Ils étaient cinq à comparaître ce mercredi 30 septembre devant le tribunal de Paris : Mwazulu Diyabanza, Congolais né à Kinshasa, Romain Catambara, né à La Réunion, Thibault Bao Abdelkader, né à Bangui (Centrafrique), et Dihaoulou Bonelvy, nationalisé français à l’âge de 5 ans et originaire du Congo, tout comme l’institutrice française au chômage Djaka Apakwa, fille du roi Djaka 1er, présent dans la salle, de l’ancien royaume Gondi au Congo.
Ils sont accusés de « tentative de vol en réunion d’un objet mobilier classé », aggravée du fait que l’objet est classé. En l’occurrence, un poteau funéraire Bari (Tchad) des collections du musée du Quai-Branly-Jacques-Chirac. Les cinq accusés encourent une peine de dix ans de prison et 150 000 euros d’amende. Les faits remontent au 12 juin dernier. Ce jour-là, les cinq activistes du mouvement panafricain UDC (Unité, Dignité, Courage), fondé en 2014, se rendent au musée du Quai-Branly, une première « pour la majorité » d’entre eux, selon le leader, Mwazulu Diyabanza. Tous nient une quelconque préméditation. L’action, filmée par le groupe, semble avoir été improvisée. Sur les images, on voit Mwazulu Diyabanza cherchant à desceller de son socle le poteau Bari pour le « ramener à la maison ». Bientôt aidé d’un camarade.
Selon le militant, c’était « un coup du hasard, car le poteau était la principale œuvre que l’on pouvait récupérer, mais elle a une valeur pour moi, car ce poteau est présent aussi dans les cérémonies funéraires au royaume du Kongo ». Ils ont été aussitôt arrêtés dans leur élan par les services de sécurité du musée et relâchés après une garde à vue.
Dès avant l’ouverture de l’audience, le porte-parole d’UDC est en place dans les couloirs du tribunal : la tribune médiatique ouverte. Et les médias sont bien là, nombreux, tout comme les militants du mouvement. « Notre démarche, dit Mwazulu Diyabanza, c’est la diplomatie active ! Différente de la diplomatie dormante. » Revendiquant le pacifisme et soucieux d’alerter « l’opinion internationale », pour ne pas donner raison au « voleur ». Le voleur étant, selon lui, le musée et l’État qui se sont emparés de ces biens africains, et non lui : « Il n’y a pas de tentative de vol puisque tous les objets ont des titres de propriété qui sont faux ! » Avant de commencer, le président du tribunal doit même demander à ce dernier de sortir calmer ses camarades qui manifestent bruyamment leur déception de ne pas pouvoir être dans la salle en raison de la situation sanitaire.
Dans cette opération à visée essentiellement politique (le mot sera employé à tout bout de déclaration) et médiatique resurgit la question vaste et brûlante de la restitution des biens culturels à l’Afrique. Et cela, alors même que doit passer devant l’Assemblée nationale le projet de loi « relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal » autorisant, « par une dérogation limitée au principe essentiel d’inaliénabilité applicable aux collections publiques françaises », la restitution de vingt-six œuvres réclamées par la République du Bénin, prises de guerre du général Dodds dans le palais de Béhanzin, après les combats de 1892 de la campagne du Dahomey (dit trésor de Béhanzin), ainsi que la restitution au Sénégal du sabre ayant appartenu au El Hadj Oumar Tall, qui a lutté contre l’armée coloniale française au XIXe siècle.
Retour sur le débat sur la restitution
« Ce sera une de mes priorités, je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique », lançait Emmanuel Macron à Ouagadougou, en octobre 2017. Un an plus tard, Felwine Sarr et Bénédicte Savoy lui remettaient le rapport demandé, qui devait susciter de vives réactions, mais, jusque-là, point encore de réalisations réelles. C’est bien le problème soulevé dans cette salle par les prévenus et leur défense.
Pour les premiers objets concernés, le projet de loi indique bien que « la dérogation au principe d’inaliénabilité reste limitée aux biens visés et n’emporte pas d’impact général sur le droit interne ». Comme quoi la recommandation des auteurs du rapport d’introduire un projet de loi modifiant la loi sur le patrimoine pour rendre possibles ces restitutions n’a pas eu lieu. Les prévenus et leurs avocats parlent de mépris et expliquent que l’heure était venue de passer au niveau supérieur. Parler devant le musée avec des micros, c’est inefficace. Entrer dans le musée et s’emparer d’un objet donne l’écho que l’on constate. Ce théâtre militant, très inquiétant pour la conservation des œuvres, mais plutôt pacifiquement mené, s’est poursuivi depuis, à Marseille au Musée colonial et, plus récemment, aux Pays-Bas, où les activistes sont sous le coup d’une expulsion de territoire pour six mois.
Et ce n’est pas fini, prévient le leader dans la vidéo du Quai-Branly : « Belgique, attends-moi. Londres, attends-moi. Allemagne, attends-moi. »
Pourtant, au cours du procès le prévenu, qui assure lui-même sa défense, a indiqué qu’il allait réfléchir à d’autres modes d’action…
Dans ces débats apparaissent des enjeux historiques, politiques et sociaux, et la relation de la France avec l’Afrique, dont témoignent en arrière-plan les positions des deux avocats représentant les parties. Et que le président du tribunal a d’emblée signalé : « Il y a deux procès : celui de quatre hommes et une femme poursuivis pour deux délits relevant du Code pénal. Et celui de l’histoire de l’Europe avec l’Afrique, l’histoire de la France avec l’Afrique, du colonialisme, du détournement de patrimoine culturel de nations soumises à un moment sous la domination d’un autre. »
Parler de spolier alors qu’exposer, au contraire, coûte de l’argent, ce n’est pas recevable.
