Il y a des Camerounais, soutiens du système, Biyaistes assumés et soutiers du régime, qui tous les matins, sur chaque écran, à longueur d’éditions du journal télévisé de la Crtv, affirment leur adhésion à Paul Biya ; y compris journalistes et éditorialistes des médias dits de service public.
Ils moquent et morigènent les opposants, marchent même, manifestent arborant banderoles et effigies à la gloire du chef de l’Etat, encadrés par la police, le sous-préfet du coin, reçus par le préfet et félicités par le Gouverneur. Ils marchent même pour des hommes d’affaires, soutiens du régime. C’est leur droit, il n’y a qu’à relire la Constitution. Celle de 1996, dans son préambule, a la clarté cristalline de l’eau Supermont : « Affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme, la charte des Nations-Unies, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées », notamment la liberté de manifestation.
Ils le font tant et si bien que, certains parmi eux, ministres et assimilés, ont subtilisé au Dieu de diverses religions, le titre de Créateur. Le Nnom Gui est leur Allah. L’homme du 6 novembre est leur Yahvé. Le successeur d’Ahmadou Ahidjo, dont Me Alice Nkom réclame à fort juste titre un traitement honorable pour la veuve, est leur Ahura Mazda. Il a les vertus de Nyinyi, de Nyambe et de Zamba. Son décret a des effets plus magiques que la légende de la création de la femme à partir de la côte de l’homme : il vous donne, par son article 2, une incroyable cote dans la société. Du jour au lendemain, vous devenez « élite » de votre village, de la contrée, du hameau et de la région. Au point où, sur la moindre discussion d’arrière-garde sur un chef de quartier à Douala, l’on se réunit pour réclamer un ou encore plus de ministres et dirigeants d’Etat issus de l’ethnie ou de la tribu des mécontents, mémorandistes et populations en colère.
Il y’a des Camerounais, pourfendeurs du système, opposants assumés et contestataires du régime, qui expriment des revendications sur l’iniquité, les ambiguïtés et les travers du Code et du système électoral. Depuis les épisodes fâcheux de la gestion des élections par le ministère de l’Administration territoriale et l’ONEL, on a d’ailleurs vu comment ces revendications ont conduit à de menus aménagements.
Ces Camerounais expriment des critiques et des vues différentes et alternatives sur la gouvernance, la corruption endémique et systémique, bref la manière dont l’argent public sort par la fenêtre de l’État et rentre par les grandes portes des détourneurs, prévaricateurs et nababs connus de l’enrichissement illicite et sans cause. Ces compatriotes de Ruben Um Nyobé ont leurs vues sur les effets jugés désastreux de la longévité au pouvoir, la trajectoire détournée de l’économie camerounaise, pourtant saluée au début des années 80 et les régressions de notre société.
Ils le font tant et si bien que, c’est connu, quand on choisit de fonctionner dans un régime démocratique, l’élection n’est pas le seul mode d’expression du peuple. Il s’est développé une large palette citoyenne allant des pétitions, memoranda, plaidoyers, tribunes de presse aux manifestations, l’un des droits fondamentaux de l’Homme consacré par les Chartes, traités et codes y relatifs. Le Cameroun n’est pas un ovni juridique ou un astre mort de la planète des droits.
Ces citoyens ont donc le droit, à mains nues ou avec leurs pancartes et effigies à eux, de marcher, manifester : pacifiquement, soucieux de l’ordre public. Une fois, encore, la clarté cristalline du préambule de la Constitution de 1996, telle l’eau de Dibunscha, joue en cette faveur : – Nul ne peut être inquiété en raison de ses origines, de ses opinions ou croyances en matière religieuse, philosophique ou politique sous réserve du respect de l’ordre public et des bonnes mœurs ; – Tous les hommes sont égaux en droits et en devoirs.
Autrement dit, si l’on peut soutenir Paul Biya, son système et le régime, marcher et manifester librement, sans être inquiété, accompagné même par l’autorité administrative et les forces de police, la modernité et les exigences démocratiques voudraient que l’on soit en mesure de le faire quand on est contre, mécontent, critique de Paul Biya, de son système et du régime. Ce serait là un changement en profondeur de nos mœurs, habitudes et pratiques politiques et citoyennes dans un pays, un territoire où depuis 1945, toute manifestation de ceux qui disent Non, s’opposent et critiquent, hier l’occupant français, aujourd’hui le président, est systématiquement interdite, réprimée et découragée.
A. Mounde Njimbam
Citoyen Africain-Camerounais
Journaliste/Consultant- chercheur en géopolitique, relations internationales et histoire globale. Spécialiste des politiques et du droit de l’Espace.