du maréchal Pétain ou du maréchal Mobutu.
En outre, pour la cérémonie d’élévation à cette dignité, le même Parlement a choisi le 11 août comme pour effacer de la mémoire collective cette date sacrée de l’indépendance, qui devrait unir tout le peuple autour du souvenir commun. Il devient de plus en plus clair qu’Idriss Déby cherche à passer le pouvoir à l’un des membres de son clan, lui qui ne se sépare plus de ses enfants, que ce soit dans le cadre des affaires diplomatiques, militaires ou tout simplement économiques.
Contrairement à d’autres pays francophones où une société civile forte a permis de tirer profit des résolutions des conférences nationales souveraines des années 1990 pour implanter un contre-pouvoir fort, le régime d’Idriss Déby n’a jamais rompu avec la violence, lui qui s’est illustré par les massacres les plus sauvages depuis septembre 1984. Très tôt, Me Behidi, premier président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme (LTDH) a été assassiné par le régime en février 1991.
Une milice surarmée
Des exactions sur de nombreuses populations partout sur l’étendue du territoire ont fini de réinstaurer une chape de plomb, comme sous les régimes précédents, terminant l’œuvre de zombification du peuple à côté de la politique de division entretenue par le régime du Mouvement patriotique du salut (MPS). La rébellion politico-militaire a été la réponse des populations frustrées et humiliées.
Les intrusions en 1997, 2006, 2008 et 2019 ont été repoussées avec l’appui des forces françaises installées au Tchad. Depuis février 2008, Ibni Oumar Mahamat Saleh, mathématicien et président du Parti pour les libertés et la démocratie (PLD) est porté disparu et, à ce jour, la lumière n’a été faite sur son cas.
Aujourd’hui, lorsque les forces vives tchadiennes expriment leur volonté de changement, la même réponse est invariablement servie par la communauté internationale : « Dans un environnement marqué par des conflits aux frontières et par des attaques djihadistes, Déby est le rempart de la sécurité sous-régionale et auteur acteur politique tchadien n’est en mesure de maintenir la stabilité politique après lui. »
Malgré l’alerte d’une institution de recherche américaine qui a pointé du doigt les risques liés au soutien à Déby, le réseau français a continué de donner carte blanche à cet homme. La présence d’une milice surarmée et la bénédiction française renforcent l’arrogance d’Idriss Déby et le développement du culte de la personnalité. Au point où il leur est loisible d’effacer une date qui devrait être historique aussi bien pour les peuples français et tchadiens, et marquer ainsi la fin d’une page d’histoire commune.
L’arrogance d’Idriss Déby et de son régime
Aujourd’hui, la masse populaire est convaincue de ces soutiens. Et s’il devient illusoire d’attendre une alternance politique par la voie des urnes, nous, en tant que membres des forces vives du pays, gardons espoir en un changement par et pour notre peuple. Conscients des enjeux internes et externes de la situation du Tchad, nous travaillons à résorber nos faiblesses et à être à la hauteur de l’affront qui est aujourd’hui explicitement exprimé par le régime.
A l’arrogance d’Idriss Déby, de son régime et de ses réseaux de soutien, nous répondons par l’unité de nos forces et l’appel à un sursaut national. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir ce que la voie populaire imposera dans les choix que nous aurons à faire pour la gestion de ces enjeux intérieurs et extérieurs si, comme nous l’espérons, le peuple arrive à braver la milice prétorienne de Déby et à instaurer un nouvel ordre politique.
N’est-il pas temps de travailler tous ensembles à prévenir une situation qui peut devenir ingérable tant les frustrations sont grandes ? Nous croyons en la bravoure éternelle des soldats tchadiens qui, depuis la période coloniale, ont été prompts à répondre à l’appel du général de Gaulle. Ces soldats-là, s’ils bénéficient de bons traitements, d’un encadrement de qualité, pourraient apporter des valeurs ajoutées plus significatives dans les opérations multinationales au service de la stabilité sous-régionale après Déby.
Nous croyons également en la maturité du peuple tchadien dans le cadre d’un changement de gouvernance, en sa volonté à vivre en paix avec toutes les communautés nationales. Aussi, nous appelons à soutenir des institutions fortes plutôt que des hommes forts.
Yoram Annette Laokolé, membre de l’opposition politique tchadienne en France ;
Kemba Didah Alain, coordinateur national du mouvement citoyen Le Temps ;
Djarma Acheikh Attidjani, politologue ;
Christian Mandekor Koumtog, coordinateur du mouvement Ras-le-bol citoyen ;
Djonabaye Mbaidanem, du mouvement Ras-le-bol citoyen;
Charfadine Galmaye Salimi, membre de l’opposition politique tchadienne en France.
Collectif