« Je voudrais juste pouvoir lui parler, lui faire passer ses médicaments. Je ne sais même pas s’il est toujours vivant », a supplié devant la presse, samedi 12 septembre, la mère de l’un de douze jeunes fugitifs hongkongais aux mains des autorités chinoises. Interceptés par les gardes-côtes chinois alors qu’ils tentaient de fuir Hongkong de manière clandestine, ils sont dans le centre de détention du district de Yantian, à l’est de Shenzhen, depuis le 23 août. Jusque-là, les familles avaient cru préférable d’œuvrer discrètement. Mais rongées par l’angoisse, sans nouvelles de leurs enfants, six des douze familles ont finalement choisi de partager leur détresse publiquement.
Peu de détails sont connus quant à l’organisation de cette tentative de fuite audacieuse. Les gardes-côtes chinois de la province du Guangdong ont fait savoir, quatre jours après l’opération, qu’ils avaient intercepté un hors-bord le dimanche 23 août et arrêté « plus de dix Hongkongais qui se trouvaient à bord, pour entrée illégale en Chine ». Selon la presse locale, certains de ces jeunes, âgés de 16 à 33 ans – parmi lesquels un ressortissant portugais et deux détenteurs de passeport britannique d’outre-mer –, sont des manifestants de première ligne, surnommés les « frontliners » dans le jargon de la révolte. Ils allaient « au contact » avec les forces de l’ordre. Tous étaient en liberté conditionnelle à la suite d’interpellations lors des manifestations de 2019.
L’un d’eux, Andy Li, était pour sa part visé par une procédure engagée le 10 août dans le cadre de la nouvelle loi draconienne de sécurité nationale imposée par Pékin, qui sanctionne quatre nouveaux types de crimes, dont la sécession (séparatisme), la sédition, la collusion avec des puissances étrangères et le terrorisme.
Avocats « proposés » par Pékin
Selon divers rapports de presse, ces candidats à l’exil auraient embarqué à Saikung, village de tourisme qui est le point d’accès vers plusieurs plages sauvages situées à l’est de la partie continentale de Hongkong. Ils auraient appris comment manœuvrer leur embarcation et en réparer le moteur, avec l’espoir de rallier Taïwan, île située à 620 kilomètres à l’est. Leur interception, quelques heures seulement après leur départ, incite à penser qu’ils ont été dénoncés. Car d’autres opérations du même type ont déjà eu lieu avec succès. Taïwan est en effet devenu la terre d’asile de nombreux dissidents hongkongais depuis que la présidente, Tsai Ing-wen, a formulé en juin son souhait d’accueillir les jeunes Hongkongais menacés de poursuites judiciaires en raison de leur engagement politique pro-démocratie. Mais la traversée par la mer au moteur sur ce genre d’embarcation prend au moins deux à trois jours et elle n’est pas sans danger, notamment en pleine saison de typhons. Il est également possible, au vu de la position de leur interception, à cinquante miles nautiques au sud-est de Hongkong, qu’ils aient envisagé d’aller d’abord aux îles Pratas, plus proches de Hongkong, où Taïwan exerce son autorité administrative et a secouru une embarcation similaire transportant cinq jeunes hongkongais le 24 août.
Camouflés par une superposition de cagoules, masques, chapeaux et lunettes noires, les parents ont demandé samedi que le gouvernement de Hongkong intervienne et que les avocats nommés par les familles aient accès aux détenus. Ils souhaitent aussi que les trois jeunes sous suivi médical – pour asthme et pour troubles psychiques – puissent avoir leur traitement et, surtout, qu’ils répondent de leurs délits devant la justice hongkongaise. Après avoir exigé diverses preuves inhabituelles aux avocats mandatés par les familles, les autorités chinoises ont fait savoir que les détenus avaient finalement déjà choisi leurs avocats, proposés par le gouvernement chinois. Cette méthode permet, en Chine, aux autorités judiciaires de s’assurer de la coopération de la défense avec l’accusation.
Accusation de « séparatisme »
« Si les détenus sont défendus par les avocats du gouvernement, il y a un gros risque que les familles perdent tout contact avec eux. Leur cas risque de tomber dans un trou noir, et on n’aura plus de nouvelles pendant des mois, voire des années, comme dans tant d’autres cas de droits de l’homme en Chine », estime le député d’opposition Eddie Chu, co-organisateur de la conférence. Jusqu’à présent, la chef de l’exécutif de Hongkong, Carrie Lam, s’est magistralement désolidarisée du sort des douze Hongkongais, déclarant que « puisqu’ils avaient violé des lois chinoises, ils seront soumis à la justice chinoise » et que Hongkong ferait tout pour assister… la Chine. Leurs avocats hongkongais estiment, au contraire, que puisqu’ils fuyaient la justice de Hongkong, c’est à Hongkong qu’ils doivent être jugés. « Les accuser d’avoir voulu rentrer en Chine illégalement est absurde, c’était bien la dernière de leurs intentions », s’alarme James To, député du Parti démocratique et avocat des droits de l’homme.
Selon la police, les détenus pourraient désormais être jugés non seulement pour être rentrés en Chine illégalement, mais aussi pour avoir organisé le passage illégal de la frontière pour autrui, un chef d’accusation passible de prison à perpétuité. La porte-parole du gouvernement chinois, Hua Chunying, a pour sa part indiqué dans un Tweet, lundi, qu’il ne s’agissait pas de militants prodémocratie mais bien de « séparatistes », dont le but était de couper Hongkong de la Chine.
A Hongkong, certains membres des familles ont indiqué qu’ils ne savaient même pas que leur fils était parti en mer, d’autres croyant qu’ils étaient juste allés pêcher, une distraction locale populaire. Certains de ces jeunes étaient d’ailleurs en froid avec leurs parents, qui leur reprochaient leur engagement.