La mission d’enquête sur le Venezuela, désignée par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, a rendu un rapport accablant pour le gouvernement et la personne de Nicolas Maduro. Les trois enquêteurs indépendants affirment avoir « des raisons de croire » que des crimes contre l’humanité sont commis au pays de la révolution bolivarienne. Ils ont également « des raisons de croire » que le président Maduro, le président de l’Assemblée constituante, Diosdado Cabello, numéro deux du régime, le ministre de l’intérieur, Nestor Reverol, et le ministre de la défense, Vladimir Padrino, en sont responsables. Caracas conteste le contenu du rapport publié mercredi 16 septembre, qui doit encore être discuté et approuvé par le Conseil des droits de l’homme à Genève.
Assassinat, détentions arbitraires, disparitions forcées, torture, viols et violences sexuelles, traitements inhumains : la liste des violations des droits de l’homme au Venezuela est longue. Et elle n’est pas nouvelle. Mais le rapport précise la chaîne de commandement : Nicolas Maduro et ses proches « ont donné des ordres et fourni des moyens » pour que ces crimes soient commis. C’est dire qu’il évoque, au-delà de la responsabilité politique de l’Etat vénézuélien, la responsabilité personnelle – et donc pénale – des individus concernés. La question est posée de savoir si la publication du texte va peser sur les travaux de la Cour pénale internationale où, depuis 2018, le Venezuela fait l’objet d’un examen préliminaire.
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Le ministre des relations extérieures vénézuélien a été le premier à réagir. Sur son compte Twitter, Jorge Arreaza a fustigé « un rapport à charge contre le Venezuela », « truffé de mensonges » et élaboré « sans aucune méthodologie », par « une mission fantôme aux ordres de gouvernements subordonnés à Washington ». Pour le ministre, ce rapport « illustre la pratique perverse de faire de la politique avec les droits de l’homme et non une politique des droits de l’homme ». Et, toujours selon M. Arreaza, « il démontre une intention tendancieuse de porter atteinte à l’indépendance, la souveraineté et l’autodétermination du peuple vénézuélien et de tous les peuples du monde ».
Une fonction politique de contrôle social
Les trois experts internationaux n’ont pas pu travailler au Venezuela. Ni la mission vénézuélienne auprès de l’ONU à Genève, ni aucune autorité de Caracas n’ont en effet répondu à leurs demandes. C’est donc au Panama qu’ils ont écouté les 274 témoignages de victimes directes, de familles de victimes, de fonctionnaires publics et de membres de la force publique, d’activistes, de militants. Les 223 cas de violation des droits de l’homme documentés ont permis aux enquêteurs de conclure que, « loin de constituer des cas isolés », ces pratiques étaient la manifestation d’une politique systématique, d’une politique d’Etat.
Ce n’est pas la première fois qu’elles sont dénoncées. Les organisations des droits de l’homme vénézuéliennes et les organisations internationales telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch (HRW) attirent régulièrement l’attention sur la situation vénézuélienne. En juillet 2019, la haut-commissaire pour les droits de l’homme des Nations unies, la Chilienne Michelle Bachelet, avait elle-même remis un rapport sévère. En août, HRW accusait le gouvernement Maduro d’user de l’état d’exception décrété pour cause de pandémie à des fins politiques et de réprimer les citoyens « encore plus brutalement ».
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M. Maduro est déjà visé par une procédure judiciaire américaine : en mars, la justice le réclamait pour « narcoterrorisme » et le département d’Etat offrait alors 15 millions de dollars (12,6 millions d’euros) pour toute information pouvant conduire à sa capture.
Comme les précédents rapports, le texte élaboré pour l’ONU souligne le rôle des services de renseignement vénézuéliens (Sebin) et de la direction du contre-espionnage militaire (DGCIM) dans la filature et la persécution des opposants. Il s’inquiète de l’ingérence de l’exécutif dans les procédures judiciaires, détaille les cas de torture. Il dénonce les assassinats commis à l’occasion des opérations dites de « libération du peuple » (OLP) menées par les Forces spéciales (FAES) de la police. Ces opérations musclées mises en place pour sécuriser les quartiers pauvres sont devenues synonymes de terreur. Hors de tout contrôle, les FAES perquisitionnent, violentent et parfois assassinent, en accusant alors leurs victimes d’avoir tenté de résister à l’autorité. Comme les précédents rapports, celui de la mission indépendante affirme que les violations des droits de l’homme ont aussi une fonction politique de contrôle social.
« Faire reconnaître l’horreur »
« Aujourd’hui, les défenseurs des droits de l’homme vénézuéliens se sentent moins seuls », écrit la juriste Angelina Jaffé. « C’est un jour de joie triste », résume pour sa part le défenseur des droits de l’homme Rafael Uzcategui. « Nous avons la satisfaction de savoir que les victimes ont été écoutées, alors que le discours officiel les traite de délinquants ou de terroristes. Mais nous sommes épuisés par tant d’efforts pour faire reconnaître l’horreur et devoir constater que l’inventaire ne cesse de s’allonger. »
« Le rapport qui détaille les atrocités commises ne dit rien que nous, les Vénézuéliens, ne sachions déjà, soupire le chercheur en sciences politiques Carlos Romero. Il place Maduro en situation difficile sur la scène internationale, certains, au sein de l’ONU, pourraient être tentés d’invoquer la responsabilité de protéger [la population]. » Ce devoir de « responsabilité » a justifié, dans le passé, des interventions militaires.
En prévenant « qu’on ne dialogue pas avec une dictature », Leopoldo Lopez Gil, eurodéputé espagnol (PP) et père de l’opposant vénézuélien Leopoldo Lopez, a déclaré que le rapport de la mission d’enquête était « un avertissement pour ceux qui croient pouvoir obtenir quelque chose par la voie du dialogue ». Le propos vise l’opposant et ancien candidat à la présidentielle Henrique Capriles, qui a fait un récent retour sur la scène politique vénézuélienne. Alors que les principaux partis d’opposition, menés par le député et président autoproclamé Juan Guaido, ont décidé de ne pas participer aux élections législatives du 6 décembre « faute de garanties », M. Capriles a appelé, début septembre, ses compatriotes à se rendre massivement aux urnes.
M. Romero considère que « le rapport de la mission d’enquête complique la tâche de ces secteurs démocratiques qui envisageaient de participer aux prochaines élections ». Au contraire, Rafael Uzcategui pense qu’il pourrait « pousser le pouvoir, affaibli sur la scène internationale, à trouver des compromis avec la partie de l’opposition disposée à participer aux élections ».