En Algérie, Khaled Drareni écope de deux ans de prison en appel pour avoir fait son métier de journaliste. Il avait été condamné en première instance à trois ans de prison en août. Son crime : avoir couvert le « Hirak ».
Le journaliste algérien Khaled Drareni a été condamné mardi 15 septembre à deux ans de prison ferme en appel pour avoir exercé son métier de journaliste dans une Algérie qui s’enfonce dans la répression depuis l’élection de son nouveau président, Abdelmadjid Tebboune, en décembre 2019, ex-fidèle du président déchu Abdelaziz Bouteflika.
C’est bien cela, le crime de Khaled Drareni : être une voix et une plume libres, indépendantes, qui ont couvert le « Hirak », le soulèvement populaire qui a emporté l’ancien président fantôme et qui réclame depuis plus d’un an le départ du « système », l’avènement d’une « Algérie libre et démocratique », d’un État de droit.
Si la peine est réduite d’une année en appel (Khaled Drareni avait été condamné le 10 août à trois ans de prison ferme), elle demeure l’une des plus lourdes peines jamais prononcées contre un journaliste depuis l’indépendance du pays en 1962 (sous Bouteflika, en 2004, le journaliste Mohammed Benchicou avait pris deux ans pour transfert illicite de devises).
Khaled Drareni n’est pas n’importe quel journaliste. Bien connu des médias internationaux, fondateur du site d’information libre Casbah Tribune, correspondant de la chaîne francophone internationale TV5 Monde, de l’ONG française Reporters sans frontières (RSF), vigie des atteintes à la liberté de la presse à travers le monde, il est un journaliste populaire en Algérie et au-delà, à l’étranger.
Quiconque s’intéresse à l’Algérie le suit sur Twitter pour sa rigueur et son professionnalisme. Et rien que cette popularité par-delà les frontières le rend coupable et mérite enfermement aux yeux des autorités, engagées dans le musellement de toute voix critique.
La condamnation de Khaled Drareni mardi 15 septembre pour « incitation à attroupement non armé » et « atteinte à l’unité nationale » sonne comme un avertissement lancé à tous les journalistes en Algérie, qui exercent dans des conditions déjà très difficiles (le pays est classé 146e sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse) : soit vous rentrez dans le rang, à la solde du pouvoir, soit vous finissez en prison.
C’est aussi un message à l’adresse de tous les citoyens, car le procès de Khaled Drareni n’est pas seulement celui de la liberté de la presse, il est aussi celui de la liberté d’expression, des libertés individuelles bafouées.
« Deux ans de prison ferme pour Drareni. Nous allons faire un pourvoi en cassation », a déclaré à l’AFP l’un de ses avocats, une figure du Hirak, Mustapha Bouchachi.
« Son maintien en détention est la preuve d’un enfermement du régime dans une logique de répression absurde, injuste et violente », a réagi Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières.
« En dissuadant sa couverture journalistique, une justice algérienne aux ordres croit possible de mettre le Hirak dans une Cocotte-Minute et de fermer le couvercle. C’est une stratégie vaine, explosive, qui sape la légitimité de ceux qui la mettent en œuvre », a dénoncé l’ONG, qui mène une campagne internationale pour la libération immédiate de Khaled Drareni.
Khaled Drareni était jugé en compagnie de Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche, deux visages du Hirak. Sous le coup des mêmes chefs d’accusation, ces derniers ont été condamnés à quatre mois de prison. Les ayant déjà purgés, ils sont ressortis libres de la cour d’Alger.
Arrêté le 7 mars dernier alors qu’il couvrait une manifestation réprimée par la police, inculpé des chefs d’« incitation à attroupement non armé » et d’« atteinte à l’intégrité du territoire national », placé d’abord sous contrôle judiciaire puis en détention provisoire, Khaled Drareni, qui a fêté ses 40 ans derrière les barreaux, est malgré lui devenu le symbole d’une presse de plus en plus opprimée en Algérie.
Il y a un peu plus d’un mois, lundi 3 août, il est apparu derrière les murs de la prison de Kolea, amaigri mais avec cet immense sourire dont il ne se départ jamais, lors de son procès (par visioconférence pour cause de pandémie de Covid-19) devant le tribunal Sidi-M’Hamed à Alger. La semaine dernière, lors de son procès en appel, le visage était encore plus émacié mais le sourire toujours là.
Il a redit n’avoir fait « que son travail en tant que journaliste indépendant et qu’exercer son droit à informer en tant que journaliste et citoyen ». Il a mis en avant sa couverture de toutes les manifestations, y compris celles pro-gouvernement, ainsi que son droit, en tant que citoyen, d’exprimer son point de vue, ce que l’on appelle « la liberté d’expression », puisque la justice lui reproche notamment une publication Facebook où il a énoncé une vérité : le système politique n’a pas changé en Algérie après l’élection du président Tebboune. Il est accusé d’avoir critiqué sur Facebook « la corruption et l’argent » du système politique et d’avoir publié le communiqué d’une coalition de partis politiques en faveur d’une grève générale.
« Je suis un journaliste et non un criminel. Le journalisme que je pratique ne menace pas la sécurité du pays mais le protège », a-t-il plaidé, à l’issue de l’audience en appel.
Comme lors du procès en première instance, le procureur avait requis quatre ans de prison ferme, 100 000 dinars d’amende et quatre ans de privation des droits civiques à son encontre.
« L’emprisonnement de Khaled Drareni, c’est l’acharnement d’un seul homme : le président Tebboune, témoigne un observateur de premier plan. Comme Gaïd Salah [l’ancien chef de l’armée qui a assuré l’intérim après la chute de Bouteflika – ndlr] s’est acharné sur Karim Tabbou [opposant politique, figure du Hirak récemment libérée – ndlr], Tebboune s’acharne sur Khaled Drareni, qu’il a traité d’informateur, d’espion, lors d’une conférence de presse, ce qui est inédit là aussi. Les juges ont eu peur. Ils se sont dit : on ne libère pas quelqu’un que le premier magistrat du pays traite d’informateur. »
Cette condamnation intervient en Algérie à moins de deux mois d’une révision constitutionnelle programmée le 1er novembre prochain, soit le jour anniversaire du début de la guerre d’indépendance de l’Algérie (1954-1962) et alors que le climat de répression est de plus en plus délétère à l’encontre des médias indépendants, des militants du Hirak et des opposants politiques. Des journalistes ont été accusés par le régime de semer la « subversion » et d’être à la solde de « parties étrangères ».
Plusieurs sont en prison, comme Abdelkrim Zeghileche, directeur de la radio indépendante en ligne Radio Sarbacane, condamné le 24 août à deux années de prison pour des publications sur Facebook appelant à la création d’un nouveau parti politique… D’autres procès sont en cours.
« Maintenant, tous les opposants algériens, dès qu’ils parlent, on leur colle “atteinte à l’unité nationale” pour les incarcérer », déplore son avocat, Djamel Aissiouane.
El Watan, le premier quotidien francophone du pays, qui survit déjà difficilement, peut également témoigner de cette vague de répression sans précédent qui s’est accentuée depuis la pandémie de Covid-19. Il a été privé de publicité publique après une enquête parue fin août sur les origines troubles de la fortune des enfants du général Ahmed Gaïd Salah, l’ancien homme fort du pays à la tête de l’armée, qui a géré la transition avant de mourir subitement en décembre 2019.