Pour maître Goutal, avocat du musée du Quai-Branly depuis vingt ans – le musée s’est porté partie civile dès le 12 juin – et qui n’a jamais vécu une situation semblable, il s’agit d’un préjudice
Maître Goutal répond aux arguments selon lesquels le musée et l’État français s’enrichiraient aux dépens de l’Afrique : « Le musée vit avec 80 % de subventions par an, donc, parler de spolier alors qu’exposer, au contraire, coûte de l’argent, ce n’est pas recevable… Pas plus que la question de la propriété. »
Si l’avocat de la partie civile mesure les questions « vertigineuses » qui se posent sur la restitution, il regrette ce geste « source de confusion dans un débat intéressant dans lequel les pouvoirs publics ont accepté d’entrer. Les activistes ne sont pas utiles comme ils le prétendent, mais, au contraire, nuisibles au débat en provoquant sa radicalisation, au moment où il s’engage avec prudence et intelligence avec les États africains concernés. Il y a quelque cinq ans encore, la démarche aurait eu un sens, alors que, aujourd’hui, c’est un combat d’arrière-garde. Sans aucune justification de fond en droit. » Sa plaidoirie interrogera la libre expression en s’appuyant sur le cas des Femen statuant, d’une part, sur l’exhibition et, d’autre part, sur la dégradation.
Une « forme d’expression » pour faire avancer « la cause »
Ce n’est bien sûr pas l’avis de maître Calvin Job, qui ne cache pas son engagement sur la décolonisation des esprits, raison pour laquelle les prévenus sont venus vers lui. « C’est une forme d’expression qui permet de faire avancer la cause et sur laquelle il faut avoir une vision globale. » Pour l’avocat, ce qui a été jusqu’à présent avancé du côté de l’État français est insuffisant. « Il faut modifier le Code du patrimoine pour insérer le principe de la restitution. Le Bénin et le Sénégal, pays aux semblants de démocratie, ont fait des demandes. Mais les autres ne feront jamais le pas, ils ont trop peur du retour de bâton, de ce que cela entraînerait dans les conditions de leur élection en Afrique, ou de leur respect des droits de l’homme. Cette jeunesse de la diaspora africaine veut pallier les manquements des pseudo-gouvernants en Afrique. Leur acte est purement politique en tant qu’héritiers de ce patrimoine. Et c’est encore du paternalisme que de considérer qu’il s’agit là d’une tentative de vol comme si les pauvres Africains ne savaient pas que les musées étaient sécurisés. »
Pour laisser libre cours à la vision politique qui cherche ses racines dans celle des leaders africains héros de l’indépendance et bâtisseurs de ces États-Unis d’Afrique, tel Kwame Nkrumah, et afin de dévouer tout entier son discours à la cause, Mwazulu Diyabanza, bien connu pour ses actions politiques n’est pas représenté par un avocat. Il revendique tout du long un acte politique et symbolique, et dément son intention d’emporter réellement l’objet. Le porte-parole avait conseillé à ses acolytes de se faire représenter par maître Job. Trois ont accepté, mais Djaka Apakwa, elle, a décliné. « Je viens parler au nom de tous les peuples africains, dit la jeune femme, dont c’était la première action dans un musée avec l’UDC, où elle s’était jusque-là contentée de discours, contre le CFA notamment. L’acte a été posé, ce n’est pas le moment de se désolidariser. Il faut que les questions que ça pose puissent être débattues par la société civile. Questionner un état de fait : est-ce que les objets ont leur place dans ce musée ? comment ont-ils été pris ? Ce sont des crimes contre l’humanité. Si la société française juge que retirer un objet de son socle, ça constitue un délit, ce n’est pas moi qui vais juger : c’est l’Histoire. Le passé colonial a des conséquences aujourd’hui. En posant cet acte, on offre la possibilité à tout le monde de repartir sur une justice véritable, en demandant plus de précisions que ce qui est en cours pour la restitution : comment ? à qui ? à des États ? à des présidents ? Sur 70 000 pièces, 27 sont dans le projet de loi. Notre génération veillera à ce que les choses ne se passent pas seulement selon un prisme. »
Amendes requises
Il y a comme des ondes qui passent. Sans doute aussi parce que la procureure a fait montre d’une volonté de comprendre et d’un souci de pacification. Elle a requis une peine « de principe et d’apaisement » de 1 000 euros d’amende sans sursis pour le porte-parole, et de 500 euros d’amende avec sursis pour les quatre autres prévenus. Le représentant de l’État a, quant à lui, demandé une peine de réparation de dommages et intérêts de 5 000 euros.
« Ils n’ont pas commis un vol, mais interrompu un recel. Ce n’est pas un procès de l’Histoire, mais ce procès fera l’Histoire, » a dit un avocat des prévenus.
Après l’incident du 12 juin, Emmanuel Kasarhérou, nouveau président du Quai-Branly-Jacques-Chirac, estimait : « On peut écouter ce message, mais on est assez dépourvu pour répondre, car ces personnes étaient moins en attente d’un dialogue que d’une tribune médiatique. Je pense que beaucoup de ces gens qui sont dans une phase de révolte sont sincères et qu’il y a quelque chose à traiter, vraiment. » C’est ce qui est apparu, vraiment, tout au long de ces presque quatre heures intenses, dont le président a salué la dignité des débats. Rendez-vous le 14 octobre pour le verdict.