Dominique Sopo; Président de SOS RACISME:
“Pour Khaled Drareni, des journalistes et des militants des droits de l’Homme se sont réunis à Alger, Tunis, Washington DC et Paris pour demander que ce journaliste injustement emprisonné à Alger soit libéré.
Condamné à 3 ans de prison en 1ère instance, celui qui a été condamné pour avoir documenté le Hirak connaîtra demain son procès en appel.
Informer n’est pas un crime. “Liberté pour Khaled Drareni!” comme l’ont réclamé les journalistes réunis aujourd’hui devant l’Ambassade d’Algérie à Paris, à l’initiative de RSF et du comité de soutien international duquel je m’honore d’être membre.”
Tribune
Belkacem Mostefaoui
Professeur et directeur du laboratoire de recherche Médias, usages sociaux et communication à l’École nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information d’Alger
Dans une tribune au « Monde », le professeur spécialiste des médias Belkacem Mostefaoui s’élève contre la double peine infligée au journaliste algérien Khaled Drareni condamné en août à trois ans fermes.
Tribune Emprisonné, depuis le 27 mars 2020, le journaliste algérien Khaled Drareni a écopé, le 10 août, d’une peine de prison de trois années fermes en conclusion prononcée dans une parodie de procès par le Tribunal d’Alger, aux motifs fallacieux « d’atteinte à l’unité nationale » et « d’incitation à attroupement non armé ». Dans le respect de l’observance des règles sanitaires imposées par la pandémie de Covid 19 limitant les regroupements dans l’espace public physique, un vigoureux mouvement citoyen a réagi sur Internet contre ce nouvel acte d’instrumentation du système de justice opéré par le pouvoir pour museler les médias.
Un magnifique mouvement de solidarité internationale a accompagné cette protestation pour renforcer la défense du journaliste lors du procès en appel programmé pour ce 8 septembre 2020. Dans le fond, ce procès est inscrit dans un contexte de vie des médias algériens asséché par un rouleau compresseur d’une seconde séquence de mise au pas des journalistes.
A l’intervention directe du commandement militaire sur la production du journalisme (consécutif à la déchéance de Bouteflika en février 2019) succède, depuis l’automne 2019, une batterie de dispositifs et d’actions orchestrées pour réduire à peau de chagrin la liberté d’information. Main mise musclée sur les médias audiovisuels gouvernementaux clonant les journalistes en lecteurs de communiqués ; jeux troubles d’utilisation des télés offshore mercenaires (a-légales elles ont été créées par le système Bouteflika) ; et laminage des capacités économiques de la presse de droit privé.
La production du journalisme sur les réalités du pays
Les titres survivants sont désormais dirigés vers les « restes » de la mangeoire cagnotte de publicité de la centrale étatique de l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP), car le tarissement de la rente pétrolière a réduit à néant l’apport d’annonces publicitaires des succursales de firmes transnationales. La publicité étatique qui est miroitée aux patrons de presse, même ceux jusque-là « soucieux d’indépendance éditoriale », semble bien fonctionner tant en carotte que bâton de domestication.
Sans trop forcer le trait, la configuration actuelle offre au pouvoir une artillerie de propagandes et de contrôle social que devrait lui envier « Sa Majesté Bouteflika ». Seule potentielle digue devant cette tentation totalitaire revigorée est la production du journalisme sur les réalités du pays grâce à la Toile. Non pas les réseaux sociaux trop souvent pollués de communication débridée mais les sites d’information sérieux dans l’application des normes professionnelles du domaine.
Khaled Drareni justement est l’un de nos premiers professionnels investis avec conscience dans les fabuleuses opportunités offertes par les nouveaux médias. Cumulant à cela une passion et un courage inébranlables – des avocats disent combien il a maigri pendant son temps en geôle – son travail de médiatisation des marches du Hirak populaire l’a très vite mis dans l’œil du cyclone.
La double peine
Sa célébrité qu’il a acquise par la conviction d’accomplir une mission consubstantielle au devoir d’informer et qui s’est renforcée par une réelle capacité à toucher de larges publics semble inciter les tenants du pouvoir algérien à tester encore plus la détermination de Khaled Drareni, et les réactions de solidarité de la société contre son incarcération. Quitte, dans cette parodie de justice, à fouler au pied la Constitution et la loi organique sur l’information de janvier 2012 qui interdit l’emprisonnement de journaliste.
Le hic de la double peine est là justement. Voilà un tribunal de la « Nouvelle république algérienne » autoproclamée qui refuse de reconnaître à Khaled Drareni le titre de journaliste, parce qu’il n’exhibe pas une carte de la commission fantoche siégeant au ministère de la Communication, alors qu’il cumule une quinzaine d’années de journalisme. Une suprême injure à la conscience professionnelle de la personne embastillée ; et un déni de respect à ses publics, et plus largement aux millions d’Algériennes et Algériens qui n’ont pas renoncé au Hirak, même s’ils demeurent pacifiquement confinés.
La place de Khaled Drareni n’est plus à la prison de Kolea, mais d’abord dans son foyer pour panser ses plaies de double peine injuste, et très vite reprendre son travail, car ses publics et la production du journalisme en Algérie en ont tant besoin.
Belkacem Mostefaoui(Professeur et directeur du laboratoire de recherche Médias, usages sociaux et communication à l’École nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information d’Alger)