Hong Kong (Chine).– Joshua Wong et Agnès Wong posaient il y a quelques jours encore dans leurs toges et leurs toques de jeunes diplômés, loin du tumulte politique. Ces deux personnalités parmi les plus médiatiques du mouvement pro-démocratie vont devoir revêtir les uniformes de prisonnier, condamnés respectivement à 13,5 mois et 10 mois de prison. Un troisième militant, Ivan Lam, 26 ans, passera pour sa part 7 mois derrière les barreaux. La justice hongkongaise les a reconnus coupables d’avoir incité ou organisé une manifestation non autorisée l’année dernière. Un verdict sévère qui réduit plus encore au silence une opposition déjà aux abois et étouffe un peu plus les revendications démocratiques.
Avec ce verdict « en ciblant des militants connus dans le mouvement en grande partie sans meneur, les autorités avertissent ceux qui oseront critiquer ouvertement le gouvernement qu’ils pourraient être les prochains », estime dans un communiqué Amnesty International. Nathan Law, ex-membre du parti Demosisto, critique pour sa part « un tribunal devenu instrument de répression des autorités ».
Joshua Wong, Agnès Chow et Ivan Lam étaient jugés pour leur implication dans une manifestation du 21 juin 2019. Ce jour-là, galvanisés par les 2 millions de personnes (selon les organisateurs, sur 7,4 millions d’habitants) descendues dans la rue quelques jours plus tôt, des milliers de jeunes manifestants, T-shirts noirs et casques de chantiers jaunes sur la tête, occupent les abords du parlement local.
Sous l’impulsion d’un petit groupe, dont Joshua Wong, certains encerclent des heures durant le quartier général de la police dans le quartier de Wan Chai. Ils réclament l’abandon d’un projet de loi sur l’extradition qui les aurait laissés, selon eux, à la merci d’une justice en Chine à la botte du Parti communiste et aux antipodes de l’indépendante justice hongkongaise. Ce mouvement participatif s’est toujours revendiqué sans meneur. Mercredi, le tribunal de West Kowloon en a décidé autrement.
La magistrate chargée de l’affaire a d’une part cité des échanges sur la plate-forme sécurisée Telegram, canal principal de coordination de la contestation, pour attester que Joshua Wong avait organisé la manifestation. Elle a par ailleurs vu dans le fait que le militant tout juste sorti de prison ait utilisé un mégaphone pour haranguer la foule la preuve qu’il avait agi en « meneur » et estimé qu’il méritait un jugement « dissuasif ».
D’autres avant ce trio ont été sévèrement condamnés pour leur implication dans la contestation initiée en 2019. Des députés, militants connus ou anonymes risquent aussi de la prison ferme. Mais avec le verdict de mercredi, la jeune génération perd trois figures emblématiques de la cause démocratique dans l’ancienne colonie britannique. « Ce sont des héros qui se sont sacrifiés pour nos libertés et se heurtent aujourd’hui à une justice instrumentalisée par le politique », s’indignait mercredi sous le couvert de l’anonymat et les yeux rougis un Hongkongais dans la trentaine venu assister au verdict.
Agnès Chow, qui aura 24 ans jeudi 3 décembre, s’est éveillée à la politique dès 2012, mobilisée contre un projet d’éducation patriotique. Étudiante discrète et passionnée de culture japonaise, elle est surnommée dans l’archipel nippon « la déesse de la démocratie ».
Joshua Wong, 23 ans, a quant à lui fait ses armes lors du mouvement de désobéissance civile de 2014 qui réclamait l’élection au suffrage universel du chef de l’exécutif local. Ils ont ensemble fondé en 2016 le parti Demosisto, dont était également membre Ivan Lam.
Très actifs sur les réseaux sociaux, Joshua Wong et son groupe ont quelque peu dépoussiéré la politique locale, maniant avec une étonnante maturité l’art de la communication pour attirer l’attention de la communauté internationale sur le joug grandissant de Pékin.
La jeune formation militait notamment pour le droit des Hongkongais à se prononcer sur l’avenir de la région semi-autonome. Pékin a vu rouge et perçu ces revendications pour un droit à l’autodétermination comme un appel à l’indépendance du petit territoire niché au sud du pays.
Se sachant dans le viseur, ces jeunes militants ont dissous leur formation politique à la vielle de la promulgation, fin juin, de la loi de sécurité nationale rédigée par Pékin. Ce texte censé, selon le gouvernement, restaurer le calme dans le centre financier international et garantir la protection du pays, donne aux autorités de pouvoirs étendus pour réprimer les actes de sécession, de subversion, de terrorisme et de collusion avec les forces étrangères.
Malgré le risque, Joshua Wong a continué de critiquer vertement le régime central depuis juillet, militant notamment pour la libération de douze Hongkongais interceptés fin août en mer alors qu’ils fuyaient vers Taïwan, et détenus depuis en Chine sans, selon leurs proches, avoir accès à un avocat ou une aide médicale.
Mercredi encore, le jeune homme s’est montré pugnace et a fait passer le message suivant via ses avocats : « Ce n’est pas la fin du combat. […] Nous rejoignons maintenant la bataille en prison aux côtés de manifestants courageux, moins visibles mais pourtant essentiels, pour le combat en faveur de la démocratie et la liberté à Hong Kong. »
Certains dans la majorité pro-Pékin voient dans cet appel la démonstration que la liberté d’expression promise lors de la rétrocession en 1997 existe bel et bien. Pour les opposants, c’est le signe que la répression n’est pas totalement terminée.